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2. (1912) Clotilde « Clotilde »

Il y vient aussi nos ombres Que la nuit dissipera, Le soleil qui les rend sombres Avec elles disparaîtra. […] Il faut que tu poursuives Cette belle ombre que tu veux.

3. (1911) Crépuscule (incipit : « Frôlée par les ombres des morts ») « Crépuscule (incipit : « Frôlée par les ombres des morts ») »

Crépuscule (incipit : « Frôlée par les ombres des morts ») Frôlée par les ombres des morts Sur l’herbe où le jour s’exténue, L’Arlequine s’est mise nue Et dans l’étang mire son corps Un charlatan crépusculaire Vante les tours que l’on va faire Le Ciel sans teinte est constellé D’astres pâles comme du lait Sur les tréteaux l’Arlequin blême Salue d’abord les spectateurs Des sorciers venus de Bohême Quelques fées et les enchanteurs !

4. (1908) Ibis « Ibis »

Ibis Oui, j’irai dans l’ombre terreuse.

5. (1912) Le Voyageur « Le Voyageur »

Les cyprès projetaient sous la lune leurs ombres ; J’écoutais cette nuit, au déclin de l’été, Un oiseau langoureux et toujours irrité Et le bruit éternel d’un fleuve large et sombre Mais tandis que, mourants, roulaient vers l’estuaire Tous les regards, tous les regards de tous les yeux Les bords étaient déserts, herbus, silencieux Et la montagne à l’autre rive était très claire. Alors sans bruit, sans qu’on pût voir rien de vivant, Contre le mont passèrent des ombres vivaces, De profil ou soudain tournant leurs vagues faces Et tenant l’ombre de leurs lances en avant. Les ombres, contre le mont perpendiculaire, Grandissaient ou parfois s’abaissaient brusquement, Et ces ombres barbues pleuraient humainement En glissant pas à pas sur la montagne claire.

6. (1914) Tour de Pise « Tour de Pise »

Tour de Pise Les dames pisanes sont descendues rêver Dans leurs vergers où palpitent des lucioles Et derrière les murs des flûtes des violes Disent l’amour perdu que l’on veut retrouver Puis quand les inconnus ont évoqué leur peine Ou qu’ils s’en vont à l’heure où doit passer le guet Avec ses vingt lueurs et son cri fatigué Elles ont peur de l’ombre et de l’heure prochaine De l’ombre où jusqu’au jour les lucioles sont Les larmes d’un regret ardent comme une flamme Tandis que vous sentez dans la nuit de votre âme Des violes d’amour vibrer le dernier son Et l’heure va venir ô belles délicates Ne sera-ce pas l’heure enfin d’avoir sommeil Quand passera le guet avec son cri pareil Aux plaintes de l’amour qui vous rendit ingrates Alors sur les perrons en écoutant mourir La source qui languit les Pisanes penchées Comme leur Tour et par la mort effarouchées Attendent cependant l’amour qui va venir.

7. (1913) Hy de Park [Hyde Park] « Hy de Park [Hyde Park] »

Hy de Park [Hyde Park] Les Faiseurs de religions Prêchaient dans le brouillard Les ombres près de qui nous passions Jouaient à colin-maillard A soixante-dix ans Joues fraîches de petits enfants Venez venez Éléonore Et que sais-je encore Regardez venir les cyclopes Les pipes s’envolaient Mais envolez-vous en Regards impénitents Et l’Europe l’Europe Regards sacrés Mains énamourées Et les amants s’aimèrent Tant que prêcheurs prêchèrent GUILLAUME APOLLINAIRE

8. (1914) Plongeon « Plongeon »

Plongeon Pique une tête pour pêcher les perles du fleuve Dit vert, qui est bleu et jaunit qu’il neige ou pleuve Dans l’eau d’acier ton ombre te précèdera Les vents chantent Jouhé les cors cornent Trara Tête en bas les yeux ouverts pêche la perle Chois tout nu jambes ouvertes y grec ou pairle Et des vapeurs pleins de mouchoirs descendent le Rhin Sur l’autre rive et en rampant s’enfuit un train.

9. (1917) [Calligramme (lunettes)] « [Calligramme (lunettes)] »

[Calligramme (lunettes)] [lunettes] il a contemplé les foules et il en a exprimé la vie par le moyen de quelques ombres humaines il n’attend pas que le temps donne de l’originalité à ses sensations il est sûr de lui il sait donner une ordonnance à la fois pompeuse et familière à tous les détails, si bien que dans ce qui est si naturel dans son œuvre, on pourrait le comparer à l’art du dramaturge

10. (1917) Photographie « Photographie »

Photographie                  Ton sourire m’attire comme               Pourrait m’attirer une fleur           Photographie tu es le champignon brun                                 De la forêt                          Qu’est sa beauté                          Les blancs y sont                          Un clair de lune                  Dans un jardin pacifique Plein d’eaux vives et de jardiniers endiablés   Photographie tu es la fumée de l’ardeur                        Qu’est sa beauté                              Et il y a en toi                                Photographie                          Des tons alanguis                              On y entend                            Une mélopée                  Photographie tu es l’ombre                                Du Soleil                        Qu’est sa beauté Août 1915

11. (1909) Crépuscule « Crépuscule »

Crépuscule Ruines au bord du vieux Rhin On s’embrasse bien dans votre ombre.

12. (1911) Stances (Signe de l’Automne) « Stances (Signe de l’Automne) »

Mon Automne éternel, ô ma Saison mentale, Les mains des Amantes d’antan jonchent ton sol ; Une Épouse me suit, c’est mon Ombre fatale, Les Colombes, ce soir, prennent leur dernier vol… Guillaume Apollinaire.

13. (1912) Le Signe de l'Automne « Le Signe de l’Automne »

Mon Automne éternelle, ô ma saison mentale, Les mains des amantes d’antan jonchent ton sol, Une épouse me suit, c’est mon ombre fatale, Les colombes, ce soir, prennent leur dernier vol…

14. (1908) Poème (incipit : « Le chemin qui mène aux étoiles ») « Poème (incipit : « Le chemin qui mène aux étoiles ») »

Poème (incipit : « Le chemin qui mène aux étoiles ») Le chemin qui mène aux étoiles Est pur, sans ombre et sans clarté.

15. (1913) Rolandseck « Rolandseck »

Rolandseck A Rolandseck je rêvais sur la rive verte La nonne de Roland dans l’île Nonnenwerth Semblait passer ancienne parmi les fillettes Les sept montagnes dormaient comme les bêtes Enfin lasses qui gardaient les princesses légendaires Et rêvant j’attendais le bac rectangulaire Des gens descendant venaient aussi pour passer le fleuve Trois dames au parler hanovrien Effeuillaient sans raison des roses dans le Rhin Qui semble une veine de Ton Corps si noble Sur la route bordant le fleuve et tachée d’ombre                  Fuyaient tremblant de peur Comme des chevaliers indignes les autos Tandis qu’au fil du Rhin s’en allaient des bateaux                  A vapeur

16. (1914) L'Ignorance « L’Ignorance »

L’Ignorance Icare Soleil je suis jeune et c’est à cause de toi Mon ombre pour être fauste je l’ai jetée Pardon je ne fais pas plus d’ombre qu’une étoile Je suis le seul qui pense dans l’immensité Mon père m’apprit les détours du labyrinthe Et la science de la terre et puis mourut Et depuis j’ai scruté longtemps la vieille crainte Du ciel mobile et me suis nourri d’herbes crues Les oracles c’est vrai désapprouvaient ce zèle Mais nul dieu pour tout dire n’est intervenu Et pieux j’ai peiné pour achever les ailes Qu’un peu de cire fixe à mes épaules nues Et j’ai pris mon essor vers ta face splendide Les horizons terrestres se sont étalés Des déserts de Lybie aux palus méotides Et des sources du Nil aux brumes de Thulé Soleil je viens caresser ta face splendide Et veux fixer ta flamme unique aveuglément Icare étant céleste est plus divin qu’Alcide Et son bûcher sera ton éblouissement Pâtres Je vois un dieu oblong flotter sous le soleil Puisse le premier dieu visible s’en aller Et si c’était un dieu mourant cette merveille Prions qu’il tombe ailleurs que dans notre vallée Icare Pour éviter la Nuit ta mère incestueuse Dieu circulaire et bon je flotte entre les nues Loin de la terre où luit ta fille ténébreuse La Nuit cette inconnue parmi les inconnus Et je vivrai par ta chaleur et d’espérance Mais ton amour soleil brûle divinement Mon corps qu’être divin voulut mon ignorance Et ciel Humains je tourne en l’éblouissement Bateliers Un dieu choît dans la mer un dieu nu les mains vides Au semblant des noyés il ira sur une île Pourrir face tournée vers le soleil splendide Deux ailes feuillolent sous le ciel d’Ionie.

17. (1918) L'enfant d'or « L’enfant d’or »

L’enfant d’or C’est la barque où fuyait près d’une ombre la reine Quand les morts se levaient et lorsque les sanglots Secouaient le monarque ainsi que la carène Qui tremble à l’horizon sur l’écume des flots La chanson des rameurs sur les vagues se traîne La reine et l’enfant d’or agitaient les grelots Dont la fente évoquait la grenade qu’égrène Aux échos des récifs le chœur des matelots Belles chairs de cristal, les joyaux les squelettes Cherront au fond des mers où surnagèrent tant De fleurs de cheveux roux et de rames flottant Parmi les troupes de méduses violettes Cortège de ta fuite ou floraison d’effroi Lorsque cet enfant d’or souriait au vieux roi Guillaume APOLLINAIRE.

18. (1909) Crépuscule « II. Crépuscule »

Crépuscule Frôlée par les ombres des morts, Sur l’herbe où le jour s’exténue L’Arlequine s’est mise nue Et dans l’étang mire son corps.

19. (1917) La Victoire « La Victoire »

La Victoire Un coq chante je rêve et les feuillards agitent Leurs feuilles qui ressemblent à de pauvres marins Ailés et tournoyants comme Icare le faux Des aveugles gesticulant comme des fourmis Se miraient sous la pluie aux reflets du trottoir Leurs rires amassés en grappes de raisin Ne sors plus de chez moi diamant qui parlais Dors doucement tu es chez toi tout t’appartient Mon lit ma lampe et mon casque troué Regards précieux saphirs taillés aux environs de Saint-Claude               Tes joues étaient une pure émeraude Je me souviens de toi ville des météores Ils fleurissaient en l’air pendant ces nuits où rien ne dort Jardins de la lumière où j’ai cueilli des bouquets Tu dois en avoir assez de faire peur à ce ciel                                                                      Qu’il garde son hoquet On imagine difficilement A quel point le succès rend les gens stupides et tranquilles          A l’Institut des jeunes aveugles on a demandé N’avez-vous point ici de jeune aveugle ailé O Bouches l’homme est à la recherche d’un nouveau langage Auquel le grammairien d’aucune langue n’aura rien à dire Et ces vieilles langues sont tellement près de mourir Que c’est vraiment par habitude et manque d’audace Qu’on les fait encore servir à la poésie                     Mais entêtons-nous à parler                              Remuons la langue                              Lançons des postillons On veut de nouveaux sons                        de nouveaux sons                              de nouveaux sons On veut des consonnes sans voyelles Des consonnes qui pètent sourdement                   Imitez le son de la toupie         Laissez petiller un son nasal et continu       Faites claquer votre langue Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans civilité Le raclement aspiré du crachement ferait aussi une belle consonne Les divers pets labiaux rendraient aussi vos discours claironnants Habituez-vous à roter à volonté Et quelle lettre grave comme un son de cloche                      A travers nos mémoires Nous n’aimons pas assez la joie De voir de belles choses neuves           O mon amie hâte-toi,           Crains qu’un jour un train ne t’émeuve                          Plus Regarde-le vite pour toi Ces chemins de fer qui circulent Sortiront bientôt de la vie Ils seront beaux et ridicules Deux lampes brûlent devant moi Comme deux femmes qui rient Je courbe tristement la tête Devant l’ardente moquerie            Ce rire se répand                     Partout Parlez avec les mains faites claquer vos doigts Tapez-vous sur la joue comme sur un tambour                            O paroles           Elles suivent dans la myrtaie           L’Eros et l’Antéros en larmes Je suis le ciel de la cité                       Ecoutez la mer La mer peiner au loin et crier toute seule              Ma voix fidèle comme l’ombre              Veut être enfin l’ombre de la vie Veut être ô mer vivante infidèle comme toi La mer qui a trahi des matelots sans nombre Engloutit mes grands cris comme des dieux noyés Et la mer au soleil ne supporte que l’ombre Que jettent des oiseaux les ailes éployées La parole est soudaine et c’est un dieu qui tremble Avance et soutiens-moi je regrette les mains De ceux qui les tendaient et m’adoraient ensemble Quelle oasis de bras m’accueillera demain Connais-tu cette joie de voir des choses neuves                O Voix, je parle le langage de la mer Et dans le port la nuit les dernières tavernes Moi qui suis plus têtu que non l’hydre de Lerne                La rue où nagent mes deux mains                Aux doigts subtils fouillant la ville                S’en va                             Mais qui sait si demain                La rue devenait immobile                Qui sait où serait mon chemin                Songe que les chemins de fer              Seront démodés et abandonnés dans peu de temps                 Regarde                La victoire avant tout sera               De bien voir au loin                Et de tout voir                De près               Et que tout               Ait un nom nouveau Guillaume APOLLINAIRE.

20. (1917) Le Voyage du Kabyle « Le Voyage du Kabyle »

Le Voyage du Kabyle Belle couleur du Pobiron [à droite, verticalement de gauche à droite] il n’écoute pas il marche vite         et chacun danse à sa manière lorsque la journée est belle [à droite, verticalement de droite à gauche] Ordres de Bourse                Dans l’Ombre ou bien dans la lumière                Jusqu’au faux pas pis qu’au trépas Des doigts d’ivoire mourir sur des tombes jaunies                      il est des jours où j’aime où j’aime                      il est des jours où je désaime Dans la fumée d’un cigare j’ai vu des mondes des moustres des spirales La boite d’allumettes                                 Et vous monsieur Bichon Les râles des mourants Mourant dans leurs maisons En automne avec les feuilles immences du silence                        Demain douteux demain [à gauche, verticalement de droite à gauche] quelques oranges [à droite, verticalement de droite à gauche] DANS LE JARDIN          Et nous n’avons rien dit                extase d’anges                claquants des dents          De loin un doigt levé                        Jamais                                   Dormons                                                  Dormez Guillaume Apollinaire

21. (1917) Sanglots « Sanglots »

Sanglots                         Notre amour est réglé par les calmes étoiles                         Or nous savons qu’en nous beaucoup d’hommes respirent                         Qui vinrent de très loin et sont un sous nos fronts C’est la chanson des rêveurs Qui s’étaient arraché le cœur Et le portaient dans la main droite                         Souviens-t’en cher orgueil de tous ces souvenirs                         Des marins qui chantaient comme des conquérants                          Des gouffres de Thulé des tendres cieux d’ Ophir                         Des malades maudits de ceux qui fuient leur ombre                         Et du retour joyeux des heureux émigrants De ce cœur il coulait du sang Et le rêveur allait pensant A sa blessure délicate                         Tu ne briseras pas la chaîne de ces causes Et douloureuse et nous disait                         qui sont les effets d’autres causes Mon pauvre cœur mon cœur brisé Pareil au cœur de tous les hommes                         Voici voici nos mains que la vie fit esclaves Est mort d’amour ou c’est tout comme Est mort d’amour et le voici                 Ainsi vont toutes choses Arrachez donc le vôtre aussi                         Et rien ne sera libre jusqu’à la fin des temps                         Laissons tout aux morts                         Et cachons nos sanglots GUILLAUME APOLLINAIRE

22. (1917) Pablo Picasso « Pablo Picasso »

Pablo Picasso Voyez ce peintre il prend les choses avec leur ombre aussi et d’un coup d’œil sublimatoire Il se déchire en accords profonds   et agréables à respirer tel l’orgue que j’aime entendre Des Arlequines jouent dans le   rose et bleus d’un beau-ciel   Ce souvenir revit les rêves   et les actives mains   Orient plein de glaciers   L’hiver est rigoureux Lustres   or toile irisée or   loi des stries de feu   fond en murmurant. […]   Prends les araignées roses   à la nage   Regrets d’invisibles pièges   l’air Paisible se souleva mais sur le clavier   musiques Guitare-tempête   ô gai trémolo O gai trémolo   ô gai trémolo Il ne rit pas   l’artiste-peintre Ton pauvre   étincellement pâle L’ombre agile   d’un soir d’été qui meurt Immense désir   et l’aube émerge des eaux si lumineuses Je vis nos yeux   diamants enfermer le reflet du ciel vert et J’entendis sa voix   qui dorait les forêts tandis que vous pleuriez L’acrobate à cheval le poète à moustaches un oiseau mort et tant d’enfants sans larmes Choses cassées des livres déchirés des couches de poussière et des aurores déferlant !

23. (1905) Le Mendiant « Le Mendiant »

Le Mendiant Passant, tu chercheras dans l’ombre cimmérienne Mon fantôme pareil à la réalité, Mais le passeur aura voué mon corps aux chiennes, Mon spectre juste aux gueules du tricapité Et me tenant au bord du fleuve sur qui volent Les obscures migrations des oiseaux blancs Je me lamenterai faute de ton obole Au passage des riches comme moi tremblants.

24. (1905) L’Émigrant de Landor Road « L’Émigrant de Landor Road »

La foule, en tous les sens, remuait en mêlant Des ombres sans amour qui se traînaient par terre Et des mains, vers le ciel plein de lacs de lumière, S’envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs : « Mon bateau partira demain pour l’Amérique                        Et je ne reviendrai jamais, Avec l’argent gagné dans les prairies lyriques, Guider mon ombre aveugle en ces rues que j’aimais ; Car revenir, c’est bon pour un soldat des Indes !

25. (1909) [« Un soir de demi-brume, à Londres »] « [« Un soir de demi-brume, à Londres »] »

J’ai pensé à ces rois heureux Lorsque le faux amour et celle Dont je suis encore amoureux, Heurtant leurs ombres infidèles, Me rendirent si malheureux. […] Pour son baiser les rois du monde Seraient morts ; des pauvres fameux Pour elle eussent vendu leur ombre.

26. (1912) L’Émigrant de Landor Road « L’Émigrant de Landor Road »

La foule, en tous les sens, remuait en mêlant Des ombres sans amour qui se traînaient par terre Et des mains, vers le ciel plein de lacs de lumière, S’envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs : « Mon bateau partira demain pour l’Amérique                              Et je ne reviendrai jamais. Avec l’argent gagné dans les prairies lyriques, Guider mon ombre aveugle en ces rues que j’aimais ; Car revenir, c’est bon pour un soldat des Indes !

27. (1914) Prophéties « Prophéties »

Prophéties J’ai connu quelques prophétesses Madame Salmajour avait appris en Océanie à tirer les cartes C’est là-bas qu’elle avait eu encore l’occasion de participer A une scène savoureuse d’anthropophagie Elle n’en parlait pas à tout le monde En ce qui concerne l’avenir elle ne se trompait jamais Une cartomancienne céretane Marguerite je ne sais plus quoi          Est également habile Mais Madame Deroy est la mieux inspirée          La plus précise Tout ce qu’elle m’a dit du passé était vrai et tout ce qu’elle M’a annoncé s’est vérifié dans le temps qu’elle indiquait J’ai connu un sciomancien mais je n’ai pas voulu qu’il          Interrogeât mon ombre Je connais un sourcier c’est le peintre norvégien Diriks Miroir brisé sel renversé ou pain qui tombe Puissent ces dieux sans figure m’épargner toujours Au demeurant je ne crois pas mais je regarde et j’écoute et notez Que je lis assez bien dans la main Car je ne crois pas mais je regarde et quand c’est possible j’écoute Tout le monde est prophète mon cher André Billy Mais il y a si longtemps qu’on fait croire aux gens Qu’ils n’ont aucun avenir qu’ils sont ignorants à jamais          Et idiots de naissance Qu’on en a pris son parti et que nul n’a même l’idée De se demander s’il connaît l’avenir ou non Il n’y a pas d’esprit religieux dans tout cela          Ni dans les superstitions ni dans les prophéties          Ni dans tout ce que l’on nomme occultisme Il y a avant tout une façon d’observer la nature          Et d’interpréter la nature          Qui est très légitime

28. (1908) Fiançailles « Fiançailles »

La ville, cette nuit, semblait un archipel, Des femmes demandaient l’amour et la dulie, Et sombre, sombre fleuve, je me rappelle Les ombres qui passaient n’étaient jamais jolies. […] Mais si le temps venait, où l’ombre enfin solide Se multipliait en réalisant la diversité formelle de mon amour, J’admirerais mon ouvrage. […] J’ai tout donné au soleil, Tout, sauf mon ombre.

29. (1911) Le Larron « Le Larron »

Le Larron Maraudeur étranger malheureux malhabile Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits Mais puisque tu as faim que tu es en exil Il pleure il est barbare et bon pardonnez-lui Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs Mais ce n’est pas l’exil que je viens simuler Et sachez que j’attends de moyennes tortures Injustes si je rends tout ce que j’ai volé Issu de l’écume des mers comme Aphrodite Sois docile puisque tu es beau naufragé Vois les sages te font des gestes socratiques Vous parlerez d’amour quand il aura mangé Maraudeur étranger malhabile et malade Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades As-tu feint d’avoir faim quand tu volas les fruits Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère et l’adulte De prétexte sinon que s’aimer nuitamment Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes Et des amandes de pomme de pin jonchaient Votre jardin marin où j’ai laissé mes rames Et mon couteau punique au pied de ce pêcher Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades Et presque toutes les figues étaient fendues Il entra dans la salle aux fresques qui figurent L’inceste solaire et nocturne dans les nues Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures Au son des cinyres des Lydiennes nues Or les hommes ayant des masques de théâtre Et les femmes ayant des colliers où pendait La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Parlaient entre eux le langage de la Chaldée Les autans langoureux dehors feignaient l’automne Les convives c’étaient tant de couples d’amants Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne Reçois d’abord le sel puis le pain de froment Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres Mais l’outre en peau de bouc maintient frais le vin blanc Par ironie veux-tu qu’on serve un plat de fèves Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond Une femme lui dit Tu n’invoques personne Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes Veux-tu le talisman heureux de mon collier Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau * *   * Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe Il en est tant venu par la route ou la mer Conquérants égarés qui s’éloignent trop vite Et des bandes souvent qui fuyaient aux éclairs Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes Passa menant un peuple infime pour l’orgueil De manger chaque jour les cailles et la manne Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil Les puiseurs d’eau barbus coiffés de bandelettes Noires et blanches contre les maux et les sorts Revenaient de l’Euphrate et les yeux des chouettes Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors Cet insecte jaseur ô poète barbare Regagnait chastement à l’heure d’y mourir La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares Aux crapauds que l’azur et les sources mûrirent Un triomphe passait gémir sous l’arc-en-ciel Avec de blêmes laurés debout dans les chars Les statues suant les scurriles les agnelles Et l’angoisse rauque des paonnes et des jars Les veuves précédaient en égrenant des grappes Les évêques noirs révérant sans le savoir Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes Pallas et chantaient l’hymne à la belle mais noire Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs Nous aurons des baisers florentins sans le dire Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur * *   * Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène Belphégor le soleil le silence ou le chien Cette furtive ardeur des serpents qui s’entr’aiment Et le larron des fruits cria Je suis chrétien Ah Ah les colliers tinteront cherront les masques Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombre prévaut Ah Ah le larron de gauche dans la bourrasque Rira de toi comme hennissent les chevaux Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau Ah Ah nous secouerons toute la nuit les sistres La voix ligure était-ce donc un talisman Et si tu n’es pas ne droite tu es sinistre Comme une tache grise ou le pressentiment Puisque l’absolu choit la chute est une preuve Qui double devient triple avant d’avoir été Nous avouons que les grossesses nous émeuvent Les ventres pourront seuls nier l’aséité Vois les vases sont pleins d’humides fleurs morales Va-t’en mais dénudé puisque tout est à nous Ouïs du chœur des vents les cadences plagales Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou le gnou L’ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair Et sombre elle est humaine et puis la nôtre aussi Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères Et puis aucun de nous ne croirait tes récits Il brillait et attirait comme la pantaure Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée Et les femmes la nuit feignant d’être des taures L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’en effet Il était pâle il était beau comme un roi ladre Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Au lieu du roseau triste et du funèbre faix Que n’alla-t-il vivre à la cour du roi d’Edesse Maigre et magique il eût scruté le firmament Pâle et magique il eût aimé des poétesses Juste et magique il eût épargné les démons Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre Soit la triade est mâle et tu es vierge et froid Le tact est relatif mais la vue est oblongue Tu n’as de signe que le signe de la croix Vouons le vol à Sparte et l’inceste à Ninive Nous rentrerons demain à l’école d’Elée Qu’on souffle les flambeaux à cause des convives Qui se fiant au Bègue ont peur d’être brûlés

30. (1905) Dans le palais de Rosemonde « Dans le Palais de Rosemonde »

Le jour baisse… « La veilleuse dans l’ombre est un bijou d’or cuit.

31. (1909) [« Beaucoup de ces dieux ont péri »] « [« Beaucoup de ces dieux ont péri »] »

Et toi, qui me suis en rampant, Dieu de mes dieux morts en automne, Tu mesures combien d’empans J’ai droit que la terre me donne, O mon ombre, ô mon vieux serpent ! […] Tu es à moi en n’étant rien, O mon ombre en deuil de moi-même… … L’hiver est mort tout enneigé ; On a brûlé les ruches blanches.

32. (1911) Dans le palais de Rosemonde « Dans le palais de Rosemonde »

Dans le palais de Rosemonde Vers le palais de Rosemonde au fond du Rêve Mes rêveuses pensées pieds nus vont en soirée Le palais don du roi comme un roi nu s’élève Des chairs fouettées des roses de la roseraie On voit venir au fond du jardin mes pensées Qui sourient du concert joué par les grenouilles Elles ont envie des cyprès grandes quenouilles Et le soleil miroir des roses s’est brisé Le stigmate sanglant des mains contre les vitres Quel archer mal blessé du couchant le troua La résine qui rend amer le vin de Chypre Ma bouche aux agapes d’agneau blanc l’éprouva Sur les genoux pointus du monarque adultère Sur le mai de son âge et sur son trente et un Madame Rosemonde roule avec mystère Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeux des Huns Dame de mes pensées au cul de perle fine Dont ni perle ni cul n’égale l’Orient Qui donc attendez-vous Mes plus belles voisines De rêveuses pensées en marche à l’Orient Toc toc Entrez dans l’antichambre Le jour baisse La veilleuse dans l’ombre est un bijou d’or cuit Pendez vos têtes aux patères par les tresses Le ciel presque nocturne a des lueurs d’aiguilles On entra dans la salle à manger les narines Reniflaient une odeur de graisse et de graillon On eut vingt potages dont trois couleur d’urine Et le roi prit deux œufs pochés dans du bouillon Puis les marmitons apportèrent les viandes Des rôtis de pensées mortes dans mon cerveau Mes beaux rêves mort-nés en tranches bien saignantes Et mes souvenirs faisandés en godiveaux Or ces pensées mortes depuis des millénaires Avaient le fade goût des grands mammouths gelés Les os ou songe-creux venaient des ossuaires En danse macabre aux plis de mon cervelet Et tous ces mets criaient des choses non pareilles                               Mais nom de Dieu                         Ventre affamé n’a pas d’oreilles Et les convives mastiquaient à qui mieux mieux Ah nom de Dieu qu’ont donc crié ces entrecôtes Ces grands pâtés os à la moelle et mirotons Langues de feu où sont-elles mes pentecôtes Pour mes pensées de tous pays de tous les temps

33. (1917) [Page 1] « [Page 1] »

Nul avant Survage n’a su mettre dans une seule toile, une ville entière avec l’intérieur de ses maisons Et cette ombre humaine qui surgit aux carrefours

34. (1903) Le Larron « Le Larron »

Va-t’en, va-t’en, contre le feu l’ombre prévaut. […] L’ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair, Et sombre, elle est humaine et puis la nôtre aussi. […] Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre.

35. (1915) Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] « Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] »

Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar]       C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier Auprès des canons gris voilés tournés vers le nord Que je songe au village africain   Où l’on dansait où l’on chantait       Où l’on faisait l’amour           Et de longs discours              Nobles et joyeux Je revois mon père qui se battit  Contre les Achantis au service des Anglais    Caresser les seins durs comme des obus        De ma sœur au rire en folie             Et je revois    Ma mère la sorcière qui seule du village         Méprisait le sel    Piler le millet dans un mortier    En regardant mon frère bercer         Sa superbe virilité    Qui semblait un petit enfant Je me souviens du si délicat si inquiétant    Fétiche dans l’arbre Et du double fétiche de la fécondité    Plus tard une tête coupée    Au bord d’un marécage    O pâleur de mon ennemi    C’était une tête d’argent      Et dans le marais    C’était la lune qui luisait    C’était donc une tête d’argent    Là-haut c’était la lune qui dansait      C’était donc une tête d’argent    Et moi dans l’ombre j’étais invisible      C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde    Similitudes pâleurs Et ma sœur plus tard    Suivit un tirailleur         Mort à Arras    Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l’évêque    Si doux si doux avec ma mère    De beurre de beurre avec ma sœur      C’était dans une petite cabane          Moins sauvage que notre Cagnat de Canonniers servants          J’ai connu l’affût au bord des marécages          Où la girafe boit les jambes écartées             J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste             Le Village                     Viole les femmes                              Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute        J’ai porté l’administrateur des semaines      De village en village                      En chantonnant Et je fus domestique à Paris    Je ne sais pas mon âge       Mais au recrutement       On m’a donné vingt ans    Je suis soldat français on m’a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où   Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir     Pourquoi ne pas danser et discourir         Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses     Sous la tempête de feux métalliques           Je me souviens d’un lac affreux               Une nuit folle           Une nuit de sorcellerie Et de couples enchaînés par un atroce amour

36. (1915) Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] « Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] »

Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar]       C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier Auprès des canons gris voilés tournés vers le nord Que je songe au village africain   Où l’on dansait où l’on chantait       Où l’on faisait l’amour           Et de longs discours              Nobles et joyeux Je revois mon père qui se battit  Contre les Achantis au service des Anglais    Caresser les seins durs comme des obus        De ma sœur au rire en folie             Et je revois    Ma mère la sorcière qui seule du village         Méprisait le sel    Piler le millet dans un mortier    En regardant mon frère bercer         Sa superbe virilité    Qui semblait un petit enfant Je me souviens du si délicat si inquiétant    Fétiche dans l’arbre Et du double fétiche de la fécondité    Plus tard une tête coupée    Au bord d’un marécage    O pâleur de mon ennemi    C’était une tête d’argent      Et dans le marais    C’était la lune qui luisait    C’était donc une tête d’argent    Là-haut c’était la lune qui dansait      C’était donc une tête d’argent    Et moi dans l’ombre j’étais invisible      C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde    Similitudes pâleurs Et ma sœur plus tard    Suivit un tirailleur         Mort à Arras    Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l’évêque    Si doux si doux avec ma mère    De beurre de beurre avec ma sœur      C’était dans une petite cabane          Moins sauvage que notre Cagnat de Canonniers servants          J’ai connu l’affût au bord des marécages          Où la girafe boit les jambes écartées             J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste             Le Village                     Viole les femmes                              Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute        J’ai porté l’administrateur des semaines      De village en village                      En chantonnant Et je fus domestique à Paris    Je ne sais pas mon âge       Mais au recrutement       On m’a donné vingt ans    Je suis soldat français on m’a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où   Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir     Pourquoi ne pas danser et discourir         Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses     Sous la tempête de feux métalliques           Je me souviens d’un lac affreux               Une nuit folle           Une nuit de sorcellerie Et de couples enchaînés par un atroce amour

37. (1902) L'Ermite « L’Ermite »

Et, c’est le soir, les fleurs de jour déjà se closent Et les souris dans l’ombre incantent le plancher. […] Des corbeaux éployés comme des tildes font Une ombre vaine aux pauvres champs de seigle mûr, Non loin des bourgs où des chaumières sont impures D’avoir des hiboux morts cloués à leur plafond.

38. (1912) Merlin et la vieille femme « Merlin et la vieille femme »

« Qu’il monte de la fange ou soit une ombre d’homme « Il sera bien mon fils, mon ouvrage immortel « Le front nimbé de feu, sur le chemin de Rome « Il marchera tout seul en regardant le ciel.

39. (1914) Un fantôme de nuées « Un fantôme de nuées »

Un fantôme de nuées   Comme c’était la veille du quatorze Juillet Vers les quatre heures de l’après-midi Je descendis dans la rue pour aller voir les saltimbanques Ces gens qui font des tours en plein air Commencent à être rares à Paris Dans ma jeunesse on en voyait beaucoup plus qu’aujourd’hui Ils s’en sont allés presque tous en province Je pris le boulevard Saint-Germain Et sur une petite place située entre Saint-Germain-des-Prés et la statue de Danton Je rencontrai les saltimbanques La foule les entourait muette et résignée à attendre Je me fis une place dans ce cercle afin de tout voir Poids formidables Villes de Belgique soulevées à bras tendus par un ouvrier russe de Longwy Haltères noirs et creuses qui ont pour tige un fleuve figé Doigts roulants une cigarette amère et délicieuse comme ta vie De nombreux tapis usés couvraient le sol Tapis qui ont des plis qu’on ne défera pas Tapis qui sont presque entièrement couleur de la poussière Et où quelques taches jaunes ou vertes ont persisté Comme un air de musique qui vous poursuit Vois-tu le personnage maigre et sauvage La cendre de ses frères lui sortait en barbe grisonnante Il portait ainsi toute son hérédité au visage Il semblait rêver à l’avenir En tournant machinalement un orgue de Barbarie Dont la lente voix se lamentait merveilleusement Les glouglous les couacs et les sourds gémissements Les saltimbanques ne bougeaient pas Le plus vieux avait un maillot de ce rose violâtre qu’ont aux joues certaines jeunes filles actives mais près de la mort Ce rose là se niche surtout dans les plis qu’entourent souvent leur bouche Ou près des narines C’est un rose plein de traitrise Cet homme portait-il ainsi sur le dos La teinte ignoble de ses poumons Les bras, les bras partout montaient la garde Le second saltimbanque N’était vêtu que de son ombre Je le regardai longtemps Son visage m’échappe entièrement C’est un homme sans tête Un autre enfin avait l’air d’un voyou D’un apache bon et crapule à la fois     Avec son pantalon bouffant et les accroche-chaussettes N’aurait-il pas eu l’apparence d’un maquereau à sa toilette La musique se tut et ce furent des pourparlers avec le public Qui sou à sou jeta sur le tapis la somme de deux francs cinquante Au lieu des trois francs que le vieux avait fixé comme prix des tours Mais quand il fut clair que personne ne donnerait plus rien On se décida à commencer la séance De dessous de l’orgue sortit un tout petit saltimbanque habillé de rose pulmonaire Avec de la fourrure aux poignets et aux chevilles Il poussait des cris brefs Et saluait en écartant gentiment les avant-bras Mains ouvertes Une jambe en arrière prête à la génuflexion Il salua ainsi aux quatre points cardinaux Et quand il marcha sur une boule Son corps mince devint une musique si délicate que nul parmi les spectateurs n’y fut insensible Cher petit esprit sans aucune humanité Pensa chacun Et cette musique des formes Détruisit celle de l’orgue mécanique Que moulait l’homme au visage couvert d’ancêtres Le petit saltimbanque fit la roue Avec tant d’audacieuse harmonie Que l’orgue cessa de jouer Et que l’organiste se cacha le visage dans les mains Aux doigts semblables aux descendants de son destin Fœtus minuscules qui lui sortaient de la barbe Nouveau cri de Peau-Rouge Musique angélique des arbres Disparition de l’enfant Les saltimbanques soulevèrent les grosses haltères à bout de bras Ils jonglèrent avec les poids Mais chaque spectateur cherchait en soi l’enfant miraculeux Siècle ô siècle des nuages     Guillaume Apollinaire.

40. (1911) Cortège « Cortège »

Et moi aussi de près, je suis sombre et terne, Une brume qui vient d’obscurcir les lanternes, Une main qui tout à coup, se pose devant les yeux, Une voûte entre vous et toutes les lumières Et je m’éloignerai, m’illuminant au milieu d’ombres Et d’alignements d’yeux des astres bien-aimés.

41. (1913) Un fantôme de nuées « Un fantôme de nuées »

Le second saltimbanque N’était vêtu que de son ombre.

42. (1909) L'Obituaire « L’Obituaire »

Ils riaient de leur ombre et l’observaient Comme si véritablement C’eût été leur vie passée.

43. (1912) La Maison des morts « La Maison des Morts »

Ils riaient de leur ombre et l’observaient Comme si véritablement C’eût été leur vie passée.

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