Bleuet Jeune homme de vingt ans Qui as vu des choses si affreuses Que penses-tu des hommes de ton enfance [à droite] Tu connais la bravoure et la ruse [transversalement] Tu as vu la mort en face plus de cent fois tu ne sais pas ce que c’est que la vie [à gauche] Transmets ton intrépidité A ceux qui viendront Après toi Jeune homme Tu es joyeux ta mémoire est ensanglantée Ton âme est rouge aussi De joie Tu as absorbé la vie de ceux qui sont morts près de toi Tu as de la décision Il est 17 heures et tu saurais mourir Sinon mieux que tes aînés Du moins plus pieusement car tu connais mieux la mort que la vie O douceur d’autrefois lenteur immémoriale GUILLAUME APOLLINAIRE
Sanglots Notre amour est réglé par les calmes étoiles Or nous savons qu’en nous beaucoup d’hommes respirent Qui vinrent de très loin et sont un sous nos fronts C’est la chanson des rêveurs Qui s’étaient arraché le cœur Et le portaient dans la main droite Souviens-t’en cher orgueil de tous ces souvenirs Des marins qui chantaient comme des conquérants Des gouffres de Thulé des tendres cieux d’ Ophir Des malades maudits de ceux qui fuient leur ombre Et du retour joyeux des heureux émigrants De ce cœur il coulait du sang Et le rêveur allait pensant A sa blessure délicate Tu ne briseras pas la chaîne de ces causes Et douloureuse et nous disait qui sont les effets d’autres causes Mon pauvre cœur mon cœur brisé Pareil au cœur de tous les hommes Voici voici nos mains que la vie fit esclaves Est mort d’amour ou c’est tout comme Est mort d’amour et le voici Ainsi vont toutes choses Arrachez donc le vôtre aussi Et rien ne sera libre jusqu’à la fin des temps Laissons tout aux morts Et cachons nos sanglots GUILLAUME APOLLINAIRE
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines Et les morts m’accostèrent Avec des mines de l’autre monde. […] Les morts se réjouissaient De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière. […] Ils n’avaient pas oublié la danse, Ces morts et ces mortes : On buvait aussi, Et, de temps à autre, une cloche Annonçait qu’un nouveau tonneau Allait être mis en perce. […] Les morts avaient choisi les vivantes, Et les vivants, Des mortes. […] Car, y a-t-il rien qui vous élève Comme d’avoir aimé un mort ou une morte ?
Crépuscule (incipit : « Frôlée par les ombres des morts ») Frôlée par les ombres des morts Sur l’herbe où le jour s’exténue, L’Arlequine s’est mise nue Et dans l’étang mire son corps Un charlatan crépusculaire Vante les tours que l’on va faire Le Ciel sans teinte est constellé D’astres pâles comme du lait Sur les tréteaux l’Arlequin blême Salue d’abord les spectateurs Des sorciers venus de Bohême Quelques fées et les enchanteurs !
O mort certaine, ainsi soit-il !
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines Et les morts m’accostèrent Avec des mines de l’autre monde. […] Les morts se réjouissaient De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière. […] Ils n’avaient pas oublié la danse, Ces morts et ces mortes ! […] Les morts avaient choisi les vivantes, Et les vivants, Des mortes. […] Car, y a-t-il rien qui vous élève Comme d’avoir aimé un mort ou une morte ?
Echelon Au marl logis chef Piot Grenouilles et rainettes Crapauds & Crapoussins Ascèse sous les peupliers et les frênes La reine des prés va fleurir Une petite hutte dans la forêt Là-bas plus blanche est la blessure [à gauche, verticalement] On tire contre avions Verdun [au centre] Le Ciel Coquelicots Flacon au col d’or On a pendu la mort à la lisière du bois On a pendu la mort Et ses beaux seins dorés Se montrent tour à tour O rose toujours vive O France [à droite, verticalement] L’orvet Le sac à malice La trousse à boutons Embaume les espoirs d’une armée qui halète Le Loriot chante N’est-ce pas rigolo Enfin une plume d’épervier
Echelon Au marl logis chef Piot Grenouilles et rainettes Crapauds & Crapoussins Ascèse sous les peupliers et les frênes La reine des prés va fleurir Une petite hutte dans la forêt Là-bas plus blanche est la blessure [à gauche, verticalement] On tire contre avions Verdun [au centre] Le Ciel Coquelicots Flacon au col d’or On a pendu la mort à la lisière du bois On a pendu la mort Et ses beaux seins dorés Se montrent tour à tour O rose toujours vive O France [à droite, verticalement] L’orvet Le sac à malice La trousse à boutons Embaume les espoirs d’une armée qui halète Le Loriot chante N’est-ce pas rigolo Enfin une plume d’épervier
La Dame Toc toc Il a fermé sa porte Les lis du jardin sont flétris Quel est donc ce mort qu’on emporte Tu viens de toquer à sa porte Et trotte trotte Trotte la petite souris GUILLAUME APOLLINAIRE
Avenir Quand trembleront d’effroi les puissants. les ricombres, Quand en signe de peur ils dresseront leurs mains, Calmes devant le feu, les maisons qui s’effondrent, Les cadavres tout nus couchés par les chemins, Nous irons contempler le sourire des morts. […] Il y aura du sang et sur les rouges mares Penchés, nous mirerons nos faces calmement Et nous regarderons aux tragiques miroirs La chute des maisons et la mort des amants. […] Nous chanterons le feu, la noblesse des forges, La force des grands gars, les gestes des larrons, Et la mort des héros et la gloire des torches Qui font une auréole autour de chaque front, La beauté des printemps et les amours fécondes, La douceur des yeux bleus que le sang assouvit, Et l’aube qui va poindre et la fraîcheur des ondes, Le bonheur des enfants et l’éternelle vie. […] — Le soleil et les morts aux terres qu’on emblave Donnent la beauté blonde et la fécondité.
Les lys du jardin sont flétris… Quel est donc ce mort qu’on emporte ?
Il a plu, l’herbe humide Fille de celle-là qu’il cueillait en rêvant Prend un grand voile roux feuilles mortes devant De Jean-Jacques Rousseau le triste tombeau vide.
L’amour est mort, j’en suis tremblant, J’adore de belles idoles : Les souvenirs lui ressemblant ; Comme la femme de Mausole Je reste fidèle et dolent. […] « Nous n’irons pas à tes sabbats. » Voie lactée, ô sœur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses, Nageurs morts, suivrons-nous d’ahan Ton cours vers d’autres nébuleuses ? […] Et toi, qui me suis en rampant, Dieu de mes dieux morts en automne, Tu mesures combien d’empans J’ai droit que la terre me donne, O mon ombre, ô mon vieux serpent ! […] Tu es à moi en n’étant rien, O mon ombre en deuil de moi-même… … L’hiver est mort tout enneigé ; On a brûlé les ruches blanches. […] Mort d’immortels argyraspides !
Il pleut Il pleut des voix de femmes comme si elles étaient mortes même dans le souvenir c’est vous aussi qu’il pleur merveilleuses rencontres de ma vie ô gouttelettes et ces nuages cabrés se prennent à hennir tout comme un univers de villes auriculaires écoute s’il pleut tandis que le regret et le dédain pleurent une ancienne musique écoute tomber les liens qui te retiennent en haut et en bas GUILLAUME APOLLINAIRE
[Calligramme (jet d’eau)] [jet d’eau] la lune ardente et toujours neuve un bouton de rose doux comme un papillon comme une fleur mourant entre les mains d’un soldat blessé un jet d’eau la queue d’un paon un soir de neige ciel constellé un bombardement un matin à New York les lucioles et tous les souvenirs O quel bonheur que ce bleu ne soit pas mort encore
Pensons à Celui qui cria : Debout les morts.
Pensons à Celui qui cria : Debout les morts.
— Goûtant un citron j’eus comme un goût d’huile de ricin pris avec du citron et du café sans sucre Nyctor a écarté toute préoccupation amoureuse il satisfait un rut qui le pousse et respecte la liberté d’amour de la femme — Fumer comme un condamné à mort — Le cyclope aveugle à qui on a crevé son œil dit Je suis borgne
Je connais gens de toutes sortes, Ils n’égalent pas leurs destins, Indécis comme feuilles mortes Leurs yeux sont des feux mal éteints, Leurs cœurs bougent comme leurs portes.
L’autre juif aussitôt à la poste courut Pour envoyer à son copain ce télégramme : « La dame A mis au monde deux jumeaux : le vôtre dort, Le mien est mort. » L’abbé de Thélème.
Fagues [Fagnes] Tant de tristesses plénières Prirent mon cœur aux fagues désolées Très las j’ai déposé dans les sapinières Des kilomètres pendant que râlait Le vent d’ouest J’avais quitté les jolis bois Les écureuils y sont restés Ma pipe essayait de faire des nuages Au ciel Qui restait pur obstinément Je n’ai confié aucun secret Aux tourbières où de l’eau croupissait Les bruyères fleurant le miel Attiraient les abeilles Et mes pieds qui riaient Foulaient les myrtilles et les airelles Savamment mariées Nord Nord La vie s’y tord En arbres forts Et tors La vie y mord La mort A belles dents Quand bruit le vent.
Fagnes de Wallonie Tant de tristesses plénières Prirent mon cœur aux fagnes désolées Quand las j’ai reposé dans les sapinières Le poids des kilomètres pendant que râlait Le vent d’ouest J’avais quitté le joli bois Les écureuils y sont restés Ma pipe essayait de faire des nuages Au ciel Qui restait pur obstinément Je n’ai confié aucun secret sinon une chanson énigmatique Aux tourbières humides Les bruyères fleurant le miel Attiraient les abeilles Et mes pieds endoloris Foulaient les myrtilles et les airelles Tendrement mariée Nord Nord La vie s’y tord En arbres forts Et tors La vie y mord La mort A belles dents Quand bruit le vent GUILLAUME APOLLINAIRE
Et ces arcanes seraient plus sombres Mais j’ai peur de les sonder ; Qui sait si là n’est pas l’éternité, Par delà la mort camuse Qui s’amuse A faire peur ; Et l’ennui m’emmantelle Comme un vague linceul de lugubre dentelle Ce soir.
L’enfant d’or C’est la barque où fuyait près d’une ombre la reine Quand les morts se levaient et lorsque les sanglots Secouaient le monarque ainsi que la carène Qui tremble à l’horizon sur l’écume des flots La chanson des rameurs sur les vagues se traîne La reine et l’enfant d’or agitaient les grelots Dont la fente évoquait la grenade qu’égrène Aux échos des récifs le chœur des matelots Belles chairs de cristal, les joyaux les squelettes Cherront au fond des mers où surnagèrent tant De fleurs de cheveux roux et de rames flottant Parmi les troupes de méduses violettes Cortège de ta fuite ou floraison d’effroi Lorsque cet enfant d’or souriait au vieux roi Guillaume APOLLINAIRE.
Puis, les marmitons apportèrent les viandes : Des rôtis de pensées mortes dans mon cerveau, Mes beaux rêves morts-nés en tranches bien saignantes, Et, mes souvenirs faisandés en godiveaux. Or, ces pensées mortes depuis des millénaires Avaient le fade goût des grands mammouths gelés, Les os ou songe-creux venaient des ossuaires En danse macabre aux plis de mon cervelet.
Crépuscule Frôlée par les ombres des morts, Sur l’herbe où le jour s’exténue L’Arlequine s’est mise nue Et dans l’étang mire son corps.
Dans le palais de Rosemonde Vers le palais de Rosemonde au fond du Rêve Mes rêveuses pensées pieds nus vont en soirée Le palais don du roi comme un roi nu s’élève Des chairs fouettées des roses de la roseraie On voit venir au fond du jardin mes pensées Qui sourient du concert joué par les grenouilles Elles ont envie des cyprès grandes quenouilles Et le soleil miroir des roses s’est brisé Le stigmate sanglant des mains contre les vitres Quel archer mal blessé du couchant le troua La résine qui rend amer le vin de Chypre Ma bouche aux agapes d’agneau blanc l’éprouva Sur les genoux pointus du monarque adultère Sur le mai de son âge et sur son trente et un Madame Rosemonde roule avec mystère Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeux des Huns Dame de mes pensées au cul de perle fine Dont ni perle ni cul n’égale l’Orient Qui donc attendez-vous Mes plus belles voisines De rêveuses pensées en marche à l’Orient Toc toc Entrez dans l’antichambre Le jour baisse La veilleuse dans l’ombre est un bijou d’or cuit Pendez vos têtes aux patères par les tresses Le ciel presque nocturne a des lueurs d’aiguilles On entra dans la salle à manger les narines Reniflaient une odeur de graisse et de graillon On eut vingt potages dont trois couleur d’urine Et le roi prit deux œufs pochés dans du bouillon Puis les marmitons apportèrent les viandes Des rôtis de pensées mortes dans mon cerveau Mes beaux rêves mort-nés en tranches bien saignantes Et mes souvenirs faisandés en godiveaux Or ces pensées mortes depuis des millénaires Avaient le fade goût des grands mammouths gelés Les os ou songe-creux venaient des ossuaires En danse macabre aux plis de mon cervelet Et tous ces mets criaient des choses non pareilles Mais nom de Dieu Ventre affamé n’a pas d’oreilles Et les convives mastiquaient à qui mieux mieux Ah nom de Dieu qu’ont donc crié ces entrecôtes Ces grands pâtés os à la moelle et mirotons Langues de feu où sont-elles mes pentecôtes Pour mes pensées de tous pays de tous les temps
j’aperçois trois chiures Mais presque toutes les mouches sont mortes de froid Car c’est l’hiver oui mon vieux ça va bien ça va même très bien Ces pâtres sachant qu’un enfant venait de naître Près de là Sur le coup de minuit d’un jour alcyonien Se mirent tous en route au son de leurs musettes
Ombre Vous voilà de nouveau près de moi Souvenirs de mes compagnons morts à la guerre L’olive du temps Souvenirs qui n’en faites plus qu’un Comme cent fourrures ne font qu’un manteau Comme ces milliers de blessures ne font qu’un article de journal Apparence impalpable et sombre qui avez pris La forme changeante de mon ombre Un indien à l’affût pendant l’éternité Ombre vous rampez près de moi Mais vous ne m’entendez plus Vous ne connaîtrez plus les poèmes divins que je chante Tandis que moi je vous entends je vous vois encore Destinées Ombre multiple que le soleil vous garde Vous qui m’aimez assez pour ne jamais me quitter Et qui dansez au soleil sans faire de poussière Ombre encre du soleil Ecriture de ma lumière Caisson de regrets Un dieu qui s’humilie GUILLAUME APOLLINAIRE
A l’Italie (incipit : « L’amour a remué ma vie ») L’amour a remué ma vie comme on remue la terre dans la zône des armées J’atteignais l’âge mûr quand la guerre arriva Et dans ce jour d’août 1915 le plus chaud de l’année Bien abrité dans l’hypogée que j’ai creusé moi-même C’est à toi que je songe ITALIE mère de mes pensées Et dejà quand von Kluck marchait sur Paris avant la Marne J’évoquais le sac de Rome par les Allemands Le sac de Rome qu’ont décrit Un Bonaparte le vicaire espagnol Delicado et l’Arétin Je me disais Est-il possible que la nation Qui est la mère de la civilisation Regarde sans la défendre les efforts qu’on fait pour la détruire Puis les temps sont venus les tombes se sont ouvertes Les fantômes des Esclaves toujours frémissants Se sont dressés en criant SUS AUX TUDESQUES Nous l’armée invisible aux cris éblouissants Plus doux que n’est le miel et plus simples qu’un peu de terre Nous te tournons bénignement le dos ITALIE Mais ne t’en fais pas nous t’aimons bien ITALIE f mère qui es aussi notre fille Nous sommes là tranquillement et sans tristesse Et si malgré les masques les sacs de sable les rondins nous tombions Nous savons qu’un autre prendrait notre place Et que LES ARMEES ne périront jamais Les mois ne sont pas longs ni les jours ni les nuits C’est la guerre qui est longue ITALIE Toi notre mère et notre fille quelque chose comme une sœur J’ai comme toi pour me réconforter le quart de pinard Qui met tant de différence entre nous et les Boches J’ai aussi comme toi l’envol des compagnies de perdreaux des 75 Comme toi je n’ai pas cet orgueil sans joie des Boches et je sais rigoler Je ne suis pas sentimental à l’excès comme le sont ces gens sans mesure que leurs actions dépassent sans qu’il sachent s’amuser Notre civilisation a plus de finesse que les choses qu’ils emploient Elle est au delà de la vie confortable Et de ce qui est l’extérieur dans l’art et l’industrie Les fleurs sont nos enfants et non les leurs Même la fleur de lys qui meurt au Vatican La plaine est infinie et les tranchées sont blanches Les avions bourdonnent ainsi que des abeilles Sur les roses momentanées des éclatements Et les nuits sont parées de guirlandes d’éblouissements De bulles de globules aux couleurs insoupçonnées Nous jouissons de tout même de nos souffrances Notre humeur est charmante l’ardeur vient quand il faut Nous sommes narquois car nous savons faire la part des choses Et il n’y a pas plus de folie chez celui qui jette les grenades que chez celui qui plume les patates Tu aimes un peu plus que nous les gestes et les mots sonores Tu as à ta disposition les sortilèges étrusques le sens de la majesté héroïque et le courageux honneur individuel Nous avons le sourire nous devinons ce qu’on ne nous dit pas nous sommes démerdards et même ceux qui se dégonflent sauraient à l’occasion faire preuve de l’esprit de sacrifice qu’on appelle la bravoure Et nous fumons du gros avec volupté C’est la nuit je suis dans mon blockaus éclairé par l’électricité en bâton Je pense à toi pays des 2 volcans Je salue le souvenir des sirènes et des scylles mortes au moment de Messine Je salue le Colleoni équestre de Venise Je salue la chemise rouge Je t’envoie mes amitiés ITALIE et m’apprête à applaudir aux hauts faits de ta bleusaille Non parce que j’imagine qu’il y aura jamais plus de bonheur ou de malheur en ce monde Mais parce que comme toi j’aime à penser seul et que les Boches m’en empêcheraient Mais parce que le goût naturel de la perfection que nous avons l’un et l’autre si on les laissait faire serait vite remplacé par je ne sais quelles commodités dont je n’ai que faire Et surtout parce que comme toi je sais je veux choisir et qu’eux voudraient nous forcer à ne plus choisir Une même destinée nous lie en cette occase Ce n’est pas pour l’ensemble que je le dis Mais pour chacun de tei ITALIE Ne te borne point à prendre les terres irrédentes Mets ton destin dans la balance où est le nôtre Les réflecteurs dardent leurs lueurs comme des yeux d’escargots Et les obus en tombant sont des chiens qui jettent de la terre avec leurs pattes après avoir fait leurs besoins Notre armée invisible est une belle nuit constellée Et chacun de nos hommes est un astre merveilleux O nuit, o nuit éblouissante Les morts sont avec nos soldats Les morts sont debout dans les tranchées Ou se glissent souterrainement vers les Bien-Aimees O Lille Saint-Quentin Laon Maubeuge Vouziers Nous jetons nos villes comme des grenades Nos fleuves sont brandis comme des sabres Nos montagnes chargent comme cavalerie Nous reprendrons les villes les fleuves et les collines De la frontière helvétique aux frontières bataves Entre toi et nous ITALIE Il y a des patelins pleins de femmes Et près de toi m’attend celle que j’adore O FRERES D’ITALIE Ondes nuages délétères Metalliques débris qui vous rouillez partout O frères d’ITALIE vos plumes sur la tête ITALIE Entends crier Louvain vois Reims tordre ses bras Et ce soldat blessé toujours debout Arras Et maintenant chantons ceux qui sont morts Ceux qui vivent les officiers et les soldats Les flingots Rosalie le canon la fusée l’hélice la pelle les chevaux Chantons les bagues pâles les casques Chantons ceux qui sont morts Chantons la terre qui bâille d’ennui Chantons et rigolons Durant des années ITALIE Entends braire l’âne boche Faisons la guerre à coups de fouets Faits avec les rayons du soleil ITALIE Chantons et rigolons Durant des années Guillaume Apollinaire.
Le pendu, le beau masque et cet homme altéré Descendent dans l’enfer que je creuse moi-même Et l’enfer c’est toujours : « Je voudrais qu’elle m’aime. » Et n’aurais-je jamais une chose à mon gré Sinon l’amour, du moins une mort aussi belle.
Tour de Pise Les dames pisanes sont descendues rêver Dans leurs vergers où palpitent des lucioles Et derrière les murs des flûtes des violes Disent l’amour perdu que l’on veut retrouver Puis quand les inconnus ont évoqué leur peine Ou qu’ils s’en vont à l’heure où doit passer le guet Avec ses vingt lueurs et son cri fatigué Elles ont peur de l’ombre et de l’heure prochaine De l’ombre où jusqu’au jour les lucioles sont Les larmes d’un regret ardent comme une flamme Tandis que vous sentez dans la nuit de votre âme Des violes d’amour vibrer le dernier son Et l’heure va venir ô belles délicates Ne sera-ce pas l’heure enfin d’avoir sommeil Quand passera le guet avec son cri pareil Aux plaintes de l’amour qui vous rendit ingrates Alors sur les perrons en écoutant mourir La source qui languit les Pisanes penchées Comme leur Tour et par la mort effarouchées Attendent cependant l’amour qui va venir.
« Il est mort ; écoutez ! « La cloche de l’église » Sonnait tout doucement la mort du sacristain, « Lise, il faut attiser le poêle qui s’éteint. » Les femmes se signaient dans la nuit indécise.
I J’ai jeté dans le noble feu Que je transporte et que j’adore De vives mains et même feu Ce passé, ces têtes de morts.
Du dicke Du L’amour revient en boumerang L’amour revient à en vomir le revenant Ils ont demandé tant de ces bouteilles longues Comme les longs cyprès d’un grand jardin rhénan Un phonographe énamouré pour dix pfenings Chanta l’amour à quatre voix de chanteurs morts Des châtrés enrhumés en métal ces ténors Qui n’ont jamais connu la vie ce féminin La noce de la ville en face à l’autre rive Et les cigares à deux gros et blonds wie du La mienne aussi mon vieux était blonde aux yeux doux Mais pas d’ici Seigneur que votre règne arrive Mangez les tartines comme du pain béni Que la mariée soit soûle comme une grive Je me souviens Amour que votre règne arrive On ne respire plus Bonsoir la compagnie Bonsoir la compagnie j’entends un bruit de rames Dans la nuit sur le Rhin et le coucou chanter Puis j’ai jasé d’amour de l’amour regretté Avec tous les sapins changés en bonnes femmes.
Entends chanter les nôtres Pourpre amour salué par ceux qui vont périr Le printemps tout mouillé la veilleuse l’attaque Il pleut mon âme il pleut mais il pleut des yeux morts — Ulysse !
Entends chanter les nôtres Pourpre amour salué par ceux qui vont périr * * * Le printemps tout mouillé la veilleuse l’attaque Il pleut mon âme il pleut mais il pleut des yeux morts — Ulysse !
La Nuit d’Avril 1915 A L de S S Le ciel est étoilé par les obus des Boches La forêt merveilleuse où je vis donne un bal La mitrailleuse joue un air à triples croches Mais avez-vous le mot eh oui le mot fatal Aux créneaux aux créneaux laissez-là les pioches * * * Comme un astre éperdu qui cherche ses saisons Cœur obus éclaté tu sifflais ta romance Et tes mille soleils ont vidé les caissons Que les dieux de mes yeux remplissent en silence Nous nous aimons ô Vie et nous nous agaçons * * * Les obus miaulaient un amour à mourir Un amour qui se meurt est plus doux que les autres Mon souffle nage au fleuve où le sang va tarir Les obus miaulaient entends chanter les nôtres Pourpre Amour salué par ceux qui vont périr * * * Le printemps tout mouillé la veilleuse l’attaque Il pleut mon âme il pleut mais il pleut des yeux morts — Ulysse que de jours pour rentrer dans Ithaque — Couche-toi sur la paille et songe un beau remords Qui par effet de l’art soit aphrodisiaque * * * Mais O rgues aux fétus de la paille où tu dors L’hymne de l’avenir est paradisiaque
Pour son baiser les rois du monde Seraient morts ; des pauvres fameux Pour elle eussent vendu leur ombre. […] Voie lactée, ô sœur lumineuse, Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses, Nageurs morts, suivrons-nous d’ahan Ton cours vers d’autres nébuleuses ?
Nous parlions dans le vent auprès d’un petit mur Ou lisions l’inscription d’une pierre mise A cette place en souvenir d’un meurtre et sur Laquelle bien souvent tu t’es longtemps assise : « Gottfried apprenti de Brühl, l’an seize cent trente « Ici fut assassiné, « Sa fiancée en eut une douleur touchante « Requiem aeternam dona ei, Domine. » Le soleil au déclin empourprait la montagne Et notre amour saignait comme les groseillers Puis étoilant ce pâle automne d’Allemagne, La nuit, pleurant des lueurs, mourait à nos pieds Et notre amour ainsi se mêlait à la mort.
Il pleut, mon âme, il pleut, mais il pleut des yeux morts.
Jadis, les morts sont revenus pour m’adorer, Et j’espérais la fin du monde, Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan. […] Liens déliés par une libre flamme, ardeur Que mon souffle éteindra, ô morts, à quarantaine. Je mire de ma mort la gloire et le malheur.
Ici la fraise est rouge et les lilas sont morts, La couleuvre se love en la paille où je dors Quand s’éveille la nuit la Champagne Tonnante, La nuit quand les convois traînent leur rumeur lente A travers la Champagne où tonnent nos canons Et les flacons ambrés… Et si nous revenons, Dieu !
Ici la fraise est rouge et les lilas sont morts, La couleuvre se love en la paille où je dors Quand s’éveille la nuit la Champagne Tonnante, La nuit quand les convois traînent leur rumeur lente A travers la Champagne où tonnent nos canons Et les flacons ambrés… Et si nous revenons, Dieu !
Chevaux de frise Pendant le blanc et nocturne novembre Alors que les arbres déchiquetés par l’artillerie Vieillissaient encore sous la neige Et semblaient à peine des chevaux de frise Entourés de vagues de fils de fer Mon cœur renaissait comme un arbre au printemps Un arbre fruitier sur lequel s’épanouissent Les fleurs de l’amour Pendant le blanc et nocturne novembre Tandis que chantaient épouvantablement les obus Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient Leurs mortelles odeurs Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine La neige met de pâles fleurs sur les arbres Et toisonne d’hermine les chevaux de frise Que l’on voit partout Abandonnés et sinistres Chevaux muets Non chevaux barbes mais barbelés Et je les anime tout soudain En troupeau de jolis chevaux pies Qui vont vers toi comme de blanches vagues Sur la Méditerranée Et t’apportent mon amour Rose lys ô panthère ô colombes étoile bleue ô Madeleine Je t’aime avec délices Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches Si je pense à ta bouche les roses m’apparaissent Si je songe à tes seins le Paraclet descend O double colombe de ta poitrine Et vient délier ma langue de poète Pour te redire je t’aime Ton visage est un bouquet de fleurs Aujourd’hui je te vois non Panthère mais Toutefleur Et je te respire ô ma Toutefleur Tous les lys montent en toi comme des cantiques d’amour et d’allégresse Et ces chants qui s’envolent vers toi M’emportent à ton côté Dans ton bel Orient où les lys Se changent en palmiers qui de leurs belles mains Me font signe de venir La fusée s’épanouit fleur nocturne Quand il fait noir Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses De larmes heureuses que la joie fait couler Et je t’aime comme tu m’aimes Madeleine Novembre 1915
[« Voie lactée, ô sœur lumineuse »] Voie lactée, ô sœur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses, Nageurs morts, suivrons-nous d’ahan Ton cours vers d’autres nébuleuses ?
Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier Auprès des canons gris voilés tournés vers le nord Que je songe au village africain Où l’on dansait où l’on chantait Où l’on faisait l’amour Et de longs discours Nobles et joyeux Je revois mon père qui se battit Contre les Achantis au service des Anglais Caresser les seins durs comme des obus De ma sœur au rire en folie Et je revois Ma mère la sorcière qui seule du village Méprisait le sel Piler le millet dans un mortier En regardant mon frère bercer Sa superbe virilité Qui semblait un petit enfant Je me souviens du si délicat si inquiétant Fétiche dans l’arbre Et du double fétiche de la fécondité Plus tard une tête coupée Au bord d’un marécage O pâleur de mon ennemi C’était une tête d’argent Et dans le marais C’était la lune qui luisait C’était donc une tête d’argent Là-haut c’était la lune qui dansait C’était donc une tête d’argent Et moi dans l’ombre j’étais invisible C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde Similitudes pâleurs Et ma sœur plus tard Suivit un tirailleur Mort à Arras Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l’évêque Si doux si doux avec ma mère De beurre de beurre avec ma sœur C’était dans une petite cabane Moins sauvage que notre Cagnat de Canonniers servants J’ai connu l’affût au bord des marécages Où la girafe boit les jambes écartées J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste Le Village Viole les femmes Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute J’ai porté l’administrateur des semaines De village en village En chantonnant Et je fus domestique à Paris Je ne sais pas mon âge Mais au recrutement On m’a donné vingt ans Je suis soldat français on m’a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir Pourquoi ne pas danser et discourir Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses Sous la tempête de feux métalliques Je me souviens d’un lac affreux Une nuit folle Une nuit de sorcellerie Et de couples enchaînés par un atroce amour
Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier Auprès des canons gris voilés tournés vers le nord Que je songe au village africain Où l’on dansait où l’on chantait Où l’on faisait l’amour Et de longs discours Nobles et joyeux Je revois mon père qui se battit Contre les Achantis au service des Anglais Caresser les seins durs comme des obus De ma sœur au rire en folie Et je revois Ma mère la sorcière qui seule du village Méprisait le sel Piler le millet dans un mortier En regardant mon frère bercer Sa superbe virilité Qui semblait un petit enfant Je me souviens du si délicat si inquiétant Fétiche dans l’arbre Et du double fétiche de la fécondité Plus tard une tête coupée Au bord d’un marécage O pâleur de mon ennemi C’était une tête d’argent Et dans le marais C’était la lune qui luisait C’était donc une tête d’argent Là-haut c’était la lune qui dansait C’était donc une tête d’argent Et moi dans l’ombre j’étais invisible C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde Similitudes pâleurs Et ma sœur plus tard Suivit un tirailleur Mort à Arras Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l’évêque Si doux si doux avec ma mère De beurre de beurre avec ma sœur C’était dans une petite cabane Moins sauvage que notre Cagnat de Canonniers servants J’ai connu l’affût au bord des marécages Où la girafe boit les jambes écartées J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste Le Village Viole les femmes Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute J’ai porté l’administrateur des semaines De village en village En chantonnant Et je fus domestique à Paris Je ne sais pas mon âge Mais au recrutement On m’a donné vingt ans Je suis soldat français on m’a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir Pourquoi ne pas danser et discourir Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses Sous la tempête de feux métalliques Je me souviens d’un lac affreux Une nuit folle Une nuit de sorcellerie Et de couples enchaînés par un atroce amour
La Jolie Rousse Me voici devant tous un homme plein de sens Connaissant de la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour Ayant su quelquefois imposer ses idées Connaissant plusieurs langages Ayant pas mal voyagé Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie Blessé à la tête trépané sous le chloroforme Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre Entre nous et pour vous amis Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention De l’Ordre et de l’Aventure Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu Bouche qui est l’ordre même Soyez indulgents quand vous nous comparez A ceux qui furent la perfection de l’ordre Nous qui quêtons partout l’aventure Nous ne sommes pas vos ennemis Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines Où le mystère en fleur s’offre à qui veut le cueillir Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues Mille phantasmes impondérables Auxquels il faut donner de la réalité Nous voulons explorer la Bonté contrée énorme où tout se tait Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières De l’illimité et de l’avenir Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés Voici que vient l’été la saison violente Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps O Soleil c’est le temps de la Raison ardente Et j’attends Pour la suivre toujours la forme noble et douce Qu’elle prend afin que je l’aime seulement Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant Elle a l’aspect charmant D’une adorable rousse Ses cheveux sont d’or on dirait Un bel éclair qui durerait Ou ces flammes qui se pavanent Dans les roses-thé qui se fanent Mais riez riez de moi Hommes de partout et surtout gens d’ici Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire Ayez pitié de moi Guillaume Apollinaire
Prends les araignées roses à la nage Regrets d’invisibles pièges l’air Paisible se souleva mais sur le clavier musiques Guitare-tempête ô gai trémolo O gai trémolo ô gai trémolo Il ne rit pas l’artiste-peintre Ton pauvre étincellement pâle L’ombre agile d’un soir d’été qui meurt Immense désir et l’aube émerge des eaux si lumineuses Je vis nos yeux diamants enfermer le reflet du ciel vert et J’entendis sa voix qui dorait les forêts tandis que vous pleuriez L’acrobate à cheval le poète à moustaches un oiseau mort et tant d’enfants sans larmes Choses cassées des livres déchirés des couches de poussière et des aurores déferlant !
Le vêtement d’un lord mort sans avoir payé, Au rabais, l’habilla comme un millionnaire.
Le vêtement d’un lord mort sans avoir payé, Au rabais, l’habilla comme un millionnaire.
Le Pyrée I J’ai jeté dans le noble feu Que je transporte et que j’adore De vives mains et même feu Ce passé, ces têtes de morts.
Chant de l’horizon en Champagne à Monsieur le substitut Granié Voici le tétin rose de l’euphorbe verruquée Voici les nez des soldats invisibles Horizon invisible je chante Que les civils et les femmes écoutent les chansons Et voici d’abord la cantilène du brancardier blessé Le sol est blanc la nuit l’azure Saigne la crucifixion Tandis que saigne la blessure Du soldat de Promission Un chien jappait l’obus miaule La lueur muette a jailli A savoir si la guerre est drôle Les masques n’ont pas tressailli Mais quel fou rire sous le masque Blancheur éternelle d’ici Où la colombe porte un casque Et l’acier s’envole aussi Je suis seul sur le chant de bataille Tranchée blanche bois vert et roux L’obus miaule Je te tuerai Animez vos fantassins à passepoil jaune Les grands artilleurs roux comme des taupes Bleu de roi comme les golfes méditerranéens Veloutés de toutes les nuances du velours Ou mauves encore ou bleu comme les autres Ou déteints Venez le pot en tête Debout fusée éclairante Danse grenadier en agitant tes pommes de pin Alidades des triangles de visée pointez-vous sur les lueurs Creusez des trous enfants de 20 ans creusez des trous Sculptez les profondeurs Envolez-vous essaims des avions blonds ainsi que les avettes Moi l’horizon je fais la roue comme un grand paon Ecoutez renaître les oracles qui avaient cessé Le grand Pan est ressuscité Champagne viril qui émoustille la Champagne Hommes faits jeunes-gens Caméléons des autos-canons Et vous classe 15 Craquements des arrivées ou bien flottaison blanche dans les cieux J’étais content pourtant ça brûlait la paupière Les officiers captifs voulaient cacher leurs noms Œil du Breton blessé couché sur la civière Et qui criait aux morts aux sapins aux canons Priez pour moi Bon Dieu !
Le Brasier I J’ai jeté dans le noble feu Que je transporte et que j’adore De vives mains et même feu Ce passé, ces têtes de morts.
« Je n’ai jamais cueilli que la fleur d’aubépine, « Aux printemps finissants qui voulaient défleurir, « Quand les oiseaux de proie proclamaient leurs rapines « D’agneaux mort nés et d’enfants-dieux qui vont mourir.
Un fantôme de nuées Comme c’était la veille du quatorze Juillet Vers les quatre heures de l’après-midi Je descendis dans la rue pour aller voir les saltimbanques Ces gens qui font des tours en plein air Commencent à être rares à Paris Dans ma jeunesse on en voyait beaucoup plus qu’aujourd’hui Ils s’en sont allés presque tous en province Je pris le boulevard Saint-Germain Et sur une petite place située entre Saint-Germain-des-Prés et la statue de Danton Je rencontrai les saltimbanques La foule les entourait muette et résignée à attendre Je me fis une place dans ce cercle afin de tout voir Poids formidables Villes de Belgique soulevées à bras tendus par un ouvrier russe de Longwy Haltères noirs et creuses qui ont pour tige un fleuve figé Doigts roulants une cigarette amère et délicieuse comme ta vie De nombreux tapis usés couvraient le sol Tapis qui ont des plis qu’on ne défera pas Tapis qui sont presque entièrement couleur de la poussière Et où quelques taches jaunes ou vertes ont persisté Comme un air de musique qui vous poursuit Vois-tu le personnage maigre et sauvage La cendre de ses frères lui sortait en barbe grisonnante Il portait ainsi toute son hérédité au visage Il semblait rêver à l’avenir En tournant machinalement un orgue de Barbarie Dont la lente voix se lamentait merveilleusement Les glouglous les couacs et les sourds gémissements Les saltimbanques ne bougeaient pas Le plus vieux avait un maillot de ce rose violâtre qu’ont aux joues certaines jeunes filles actives mais près de la mort Ce rose là se niche surtout dans les plis qu’entourent souvent leur bouche Ou près des narines C’est un rose plein de traitrise Cet homme portait-il ainsi sur le dos La teinte ignoble de ses poumons Les bras, les bras partout montaient la garde Le second saltimbanque N’était vêtu que de son ombre Je le regardai longtemps Son visage m’échappe entièrement C’est un homme sans tête Un autre enfin avait l’air d’un voyou D’un apache bon et crapule à la fois Avec son pantalon bouffant et les accroche-chaussettes N’aurait-il pas eu l’apparence d’un maquereau à sa toilette La musique se tut et ce furent des pourparlers avec le public Qui sou à sou jeta sur le tapis la somme de deux francs cinquante Au lieu des trois francs que le vieux avait fixé comme prix des tours Mais quand il fut clair que personne ne donnerait plus rien On se décida à commencer la séance De dessous de l’orgue sortit un tout petit saltimbanque habillé de rose pulmonaire Avec de la fourrure aux poignets et aux chevilles Il poussait des cris brefs Et saluait en écartant gentiment les avant-bras Mains ouvertes Une jambe en arrière prête à la génuflexion Il salua ainsi aux quatre points cardinaux Et quand il marcha sur une boule Son corps mince devint une musique si délicate que nul parmi les spectateurs n’y fut insensible Cher petit esprit sans aucune humanité Pensa chacun Et cette musique des formes Détruisit celle de l’orgue mécanique Que moulait l’homme au visage couvert d’ancêtres Le petit saltimbanque fit la roue Avec tant d’audacieuse harmonie Que l’orgue cessa de jouer Et que l’organiste se cacha le visage dans les mains Aux doigts semblables aux descendants de son destin Fœtus minuscules qui lui sortaient de la barbe Nouveau cri de Peau-Rouge Musique angélique des arbres Disparition de l’enfant Les saltimbanques soulevèrent les grosses haltères à bout de bras Ils jonglèrent avec les poids Mais chaque spectateur cherchait en soi l’enfant miraculeux Siècle ô siècle des nuages Guillaume Apollinaire.
Vendémiaire Hommes de l’avenir souvenez-vous de moi Je vivais à l’époque où finissaient les rois Tour à tour ils mouraient silencieux et tristes Et trois fois courageux devenaient trismégistes Que Paris était beau à la fin de septembre Chaque nuit devenait une vigne où les pampres Répandaient leur clarté sur la ville et là-haut Astres mûrs becquetés par les ivres oiseaux De ma gloire attendaient la vendange de l’aube Un soir passant le long des quais déserts et sombres En rentrant à Auteuil j’entendis une voix Qui chantait gravement se taisant quelquefois Pour que parvînt aussi sur les bords de la Seine La plainte d’autres voix limpides et lointaines Et j’écoutai longtemps tous ces chants et ces cris Qu’éveillait dans la nuit la chanson de Paris J’ai soif villes de France et d’Europe et du monde Venez toutes couler dans ma gorge profonde Je vis alors que déjà ivre dans la vigne Paris Vendangeait le raisin le plus doux de la terre Ces grains miraculeux qui aux treilles chantèrent Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes Nous voici ô Paris nos maisons nos habitants Ces grappes de nos sens qu’enfanta le soleil Se sacrifient pour te désaltérer trop avide merveille Nous t’apportons tous les cerveaux les cimetières les murailles Ces berceaux pleins de cris que tu n’entendras pas Et d’amont en aval nos pensées ô rivières Les oreilles des écoles et nos mains rapprochées Aux doigts allongés nos mains les clochers Et nous t’apportons aussi cette souple raison Que le mystère clot comme une porte la maison Ce mystère courtois de la galanterie Ce mystère fatal fatal d’une autre vie Double raison qui est au delà de la beauté Et que la Grèce n’a pas connue ni l’Orient Double raison de la Bretagne où lame à lame L’océan châtre peu à peu l’ancien continent Et les villes du Nord répondirent gaiement O Paris nous voici boissons vivantes Les viriles cités où dégoisent et chantent Les métalliques saints de nos saintes usines Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées Comme fit autrefois l’Ixion mécanique Et nos mains innombrables Usines manufactures fabriques mains Oui mains où les ouvriers nus semblables à nos doigts Fabriquent du réel à tant par heure Nous te donnons tout cela Et Lyon répondit tandis que les anges de Fourvières Tissaient un ciel nouveau avec la soie des prières Désaltère-toi Paris avec les divines paroles Que mes lèvres le Rhône et la Saône murmurent Toujours le même culte de sa mort renaissant Divise ici les saints et fait pleuvoir le sang Heureuse pluie ô gouttes tièdes ô douleur Un enfant regarde les fenêtres s’ouvrir Et des grappes de têtes à d’ivres oiseaux s’offrir Les villes du Midi répondirent alors Noble Paris seule raison qui vis encore Qui fixes notre humeur selon ta destinée Et toi qui te retires Méditerranée Partagez-vous nos corps comme on rompt les hosties Ces très-hautes amours et leur danse orpheline Deviendront à Paris le vin pur que tu aimes Et un râle infini qui venait de Sicile Signifiait en battement d’ailes ces paroles Les raisins de nos vignes on les a vendangés Et ces grappes de morts dont les grains allongés Ont la saveur du sang de la terre et du sel Les voici pour ta soif ô Paris sous le ciel Obscurci de nuées faméliques Que caresse Ixion le créateur oblique Et où naissent sur la mer tous les corbeaux d’Afrique O raisins et ces yeux ternes et en famille L’avenir et la vie dans ces treilles s’ennuyent Mais où est le regard lumineux des sirènes Il trompa les marins qu’aimaient ces oiseaux-là Il ne tournera plus sur l’écueil de Scylla Où chantaient les trois voix suaves et sereines Le détroit tout-à-coup avait changé de face Visages de la chair de l’onde de tout Ce que l’on peut imaginer Vous n’êtes que des masques sur des faces masquées Il souriait jeune nageur entre les rives Et les noyés flottant sur son onde nouvelle Fuyaient en le suivant les chanteuses plaintives Elles dirent adieu au gouffre et à l’écueil A leurs pâles époux couchés sur les terrasses Puis ayant pris leur vol vers le brûlant soleil Les suivirent dans l’onde où s’enfoncent les astres Lorsque la nuit revint couverte d’yeux ouverts Errer au site où l’hydre a sifflé et hiver Et j’entendis soudain ta voix impérieuse O Rome Maudire d’un seul coup mes anciennes pensées Et ce ciel où l’amour guide les destinées Les feuillards repoussés sur l’arbre de la croix Et même la fleur de lys qui meurt au Vatican Macèrent dans le vin que je t’offre et qui a La saveur du sang pur de celui qui connaît Une autre liberté végétale dont tu Ne sais pas que c’est elle la suprême vertu Une couronne du trirègne est tombée sur les dalles Les hiérarques la foulent sous leurs sandales O splendeur démocratique qui pâlit Vienne la nuit royale où l’on tuera les bêtes La louve avec l’agneau l’aigle avec la colombe Une foule de rois ennemis et cruels Ayant soif comme toi dans la vigne éternelle Sortiront de la terre et viendront dans les airs Pour boire de mon vin par deux fois millénaire La Moselle et le Rhin se joignent en silence C’est l’Europe qui prie nuit et jour à Coblence Et moi qui m’attardais sur le quai à Auteuil Quand les heures tombaient parfois comme les feuilles Du cep lorsqu’il fut temps j’entendis la prière Qui joignait la limpidité de ces rivières Le vin de ton pays est meilleur que celui Qui pousse sur nos bords mais aux pampres du Nord Tous les grains ont mûri pour cette soif terrible Mes grappes d’hommes forts saignent dans le pressoir Tu boiras à longs traits tout le sang de l’Europe Parce que tu es beau et que seul tu es noble Parce que c’est dans toi que Dieu peut devenir Et tous mes vignerons dans ces belles maisons Qui reflètent le soir leurs feux dans nos deux eaux Dans ces belles maisons nettement blanches et noires Sans savoir que tu es la réalité chantent ta gloire Mais nous liquides mains jointes pour la prière Nous menons vers le sel les eaux aventurières Et la ville entre nous comme entre des ciseaux Ne reflète en dormant nul feu dans ses deux eaux Dont quelque sifflement lointain parfois s’élance Troublant dans leur sommeil les filles de Coblence Les villes répondaient maintenant par centaines Je ne distinguais plus leurs paroles lointaines Et Trèves la ville ancienne A leur voix mêlait la sienne L’univers tout entier concentré dans ce vin Qui contenait les mers les animaux les plantes Les cités les destins et les astres qui chantent Les hommes à genoux sur la rive du ciel Et le docile fer notre bon compagnon Le feu qu’il faut aimer comme on s’aime soi-même Tous les fiers trépassés qui sont un sous mon front L’éclair qui luit ainsi qu’une pensée naissante Tous les noms six par six les nombres un à un Des kilos de papier tordus comme des flammes Et ceux-là qui sauront blanchir nos ossements Les bons vers immortels qui s’ennuient patiemment Des armées rangées en bataille Des forêts de crucifix et mes demeures lacustres Au bord des yeux de celle que j’aime tant Les fleurs qui s’écrient hors de bouches Et tout ce que je ne sais pas dire Tout ce que je ne connaitrai jamais Tout cela tout cela changé en ce vin pur Dont Paris avait soif Me fut alors présenté Actions belles journées sommeils terribles Végétation accouplements musiques éternelles Mouvements adorations douleur divine Mondes qui vous ressemblez et qui nous ressemblez Je vous ai bu et ne fus pas désaltéré Mais je connus dès lors quelle saveur a l’univers Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers Sur le quai d’où je voyais l’onde couler et dormir les bélandres Ecoutez mes chants d’universelle ivrognerie Et la nuit de septembre s’achevait lentement Les feux rouges des ponts s’éteignaient dans la Seine Les étoiles mouraient le jour naissait à peine GUILLAUME APOLLINAIRE
Rien n’est mort que ce qui n’existe pas encore Près du passé luisant demain est incolore, Il est informe aussi près de ce qui parfait Présente tout ensemble et l’effort et l’effet.
Le plus vieux avait un maillot couleur de ce rose violâtre qu’ont aux joues certaines jeunes filles actives, mais près de la mort.
Le Musicien de Saint-Merry J’ai enfin le droit de saluer des êtres que je ne connais pas Ils passent devant moi et s’accumulent au loin Tandis que tout ce que j’en vois m’est inconnu Et leur espoir n’est pas moins fort que le mien Je ne chante pas ce monde ni les autres astres Je chante toutes les possibilités de moi-même hors de ce monde et des astres Je chante la joie d’errer et le plaisir d’en mourir Le 21 du mois de mai 1913 Passeur des morts et les mordonnantes mériennes Des millions de mouches éventaient une splendeur Quand un homme sans yeux sans nez et sans oreilles Quittant le Sébasto entra dans la rue Aubry-le-Boucher Jeune l’homme était brun et ce couleur de fraise sur les joues Homme Ah!
Des corbeaux éployés comme des tildes font Une ombre vaine aux pauvres champs de seigle mûr, Non loin des bourgs où des chaumières sont impures D’avoir des hiboux morts cloués à leur plafond.