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2. (1915) [Page de titre] « [Page de titre] »

[Page de titre]   Guillaume Apollinaire Case d’Armons Aux Armées de la République [signaux optiques d’artillerie] 1915

3. (1915) [Envoi autographe] « [Envoi autographe] »

[Envoi autographe]   [à l’encre noire] Au maréchal des logis Lucien Bodard Son compagnon d’armes Guillaume Apollinaire Brigadier le 20 juin 1915 [signal optique d’artillerie] 3

4. (1913) Poème sans titre (incipit : « Au nord au sud ») « Poème sans titre (incipit : « Au nord au sud ») »

Poème sans titre (incipit : « Au nord au sud ») Au nord au sud Zénith nadir Et les grands cris de l’est L’Océan à l’ouest se goufle La tour à la roue S’adresse Guillaume Apollinaire

5. (1913) Poème sans titre (incipit : « Ermenonville, arbres tremblants ») « Poème sans titre (incipit : « Ermenonville, arbres tremblants ») »

Guillaume Apollinaire.

6. (1918) Calligramme en forme de morceau de sucre « Calligramme en forme de morceau de sucre »

Guillaume Apollinaire.

7. (1903) Le Retour « Le Retour »

» — « Tu viens de toquer à sa porte » — « Et je suis veuve, aux pieds meurtris. » Guillaume Apollinaire.

8. (1914) Cœur couronne et miroir « Cœur couronne et miroir »

Siéglier-Pascal [cœur] Mon Cœur semblable à une flamme renversée [couronne] Les rois qui meurent tour à tour renaissent au cœur des poètes [miroir] Dans ce miroir je suis enclos vivant et vrai comme on imagine les anges et non comme sont les reflets Guillaume Apollinaire

9. (1916) Voyage (incipit : « Du joli bateau de Port-Vendres ») « Voyage (incipit : « Du joli bateau de Port-Vendres ») »

Du joli bateau de Port-Vendres Tes yeux étaient les matelots Et comme les flots étaient tendres Dans les parages de Palos Que de sous-marins dans mon âme Naviguent et vont l’attendant Le superbe navire où clame Le chœur de ton regard ardent Guillaume Apollinaire

10. (1918) Poème sans titre (incipit : « Vous me parlez d’un ministère ») « Poème sans titre (incipit : « Vous me parlez d’un ministère ») »

Poème sans titre (incipit : « Vous me parlez d’un ministère ») Vous me parlez d’un ministère Et des Lettres et des Beaux-Arts Je vous réponds que c’est la guerre La guerre avec tous ses hasards Que pensez-vous donc cher confrère De celui-ci qu’il faudrait faire Et qui serait le ministère Des Embusqués et des Froussards Signé : Guillaume Apollinaire

11. (1915) [Envoie autographe] « [Envoi autographe] »

[Envoi autographe] [à l’encre rouge] A mon cher ami le Florentin Alberto Magnelli dont le goût est sûr comme l’amitié Cordial Souvenir de Guillaume Apollinaire maréchal des logis à la 45e Batterie du 38e Régiment d’Artillerie de campagne Aux Armées, ce 19 octobre 1915 (secteur postal 138) [signal optique d’artillerie] 3 [verticalement] VIVE LA FRANCE ET VIVE L’ITALIE

12. (1917) [Calligramme (cheval)] « [Calligramme (cheval)] »

[Calligramme (cheval)] [cheval] Homme vous trouverez ici une nouvelle représentation de l’univers en ce qu’il a de plus poétique et de plus moderne Homme Homme Homme Homme Homme Homme Homme Homme Laissez-vous allez à cet art où le sublime n’exclut pas le charme et l’éclat ne brouille pas la nuance c’est l’heure d’être sensible à la poésie car elle domine tout terriblement Guillaume Apollinaire

13. (1911) Stances (Signe de l’Automne) « Stances (Signe de l’Automne) »

Mon Automne éternel, ô ma Saison mentale, Les mains des Amantes d’antan jonchent ton sol ; Une Épouse me suit, c’est mon Ombre fatale, Les Colombes, ce soir, prennent leur dernier vol… Guillaume Apollinaire.

14. (1914) L'Anguille « L’Anguille »

L’Anguille Jeanne Houhou la très gentille Est morte entre des draps très blancs Pas seule Bébert dit l’Anguille Narcisse et Hubert le merlan Près d’elle faisaient leur manille Et la crâneuse de Clichy Aux rouges yeux de dégueulade Répète Mon eau de Vichy Va dans le panier à salade Haha sans faire de chichi Les yeux dansants comme des anges Elle riait elle riait Les yeux très bleus les dents très blanches Si vous saviez si vous saviez Tout ce que nous ferons dimanche Guillaume Apollinaire

15. (1908) Poème (incipit : « Le chemin qui mène aux étoiles ») « Poème (incipit : « Le chemin qui mène aux étoiles ») »

Guillaume Apollinaire

16. (1915) Voyage (incipit : « Adieu amour nuage qui ») « Voyage (incipit : « Adieu amour nuage qui ») »

Voyage (incipit : « Adieu amour nuage qui »)   A Mlle Paula Valmont [nuage] Adieu amour nuage qui fuis et n’a pas chu pluie fécondante refais le voyage de Dante [oiseau] télégraphe oiseau qui laisse tomber ses ailes partout [train] où va donc ce train qui meurt au loin dans les vals et les beaux bois frais du tendre été si pâle [ciel] la douce nuit lunaire et pleine d’étoiles c’est ton visage que je ne vois plus   Idéogramme Guillaume Apollinaire

17. (1913) Liens « Liens »

Guillaume Apollinaire.

18. (1901) Passion « Passion »

Neu Glück, 1901 Guillaume Apollinaire

19. (1916) 4 heures « 4 heures »

4 heures C’est 4 heures du matin Je me lève tout habillé Je tiens une savonnette Que m’a envoyée quelqu’un que j’aime Je vais me laver Je sors du trou où nous dormons Je suis dispos Et content de pouvoir me laver ce qui ne m’est pas arrivé depuis trois jours Suis lavé je vais me faire raser Ensuite bleu de ciel je me confonds avec l’horizon jusqu’à la nuit et c’est un plaisir trés doux De ne rien dire de plus, tout ce que je fais c’est un être invisible qui le fait puis-qu’une fois boutonné tout bleu confondu dans le ciel je deviens invisible Guillaume Apollinaire.

20. (1909) Crépuscule « II. Crépuscule »

Guillaume Apollinaire.

21. (1902) La Fuite « La Fuite »

Guillaume Apollinaire.

22. (1917) Chef de section « Chef de section »

Chef de section Ma bouche aura des ardeurs de géhenne Ma bouche te sera un enfer de douceur et de séduction Les anges de ma bouche trôneront dans ton cœur Les soldats de ma bouche te prendront d’assaut Les prêtres de ma bouche encenseront ta beauté Ton âme s’agitera comme une région pendant un tremblement de terre Tes yeux seront alors chargés de tout l’amour qui s’est amassé dans les regards de l’humanité depuis qu’elle existe Ma bouche sera une armée contre toi une armée pleine de disparates Variée comme un enchanteur qui sait varier ses métamorphoses L’orchestre et les chœurs de ma bouche te diront mon amour Elle te le murmure de loin Tandis que les yeux fixés sur la montre j’attends la minute prescrite pour l’assaut Mars 1916 Guillaume Apollinaire.

23. (1909) La Vierge à la fleur de haricot à Cologne « La Vierge à la fleur de haricot à Cologne »

Guillaume Apollinaire.

24. (1916) On les aura! « On les aura ! »

Guillaume Apollinaire.

25. (1917) Le Voyage du Kabyle « Le Voyage du Kabyle »

Le Voyage du Kabyle Belle couleur du Pobiron [à droite, verticalement de gauche à droite] il n’écoute pas il marche vite         et chacun danse à sa manière lorsque la journée est belle [à droite, verticalement de droite à gauche] Ordres de Bourse                Dans l’Ombre ou bien dans la lumière                Jusqu’au faux pas pis qu’au trépas Des doigts d’ivoire mourir sur des tombes jaunies                      il est des jours où j’aime où j’aime                      il est des jours où je désaime Dans la fumée d’un cigare j’ai vu des mondes des moustres des spirales La boite d’allumettes                                 Et vous monsieur Bichon Les râles des mourants Mourant dans leurs maisons En automne avec les feuilles immences du silence                        Demain douteux demain [à gauche, verticalement de droite à gauche] quelques oranges [à droite, verticalement de droite à gauche] DANS LE JARDIN          Et nous n’avons rien dit                extase d’anges                claquants des dents          De loin un doigt levé                        Jamais                                   Dormons                                                  Dormez Guillaume Apollinaire

26. (1905) Le Mendiant « Le Mendiant »

[Guillaume Apollinaire.]

27. (1916) Fusée « Fusée »

Fusée La boucle des cheveux noirs de ta nuque est mon trésor Ma pensée te rejoint et la tienne la croise * *   * Tes seins sont les seuls obus que j’aime Ton souvenir est la lanterne de repérage qui nous sert à pointer la nuit * *   * En voyant la large croupe de mon cheval j’ai pensé à tes hanches * *   * Voici les fantassins qui s’en vont à l’arrière en lisant un journal * *   * Le chien du brancardier revient avec une pipe dans sa gueule * *   * Un chat-huant aile fauve yeux ternes gueule de petit chat et pattes de chat * *   * Une souris verte file parmi la mousse * *   * Notre amour est un sous les étoiles * *   * Le riz a brûlé dans la marmite du campement Ça signifie qu’il faut prendre garde à bien des choses * *   * Le mégaphone crie « allongez le tir » * *   * Allongez le tir amour de vos batteries * *   * Balance des batteries lourdes cymbales qu’agitent les chérubins fous d’amour En l’honneur du Dieu des armées * *   * Un arbre dépouillé sur une butte * *   * Le bruit des tracteurs qui grimpent dans la vallée * *   * O vieux monde du XIX e  siècle plein de hautes cheminées si belles et si pures * *   * Virilités du siècle où nous sommes O canons * *   * Douilles éclatantes des obus de 75 carillonnez pieusement Guillaume Apollinaire

28. (2019) Salomé « Salomé »

Salomé par Guillaume Apollinaire Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste, Sire, je danserais mieux que les séraphins.

29. (1911) Salomé « Salomé »

Guillaume Apollinaire.

30. (1914) La Farce du Miroir « La Farce du Miroir »

Guillaume Apollinaire.

31. (1904) Schinderhannes « Schinderhannes »

Guillaume Apollinaire

32. (1914) Rotsoge « Rotsoge »

90 ou 324 un homme en l’air un veau qui regarde à travers le ventre de sa mère J’ai cherché longtemps sur les routes Tant d’yeux sont clos au bord des routes Le vent fait pleurer les saussaies Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre Regarde mais regarde donc Le vieux se lave les pieds dans la cuvette Una volta ho inteso dire Ach du lieber Jott Et je me pris à pleurer en me souvenant de nos enfances Et toi tu me montres un violet épouvantable Ce petit tableau où il y a une voiture m’a rappelé le jour Un jour fait de morceaux mauves jaunes bleus verts et rouges Où je m’en allais à la campagne avec une charmante cheminée tenant sa chienne en laisse J’avais un mirliton que je n’aurais pas échangé contre un bâton de maréchal de France Il n’y en a plus je n’ai plus mon petit mirliton La cheminée fume loin de moi des cigarettes russes La chienne aboie contre les lilas Et la veilleuse consumée Sur la robe ont chu des pétales Deux anneaux d’or près des sandales Au soleil se sont allumés Tandis que tes cheveux sont comme le trolley A travers l’Europe vêtue de petits feux multicolores Guillaume Apollinaire

33. (1902) Élégie du voyageur aux pieds blessés « Élégie du voyageur aux pieds blessés »

Guillaume Apollinaire

34. (1905) Dans le palais de Rosemonde « Dans le Palais de Rosemonde »

Guillaume Apollinaire.

35. (1913) Lundi rue Christine « Lundi rue Christine »

Lundi rue Christine La mère de la concierge et la concierge laisseront tout passer Si tu es un homme tu m’accompagneras ce soir Il suffirait qu’un type maintint la porte cochère Pendant que l’autre monterait Trois becs de gaz allumés La patronne est poitrinaire Quand tu auras fini nous jouerons une partie de jacquet Un chef d’orchestre qui a mal à la gorge Quand tu viendras à Tunis je te ferai fumer du Kief Ça a l’air de rimer Des piles de soucoupes des fleurs un calendrier Pim pam pim Je dois fiche près de 300 francs à ma probloque Je préférerais me couper le parfaitement que de les lui donner Je partirai à 20 h. 27 Six glaces s’y dévisagent toujours Je crois que nous allons nous embrouiller encore davantage Cher monsieur Vous êtes un mec à la mie de pain Cette dame a le nez comme un ver solitaire Louise a oublié sa fourrure Moi je n’ai pas de fourrure et je n’ai pas froid Le Danois fume sa cigarette en consultant l’horaire Le chat noir traverse la brasserie Ces crêpes étaient exquises La fontaine coule Robe noire comme ses ongles C’est complètement impossible Voici monsieur La bague en malachite Le sol est semé de sciure Alors c’est vrai La serveuse rousse a été enlevée par un libraire Un journaliste que je connais d’ailleurs très vaguement Ecoute Jacques c’est très sérieux ce que je vais te dire Compagnie de Navigation mixte Il me dit monsieur voulez-vous voir ce que je peux faire d’eaux fortes et de tableaux Je n’ai qu’une petite bonne Après déjeuner café du Luxembourg Une fois là il me présente un gros bonhomme Qui me dit écoutez c’est charmant A Smyrne à Naples en Tunisie Mais nom de Dieu où est-ce La dernière fois que j’ai été en Chine C’est il y a huit ou neuf ans L’Honneur tient souvent à l’heure que marque la pendule La quinte major Guillaume Apollinaire

36. (1915) 2e canonnier conducteur « 2e canonnier conducteur »

2e canonnier conducteur Me voici libre et fier parmi mes compagnons Le Réveil a sonné et dans le petit jour je salue La fameuse Nancéenne que je n’ai pas connue   [trompette] As-tu connu la putain de Nancy qui a foutu la vxxxxx à toute l’artillerie l’artillerie ne s’est pas aperçu qu’elle avait mal au [cul] Les 3 serveants bras dessus bras dessous se sont endormis sur l’avant-train Et conducteur par mont par val sur le porteur Au pas au trot et parfois au galop je conduis le canon                                           Le bras de l’officier est mon étoile polaire Il pleut mon manteau est trempé et je m’essuie parfois, la figure Avec la serviette-torchon qui est dans la sacoche du sous-verge Voici des fantassnis aux pas pesants aux pieds boueux La pluie les pique de ses aiguilles le sac les suit Fantassins marchantes mottes de terre Vous êtes la puissance Du sol qui vous a faits Et c’est le sol qui va Lors que vous avancer   [botte] sacré nom de Dieu quelle allure nom de Dieu quelle allure cependant que la nuit descend [Notre-Dame] souvenirs de Paris avant la guerre ils seront bien plus doux après la victoire [Tour Eiffel] salut monde dont je suis la langue éloquente que sa bouche ô Paris tire et tirera toujours aux Allemands Un officier passe au galop Comme un ange bleu dans la plue grise Un blessé chemine en fumant une pipe Le lièvre détale et voici un russieau que j’aime Et cette jeune femme nous salue charretiers                                            La Victoire se tient après nos jugulaires                Et calcule pour nos canons les mesures angulaires                                     Nos salves nos rafales sont ses cris de joie                                     Ses fleurs sont nos obus aux gerbes merveilleuses                                     Sa pensée se recueille aux trauchées glorieuses   [obus] j’entends chanter l’oiseau le bel oiseau rapace Guillaume Apollinaire.

37. (1916) Epître à Léo Larguier, caporal-brancardier, en réponse à la sienne « Epître à Léo Larguier, caporal-brancardier, en réponse à la sienne »

…) Et j’ajoute, mon cher, style communiqué : « Duel d’artillerie, à minuit, en Champagne… » Guillaume Apollinaire Le ier juin 1915 . »

38. (1903) Avenir « Avenir »

Guillaume Apollinaire.

39. (1914) Souvenir du Douanier « Souvenir du Douanier »

                   Il y a d’autres filles                    Dans l’arrondissement                    De douces de gentilles                    Et qui n’ont pas d’amants                          Je tourne vire                          Phare affolé                          Mon navire                          S’est en allé Guillaume Apollinaire

40. (1914) Le los du Douanier « Le los du Douanier »

             Il y a d’autres filles              Dans l’arrondissement              De douces des gentilles              Et qui n’ont pas d’amants                       Je tourne vire                       Phare affolé                       Mon beau navire                       S’est en allé Guillaume Apollinaire

41. (1909) [« Voie lactée, ô sœur lumineuse »] « [« Voie lactée, ô sœur lumineuse »] »

Guillaume Apollinaire.

42. (1918) La Jolie Rousse « La Jolie Rousse »

La Jolie Rousse Me voici devant tous un homme plein de sens Connaissant de la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour Ayant su quelquefois imposer ses idées Connaissant plusieurs langages Ayant pas mal voyagé Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie Blessé à la tête trépané sous le chloroforme Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre Entre nous et pour vous amis Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention                     De l’Ordre et de l’Aventure Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu Bouche qui est l’ordre même Soyez indulgents quand vous nous comparez A ceux qui furent la perfection de l’ordre Nous qui quêtons partout l’aventure Nous ne sommes pas vos ennemis Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines Où le mystère en fleur s’offre à qui veut le cueillir Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues Mille phantasmes impondérables Auxquels il faut donner de la réalité Nous voulons explorer la Bonté contrée énorme où tout se tait Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières De l’illimité et de l’avenir Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés Voici que vient l’été la saison violente Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps O Soleil c’est le temps de la Raison ardente                      Et j’attends Pour la suivre toujours la forme noble et douce Qu’elle prend afin que je l’aime seulement Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant                    Elle a l’aspect charmant                    D’une adorable rousse Ses cheveux sont d’or on dirait Un bel éclair qui durerait Ou ces flammes qui se pavanent Dans les roses-thé qui se fanent Mais riez riez de moi Hommes de partout et surtout gens d’ici Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire Ayez pitié de moi Guillaume Apollinaire

43. (1901) Les Femmes « Les Femmes »

Guillaume Apollinaire

44. (1907) Le Pyrée « Le Pyrée »

Guillaume Apollinaire.

45. (1916) Chant de l'horizon en Champagne « Chant de l’horizon en Champagne »

je suis le pauvre Pierre                Boyaux et rumeur du canon                Sur cette mer aux blanches vagues                Fou stoïque comme Zénon                Pilote du cœur tu zigzagues                Petites forêts de sapins                La nichée attend la becquée                Pointe-t-il des nez de lapins                Comme l’euphorbe verruquée                Ainsi que l’euphorbe d’ici                Le soleil à peine boutonne                Je l’adore comme un Parsi                Ce tout petit soleil d’automne                Un fantassin presque un enfant                Pur comme le jour qui s’écoule                Pur comme mon cœur triomphant                Disait en mettant sa cagoule                Tandis que nous n’y sommes pas                Que de filles deviennent belles                Voici l’hiver et pas à pas                Leur beauté s’éloignera d’elles                O lueurs soudaines des tirs                Cette beauté que j’imagine                Faute d’avoir des souvenirs                Tire de vous son origine                Car elle n’est rien que l’ardeur                De la bataille violente                Et de la terrible lueur                Il se fait une muse ardente Il regarde longtemps l’horizon Couteaux tonneaux d’eaux Des lanternes allumées se sont croisées Moi l’horizon je combattrai pour la victoire Je suis l’invisible qui ne peut disparaître Je suis comme l’onde Allons ouvrez les écluses que je me précipite et renverse tout Guillaume Apollinaire.

46. (1912) Merlin et la vieille femme « Merlin et la vieille femme »

Guillaume Apollinaire.

47. (1914) Un fantôme de nuées « Un fantôme de nuées »

Un fantôme de nuées   Comme c’était la veille du quatorze Juillet Vers les quatre heures de l’après-midi Je descendis dans la rue pour aller voir les saltimbanques Ces gens qui font des tours en plein air Commencent à être rares à Paris Dans ma jeunesse on en voyait beaucoup plus qu’aujourd’hui Ils s’en sont allés presque tous en province Je pris le boulevard Saint-Germain Et sur une petite place située entre Saint-Germain-des-Prés et la statue de Danton Je rencontrai les saltimbanques La foule les entourait muette et résignée à attendre Je me fis une place dans ce cercle afin de tout voir Poids formidables Villes de Belgique soulevées à bras tendus par un ouvrier russe de Longwy Haltères noirs et creuses qui ont pour tige un fleuve figé Doigts roulants une cigarette amère et délicieuse comme ta vie De nombreux tapis usés couvraient le sol Tapis qui ont des plis qu’on ne défera pas Tapis qui sont presque entièrement couleur de la poussière Et où quelques taches jaunes ou vertes ont persisté Comme un air de musique qui vous poursuit Vois-tu le personnage maigre et sauvage La cendre de ses frères lui sortait en barbe grisonnante Il portait ainsi toute son hérédité au visage Il semblait rêver à l’avenir En tournant machinalement un orgue de Barbarie Dont la lente voix se lamentait merveilleusement Les glouglous les couacs et les sourds gémissements Les saltimbanques ne bougeaient pas Le plus vieux avait un maillot de ce rose violâtre qu’ont aux joues certaines jeunes filles actives mais près de la mort Ce rose là se niche surtout dans les plis qu’entourent souvent leur bouche Ou près des narines C’est un rose plein de traitrise Cet homme portait-il ainsi sur le dos La teinte ignoble de ses poumons Les bras, les bras partout montaient la garde Le second saltimbanque N’était vêtu que de son ombre Je le regardai longtemps Son visage m’échappe entièrement C’est un homme sans tête Un autre enfin avait l’air d’un voyou D’un apache bon et crapule à la fois     Avec son pantalon bouffant et les accroche-chaussettes N’aurait-il pas eu l’apparence d’un maquereau à sa toilette La musique se tut et ce furent des pourparlers avec le public Qui sou à sou jeta sur le tapis la somme de deux francs cinquante Au lieu des trois francs que le vieux avait fixé comme prix des tours Mais quand il fut clair que personne ne donnerait plus rien On se décida à commencer la séance De dessous de l’orgue sortit un tout petit saltimbanque habillé de rose pulmonaire Avec de la fourrure aux poignets et aux chevilles Il poussait des cris brefs Et saluait en écartant gentiment les avant-bras Mains ouvertes Une jambe en arrière prête à la génuflexion Il salua ainsi aux quatre points cardinaux Et quand il marcha sur une boule Son corps mince devint une musique si délicate que nul parmi les spectateurs n’y fut insensible Cher petit esprit sans aucune humanité Pensa chacun Et cette musique des formes Détruisit celle de l’orgue mécanique Que moulait l’homme au visage couvert d’ancêtres Le petit saltimbanque fit la roue Avec tant d’audacieuse harmonie Que l’orgue cessa de jouer Et que l’organiste se cacha le visage dans les mains Aux doigts semblables aux descendants de son destin Fœtus minuscules qui lui sortaient de la barbe Nouveau cri de Peau-Rouge Musique angélique des arbres Disparition de l’enfant Les saltimbanques soulevèrent les grosses haltères à bout de bras Ils jonglèrent avec les poids Mais chaque spectateur cherchait en soi l’enfant miraculeux Siècle ô siècle des nuages     Guillaume Apollinaire.

48. (1913) Un fantôme de nuées « Un fantôme de nuées »

Guillaume Apollinaire.

49. (1914) Le Musicien de Saint-Merry « Le Musicien de Saint-Merry »

Ariane et toi Pâquette et toi Amine Et toi Mia et toi Simone et toi Mavise Et toi Colette et toi la belle Geneviève Elles ont passé tremblantes et vaines Et leurs pas légers et prestes se mouvaient selon la cadence De la musique pastorale qui guidait leurs oreilles avides L’inconnu s’arrêta un moment devant une maison à vendre Maison abandonnée aux vitres brisées C’est un logis du seizième siècle La cour sert de remise à des voitures de livraison C’est là qu’entra le musicien Et sa musique qui s’éloignait devint langoureuse Et les femmes le suivirent dans la maison abandonnée Et toutes y entrèrent confondues en bande Toutes toutes y entrèrent sans regarder derrière elles Sans regretter ce qu’elles ont laissé abandonné Sans regretter le jour la vie et la mémoire Il ne resta bientôt plus personne dans la rue de la Verrerie Sinon moi-même et un prêtre de saint-Merry Nous entrâmes dans la vieille maison Mais nous n’y trouvâmes personne Voici le soir A Saint-Merry c’est l’Angélus qui sonne Cortèges ô cortèges C’est quand jadis le roi revenait de Vincennes Il vint une troupe de casquettiers Il vint des marchands de bananes Il vint des soldats de la garde républicaine O nuit troupeau de regards langoureux des femmes O nuit toi ma douleur et mon attente vaine J’entends mourir le son d’une flûte lointaine Guillaume Apollinaire

50. (1915) A l’Italie (incipit : « L’amour a remué ma vie ») « A l’Italie (incipit : « L’amour a remué ma vie ») »

A l’Italie (incipit : « L’amour a remué ma vie ») L’amour a remué ma vie comme on remue la terre dans la zône des armées J’atteignais l’âge mûr quand la guerre arriva Et dans ce jour d’août 1915 le plus chaud de l’année Bien abrité dans l’hypogée que j’ai creusé moi-même C’est à toi que je songe ITALIE mère de mes pensées Et dejà quand von Kluck marchait sur Paris avant la Marne J’évoquais le sac de Rome par les Allemands Le sac de Rome qu’ont décrit Un Bonaparte le vicaire espagnol Delicado et l’Arétin Je me disais Est-il possible que la nation Qui est la mère de la civilisation Regarde sans la défendre les efforts qu’on fait pour la détruire Puis les temps sont venus les tombes se sont ouvertes Les fantômes des Esclaves toujours frémissants Se sont dressés en criant                                           SUS AUX TUDESQUES Nous l’armée invisible aux cris éblouissants Plus doux que n’est le miel et plus simples qu’un peu de terre Nous te tournons bénignement le dos ITALIE Mais ne t’en fais pas nous t’aimons bien ITALIE f mère qui es aussi notre fille Nous sommes là tranquillement et sans tristesse Et si malgré les masques les sacs de sable les rondins nous tombions Nous savons qu’un autre prendrait notre place Et que LES ARMEES ne périront jamais Les mois ne sont pas longs ni les jours ni les nuits C’est la guerre qui est longue ITALIE Toi notre mère et notre fille quelque chose comme une sœur J’ai comme toi pour me réconforter le quart de pinard Qui met tant de différence entre nous et les Boches J’ai aussi comme toi l’envol des compagnies de perdreaux des 75 Comme toi je n’ai pas cet orgueil sans joie des Boches et je sais rigoler Je ne suis pas sentimental à l’excès comme le sont ces gens sans mesure que leurs actions dépassent sans qu’il sachent s’amuser Notre civilisation a plus de finesse que les choses qu’ils emploient Elle est au delà de la vie confortable Et de ce qui est l’extérieur dans l’art et l’industrie Les fleurs sont nos enfants et non les leurs Même la fleur de lys qui meurt au Vatican La plaine est infinie et les tranchées sont blanches Les avions bourdonnent ainsi que des abeilles Sur les roses momentanées des éclatements Et les nuits sont parées de guirlandes d’éblouissements De bulles de globules aux couleurs insoupçonnées Nous jouissons de tout même de nos souffrances Notre humeur est charmante l’ardeur vient quand il faut Nous sommes narquois car nous savons faire la part des choses Et il n’y a pas plus de folie chez celui qui jette les grenades que chez celui qui plume les patates Tu aimes un peu plus que nous les gestes et les mots sonores Tu as à ta disposition les sortilèges étrusques le sens de la majesté héroïque et le courageux honneur individuel Nous avons le sourire nous devinons ce qu’on ne nous dit pas nous sommes démerdards et même ceux qui se dégonflent sauraient à l’occasion faire preuve de l’esprit de sacrifice qu’on appelle la bravoure Et nous fumons du gros avec volupté C’est la nuit je suis dans mon blockaus éclairé par l’électricité en bâton Je pense à toi pays des 2 volcans Je salue le souvenir des sirènes et des scylles mortes au moment de Messine Je salue le Colleoni équestre de Venise Je salue la chemise rouge Je t’envoie mes amitiés ITALIE et m’apprête à applaudir aux hauts faits de ta bleusaille Non parce que j’imagine qu’il y aura jamais plus de bonheur ou de malheur en ce monde Mais parce que comme toi j’aime à penser seul et que les Boches m’en empêcheraient Mais parce que le goût naturel de la perfection que nous avons l’un et l’autre si on les laissait faire serait vite remplacé par je ne sais quelles commodités dont je n’ai que faire Et surtout parce que comme toi je sais je veux choisir et qu’eux voudraient nous forcer à ne plus choisir Une même destinée nous lie en cette occase Ce n’est pas pour l’ensemble que je le dis Mais pour chacun de tei ITALIE Ne te borne point à prendre les terres irrédentes Mets ton destin dans la balance où est le nôtre Les réflecteurs dardent leurs lueurs comme des yeux d’escargots Et les obus en tombant sont des chiens qui jettent de la terre avec leurs pattes après avoir fait leurs besoins Notre armée invisible est une belle nuit constellée Et chacun de nos hommes est un astre merveilleux               O nuit, o nuit éblouissante Les morts sont avec nos soldats Les morts sont debout dans les tranchées Ou se glissent souterrainement vers les Bien-Aimees O Lille Saint-Quentin Laon Maubeuge Vouziers Nous jetons nos villes comme des grenades Nos fleuves sont brandis comme des sabres Nos montagnes chargent comme cavalerie Nous reprendrons les villes les fleuves et les collines De la frontière helvétique aux frontières bataves               Entre toi et nous ITALIE Il y a des patelins pleins de femmes Et près de toi m’attend celle que j’adore                                O FRERES D’ITALIE Ondes nuages délétères Metalliques débris qui vous rouillez partout O frères d’ITALIE vos plumes sur la tête                                          ITALIE Entends crier Louvain vois Reims tordre ses bras Et ce soldat blessé toujours debout Arras               Et maintenant chantons ceux qui sont morts               Ceux qui vivent les officiers et les soldats               Les flingots Rosalie le canon la fusée l’hélice la pelle les chevaux Chantons les bagues pâles les casques                 Chantons ceux qui sont morts                 Chantons la terre qui bâille d’ennui                 Chantons et rigolons                 Durant des années                                                   ITALIE Entends braire l’âne boche Faisons la guerre à coups de fouets Faits avec les rayons du soleil                                                   ITALIE Chantons et rigolons                 Durant des années Guillaume Apollinaire.

51. (1902) L'Ermite « L’Ermite »

Et je ne veux plus rien, sinon laisser se clore Mes yeux, couple lassé, au verger pantelant Plein du râle pompeux des groseillers sanglants Et de la sainte cruauté des passiflores. » Guillaume Apollinaire

52. (1908) Fiançailles « Fiançailles »

Guillaume Apollinaire.

53. (1903) Le Larron « Le Larron »

Qu’on souffle les flambeaux à cause des convives Qui se fiant au Bègue ont peur d’être brûlés. » Guillaume Apollinaire.

54. (1913) Zône « Zône »

Zône A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La Religion seule est restée toute neuve la Religion Est restée simple comme les hangars de Port Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est toi pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières O portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les Directeurs les Ouvriers et les belles sténodactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Eglise Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Et dans l’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que malgré tout nous tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est larbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité c’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux qui transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles A tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pi-his longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis s’en vient la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigles phénix et pi-his de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Et vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse L’image qui te possède te fait sourire dans l’insomnie et dans l’angoisse Et c’est toujours près de toi la métive qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du Mensonge et de l’Age Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder la croix et à tous moments tu voudrais sangloter Sur moi sur celle que j’aime sur tout ce qui m’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Des familles transportent un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Beaucoup de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges Je les ai vu souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant On chante on danse on boit du champagne Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu adieu Soleil levant cou tranché Guillaume Apollinaire

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