/ 40
2. (1916) 4 heures « 4 heures »

4 heures C’est 4 heures du matin Je me lève tout habillé Je tiens une savonnette Que m’a envoyée quelqu’un que j’aime Je vais me laver Je sors du trou où nous dormons Je suis dispos Et content de pouvoir me laver ce qui ne m’est pas arrivé depuis trois jours Suis lavé je vais me faire raser Ensuite bleu de ciel je me confonds avec l’horizon jusqu’à la nuit et c’est un plaisir trés doux De ne rien dire de plus, tout ce que je fais c’est un être invisible qui le fait puis-qu’une fois boutonné tout bleu confondu dans le ciel je deviens invisible Guillaume Apollinaire.

3. (1916) Poème (incipit : « Deux lacs nègres ») - section III

Poème (incipit : « Deux lacs nègres ») III Une petite vieille au nez pointu J’admire la bouillotte d’émail bleu Mais le rat pénètre dans le cadavre et y demeure

4. (1916) Poème (incipit : « Deux lignes nègres ») - section III

Poème (incipit : « Deux lignes nègres ») III Une petite vieille au nez pointu J’admire une bouillotte d’émail bleu Mais le rat rentre dans le cadavre et y demeure

5. (1917) Reconnaissance « Reconnaissance »

Reconnaissance Un seul bouleau crépusculaire Pâlit au seuil de l’horizon Où fuit la mesure angulaire Du cœur à l’âme et la raison Le galop bleu des souvenances Traverse les lilas des yeux Et les canons des indolences Tirent mes songes vers les cieux Avril 1915

6. (1917) Le palais du tonnerre « Le palais du tonnerre »

Le palais du tonnerre Par l’issue ouverte sur le boyau dans la craie En regardant la paroi adverse qui semble en nougat On voit à gauche et à droite fuir l’humide couloir désert Où meurt étendue une pelle à la face effrayante à deux yeux réglementaires qui servent à l’attacher sous les caissons Un rat y recule en hâte et j’avance en hâte Et le boyau s’en va couronné de craie semée de branches Comme un fantôme creux qui met du vide où il passe blanchâtre Et là-haut le toit est bleu et couvre bien le regard fermé par quelques lignes droites Mais en deçà de l’issue c’est le palais bien nouveau et qui paraît ancien Le plafond est fait de traverses de chemin de fer Entre lesquelles il y a des morceaux de craie et des touffes d’aiguilles de sapin Et de temps en temps des débris de craie tombent comme des morceaux de vieillesse A côté de l’issue que ferme un tissu lâche qui sert généralement aux emballages Il y a un trou qui sert d’âtre et ce qui y brûle est un feu semblable à l’âme Tant il tourbillonne et tant il est inséparable de ce qu’il dévore et fugitif Les fils de fer se tendent partout servant de sommier supportant des planches Ils forment aussi des crochets et l’on y suspend mille choses Comme on fait à la mémoire Des musettes bleues des casaques bleues des cravates bleues des vareuses bleues Morceaux du ciel tissus des souvenirs les plus purs Et il flotte parfois en l’air de vagues nuages de craie Sur la planche brillent des fusées détonateurs joyaux dorés à tête émaillée Funambules qui attendent leur tour de passer sur les trajectoires Et font un ornement mince et élégant à cette demeure souterraine Ornée de six lits placés en fer à cheval Six lits couverts de riches manteaux bleus Sur le palais il y a un haut tumulus de craie Et des plaques de tôle ondulée Fleuve figé de ce domaine idéal Mais privé d’eau car ici il ne roule que le feu jailli de la mélinite Le parc aux fleurs de fulminate jaillit des trous penchés Tas de cloches aux doux sons des douilles rutilantes Sapins élégants et petits comme en un paysage japonais Le palais s’éclaire parfois d’une bougie à la flamme aussi petite qu’une souris O palais minuscule comme si on te regardait par le gros bout d’une lunette Petit palais où tout s’assourdit Petit palais où tout est neuf rien rien d’ancien Et où tout est précieux où tout le monde est vêtu comme un roi Une selle est dans un coin à cheval sur une caisse Un journal du jour traîne par terre Et cependant tout paraît vieux dans cette neuve demeure Si bien qu’on comprend que l’amour de l’antique Le goût de l’anticaille Soit venu aux hommes dès le temps des cavernes Tout y était si précieux et si neuf Tout y est si précieux et si neuf Qu’une chose plus ancienne ou qui a déjà servi apparaît                                          Plus précieuse Que ce qu’on a sous la main Dans ce palais souterrain creusé dans la craie si blanche et si neuve Et deux marches neuves                           Elles n’ont pas deux semaines Sont si vieilles dans ce palais qui semble antique sans imiter l’antique Qu’on voit que ce qu’il y a de plus simple de plus neuf est Ce qui est le plus près de ce que l’on appelle la beauté antique Et ce qui est surchargé d’ornements Ce qui a des ornements qui ne sont pas nécessaires A besoin de vieillir pour avoir la beauté qu’on appelle antique Et qui est la noblesse la force l’ardeur l’âme l’usure De ce qui est neuf et qui sert Surtout si cela est simple simple Aussi simple que le petit palais du tonnerre Août 1915

7. (1915) Reconnaissance « Reconnaissance »

Reconnaissance à Mlle Pagès Un seul Bouleau crépusculaire Pâlit au seuil de l’horizon Où fuit la mesure angulaire Du cœur à l’âme et la raison Le galop bleu des souvenances Traverse les lilas des Yeux Et les canons des indolences Tirent mes songes vers                       les                          Cieux                                     — ———                                   — • • — • •                                      — •• — •                                   — • • • — •                                     — • — —                                  — — — —

8. (1915) Loin du Pigeonnier « Loin du Pigeonnier »

Loin du Pigeonnier   [signal optique d’artillerie, avant le titre] 5 Au p’tit Lou Et vous savez pourquoi Pourquoi la chère couleuvre se love de la mer jusqu’à l’espoir attendrissant de l’Est Hexaèdres barbelés mais un secret collines bleues en sentinelle Malourène 75 Canteraine O gerbes des 305 en déroute dans la Forêt où nous chantons

9. (1915) Reconnaissance « Reconnaissance »

Reconnaissance à Mlle Pagès Un seul Bouleau crépusculaire Pâlit au seuil de l’horizon Où fuit la mesure angulaire Du cœur à l’âme et la raison Le galop bleu des souvenances Traverse les lilas des Yeux Et les canons des indolences Tirent mes songes vers                       les                          Cieux                                     — ———                                   — • • — • •                                      — •• — •                                   — • • • — •                                     — • — —                                  — — — — [signal optique d’artillerie] 7

10. (1915) [Envoie autographe] « Loin du Pigeonnier »

Loin du Pigeonnier [signal optique d’artillerie, avant le titre] 5 Au p’tit Lou Et vous savez pourquoi Pourquoi la chère couleuvre se love de la mer jusqu’à l’espoir attendrissant de l’Est Hexaèdres barbelés mais un secret collines bleues en sentinelle Malourène 75 Canteraine O gerbes des 305 en déroute dans la Forêt où nous chantons

11. (1914) Etoile « Etoile »

Etoile Je songe à Gaspard ce n’est certainement pas Son vrai nom il voyage il a quitté la ville Bleue Lanchi où tant d’enfants l’appellaient papa Au fond du golfe calme en face des sept îles Gaspard marche et regrette et le riz et le thè           La voie lactée La nuit car naturellement il ne marche Que la nuit attire souvent ses regards           Mais Gaspard Sait bien qu’il ne faut pas la suivre

12. (1914) Plongeon « Plongeon »

Plongeon Pique une tête pour pêcher les perles du fleuve Dit vert, qui est bleu et jaunit qu’il neige ou pleuve Dans l’eau d’acier ton ombre te précèdera Les vents chantent Jouhé les cors cornent Trara Tête en bas les yeux ouverts pêche la perle Chois tout nu jambes ouvertes y grec ou pairle Et des vapeurs pleins de mouchoirs descendent le Rhin Sur l’autre rive et en rampant s’enfuit un train.

13. (1917) [Calligramme (jet d'eau)] « [Calligramme (jet d’eau)] »

[Calligramme (jet d’eau)] [jet d’eau] la lune ardente et toujours neuve un bouton de rose doux comme un papillon comme une fleur mourant entre les mains d’un soldat blessé un jet d’eau la queue d’un paon un soir de neige ciel constellé un bombardement un matin à New York les lucioles et tous les souvenirs O quel bonheur que ce bleu ne soit pas mort encore

14. (1902) La Tzigane « La Tzigane »

L’amour lourd comme un ours privé Dansa debout quand nous voulûmes Et l’oiseau bleu perdit ses plumes Et les mendiants leurs Ave.

15. (1912) La Tsigane « La Tsigane »

L’amour, lourd comme un ours privé, Dansa debout quand nous voulûmes ; Et l’oiseau bleu perdit ses plumes Et les mendiants leurs Ave.

16. (1914) L'Anguille « L’Anguille »

L’Anguille Jeanne Houhou la très gentille Est morte entre des draps très blancs Pas seule Bébert dit l’Anguille Narcisse et Hubert le merlan Près d’elle faisaient leur manille Et la crâneuse de Clichy Aux rouges yeux de dégueulade Répète Mon eau de Vichy Va dans le panier à salade Haha sans faire de chichi Les yeux dansants comme des anges Elle riait elle riait Les yeux très bleus les dents très blanches Si vous saviez si vous saviez Tout ce que nous ferons dimanche Guillaume Apollinaire

17. (1917) Fusée-signal « Fusée-signal »

Fusée-signal Des villages flambaient dans la nuit intérieure Une fermière conduit son auto sur une route vers Galveston Qui a lancé cette fusée-signal Néanmoins tu feras bien de tenir la porte ouverte Et puis le vent scieur de long Suscitera en toi la terreur des fantômes              Ta langue Le poisson rouge dans le bocal              De ta voix Mais ce regret A peine une infirmière plus blanche que l’hiver Eblouissant tandis qu’à l’horizon décroît Un régiment de jours plus bleus que les collines lointaines et plus doux que ne sont les coussins de l’auto GUILLAUME APOLLINAIRE.

18. (1915) Visée « Visée »

Visée À MlleCarrubba [signal optique d’artillerie] 8 Chevaux couleur cerise limite de Zélande Des mitrailleuses d’or coassent les légendes Je t’aime liberté, qui veilles dans les hypogées Harpe aux cordes d’argent, ô pluie, ô ma musique L’invisible ennemi plaie d’argent au soleil Et l’avenir secret que la fusée élucide Entends nager le Mot, poisson subtil Les villes tour à tour deviennent des clefs Le masque bleu comme met Dieu, son Ciel Guerre paisible ascèse solitude métaphysique Enfant aux mains coupées parmi les roses oriflammes

19. (1915) Visée « Visée »

Visée À Mlle Carrubba [signal optique d’artillerie] 8 Chevaux couleur cerise limite de Zélande Des mitrailleuses d’or coassent les légendes Je t’aime liberté, qui veilles dans les hypogées Harpe aux cordes d’argent, ô pluie, ô ma musique L’invisible ennemi plaie d’argent au soleil Et l’avenir secret que la fusée élucide Entends nager le Mot, poisson subtil Les villes tour à tour deviennent des clefs Le masque bleu comme met Dieu, son Ciel Guerre paisible ascèse solitude métaphysique Enfant aux mains coupées parmi les roses oriflammes

20. (1909) La Vierge à la fleur de haricot à Cologne « La Vierge à la fleur de haricot à Cologne »

La Vierge à la fleur de haricot à Cologne La Vierge au brin fleuri est une Vierge blonde Et son petit Jésus est blond comme elle l’est ; Ses yeux sont bleus et purs comme le ciel ou l’onde Et l’on conçoit qu’elle ait conçu du Paraclet.

21. (1912) L'Enfer « L’Enfer »

Tout habillé de bleu quand il a l’âme noire Au pied d’une potence un beau masque prend l’air Comme si de l’amour — ce pendu jaune et vert — Je voulais que brûlât l’horrible main de gloire.

22. (1913) Ispahan « Ispahan »

Ispahan Pour tes roses J’aurais fait Un voyage plus long encore Ton soleil n’est pas celui Qui luit Partout ailleurs Et tes musiques qui s’accordent avec l’aube Sont désormais pour moi La mesure de l’art D’après leur souvenir Je jugerai Mes vers les arts Plastiques et toi-même Visage adoré Ispahan aux musiques du matin Réveille l’odeur des roses de ses jardins J’ai parfumé mon âme A la rose Pour ma vie entière Ispahan grise et aux faïences bleues Comme si l’on t’avait Faite avec Des morceaux de ciel et de terre En laissant au milieu Un grand trou de lumière Cette place carrée Meïdan Schah trop Grande pour le trop petit nombre De petits ânes trottinant Et qui savent si joliment Braire en regardant La barbe rougie au henné Du Soleil qui ressemble A ces jeunes marchands barbus Abrités sous leur ombrelle blanche Je suis ici le frère des peupliers Reconnaissez beaux peupliers au fils d’Europe O mes frères tremblants qui priez en Asie Un passant arqué comme une corne d’antilope Phonographe Patarafes La petite échoppe

23. (1909) Les Sept Épées « Les Sept Épées »

La troisième, bleu féminin, N’en est pas moins un chibriape Appelé Lul de Faltenin Et que porte sur une nappe, Devant l’antipapesse, un nain.

24. (1916) Chant de l'horizon en Champagne « Chant de l’horizon en Champagne »

Chant de l’horizon en Champagne à Monsieur le substitut Granié Voici le tétin rose de l’euphorbe verruquée Voici les nez des soldats invisibles Horizon invisible je chante Que les civils et les femmes écoutent les chansons Et voici d’abord la cantilène du brancardier blessé              Le sol est blanc la nuit l’azure              Saigne la crucifixion              Tandis que saigne la blessure              Du soldat de Promission              Un chien jappait l’obus miaule              La lueur muette a jailli              A savoir si la guerre est drôle              Les masques n’ont pas tressailli              Mais quel fou rire sous le masque              Blancheur éternelle d’ici              Où la colombe porte un casque              Et l’acier s’envole aussi Je suis seul sur le chant de bataille Tranchée blanche bois vert et roux L’obus miaule                Je te tuerai Animez vos fantassins à passepoil jaune Les grands artilleurs roux comme des taupes Bleu de roi comme les golfes méditerranéens Veloutés de toutes les nuances du velours Ou mauves encore ou bleu comme les autres Ou déteints Venez le pot en tête Debout fusée éclairante Danse grenadier en agitant tes pommes de pin Alidades des triangles de visée pointez-vous sur les lueurs Creusez des trous enfants de 20 ans creusez des trous Sculptez les profondeurs Envolez-vous essaims des avions blonds ainsi que les avettes Moi l’horizon je fais la roue comme un grand paon Ecoutez renaître les oracles qui avaient cessé Le grand Pan est ressuscité Champagne viril qui émoustille la Champagne Hommes faits jeunes-gens Caméléons des autos-canons Et vous classe 15 Craquements des arrivées ou bien flottaison blanche dans les cieux J’étais content pourtant ça brûlait la paupière Les officiers captifs voulaient cacher leurs noms Œil du Breton blessé couché sur la civière Et qui criait aux morts aux sapins aux canons Priez pour moi Bon Dieu !

25. (1914) Rotsoge « Rotsoge »

D… 90 ou 324 un homme en l’air un veau qui regarde à travers le ventre de sa mère J’ai cherché longtemps sur les routes Tant d’yeux sont clos au bord des routes Le vent fait pleurer les saussaies Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre Regarde mais regarde donc Le vieux se lave les pieds dans la cuvette Una volta ho inteso dire Ach du lieber Gott Je me mis à pleurer en me souvenant de vos enfances Et toi tu me montres un violet épouvantable Ce petit tableau où il y a une voiture m’a rappelé le jour Un jour fait de morceaux mauves jaunes bleus verts et rouges Où je m’en allais à la campagne avec une charmante cheminée tenant sa chienne en laisse Il n’y en a plus tu n’as plus ton petit mirliton La cheminée fume loin de moi des cigarettes russes La chienne aboie contre les lilas Et la veilleuse consumée Sur la robe ont chu des pétales Deux anneaux d’or près des sandales Au soleil se sont allumés Mais tes cheveux sont le trolley A travers l’Europe vêtue de petits feux multicolores.

26. (1914) Rotsoge « Rotsoge »

90 ou 324 un homme en l’air un veau qui regarde à travers le ventre de sa mère J’ai cherché longtemps sur les routes Tant d’yeux sont clos au bord des routes Le vent fait pleurer les saussaies Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre Regarde mais regarde donc Le vieux se lave les pieds dans la cuvette Una volta ho inteso dire Ach du lieber Jott Et je me pris à pleurer en me souvenant de nos enfances Et toi tu me montres un violet épouvantable Ce petit tableau où il y a une voiture m’a rappelé le jour Un jour fait de morceaux mauves jaunes bleus verts et rouges Où je m’en allais à la campagne avec une charmante cheminée tenant sa chienne en laisse J’avais un mirliton que je n’aurais pas échangé contre un bâton de maréchal de France Il n’y en a plus je n’ai plus mon petit mirliton La cheminée fume loin de moi des cigarettes russes La chienne aboie contre les lilas Et la veilleuse consumée Sur la robe ont chu des pétales Deux anneaux d’or près des sandales Au soleil se sont allumés Tandis que tes cheveux sont comme le trolley A travers l’Europe vêtue de petits feux multicolores Guillaume Apollinaire

27. (1902) Élégie du voyageur aux pieds blessés « Élégie du voyageur aux pieds blessés »

Au bois tu n’as point vu de faunes ; Des nymphes tu n’eus pas l’aumône D’un iris bleu, d’un iris jaune.

28. (1914) Poème sans titre (incipit : « Tu te souviens, Rousseau, du paysage astèque ») « Poème sans titre (incipit : « Tu te souviens, Rousseau, du paysage astèque ») »

Les tableaux que tu peins, tu les vis au Mexique : Un soleil rouge ornait le front des bananiers Et valeureux soldat, tu troquas ta tunique Contre le dolman bleu des braves douaniers.

29. (1915) 2e canonnier conducteur « 2e canonnier conducteur »

2e canonnier conducteur Me voici libre et fier parmi mes compagnons Le Réveil a sonné et dans le petit jour je salue La fameuse Nancéenne que je n’ai pas connue   [trompette] As-tu connu la putain de Nancy qui a foutu la vxxxxx à toute l’artillerie l’artillerie ne s’est pas aperçu qu’elle avait mal au [cul] Les 3 serveants bras dessus bras dessous se sont endormis sur l’avant-train Et conducteur par mont par val sur le porteur Au pas au trot et parfois au galop je conduis le canon                                           Le bras de l’officier est mon étoile polaire Il pleut mon manteau est trempé et je m’essuie parfois, la figure Avec la serviette-torchon qui est dans la sacoche du sous-verge Voici des fantassnis aux pas pesants aux pieds boueux La pluie les pique de ses aiguilles le sac les suit Fantassins marchantes mottes de terre Vous êtes la puissance Du sol qui vous a faits Et c’est le sol qui va Lors que vous avancer   [botte] sacré nom de Dieu quelle allure nom de Dieu quelle allure cependant que la nuit descend [Notre-Dame] souvenirs de Paris avant la guerre ils seront bien plus doux après la victoire [Tour Eiffel] salut monde dont je suis la langue éloquente que sa bouche ô Paris tire et tirera toujours aux Allemands Un officier passe au galop Comme un ange bleu dans la plue grise Un blessé chemine en fumant une pipe Le lièvre détale et voici un russieau que j’aime Et cette jeune femme nous salue charretiers                                            La Victoire se tient après nos jugulaires                Et calcule pour nos canons les mesures angulaires                                     Nos salves nos rafales sont ses cris de joie                                     Ses fleurs sont nos obus aux gerbes merveilleuses                                     Sa pensée se recueille aux trauchées glorieuses   [obus] j’entends chanter l’oiseau le bel oiseau rapace Guillaume Apollinaire.

30. (1917) Chevaux de frise « Chevaux de frise »

Chevaux de frise Pendant le blanc et nocturne novembre Alors que les arbres déchiquetés par l’artillerie Vieillissaient encore sous la neige Et semblaient à peine des chevaux de frise Entourés de vagues de fils de fer Mon cœur renaissait comme un arbre au printemps Un arbre fruitier sur lequel s’épanouissent                         Les fleurs de l’amour Pendant le blanc et nocturne novembre Tandis que chantaient épouvantablement les obus Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient                         Leurs mortelles odeurs Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine La neige met de pâles fleurs sur les arbres            Et toisonne d’hermine les chevaux de frise                  Que l’on voit partout                         Abandonnés et sinistres                                Chevaux muets            Non chevaux barbes mais barbelés                  Et je les anime tout soudain            En troupeau de jolis chevaux pies Qui vont vers toi comme de blanches vagues                         Sur la Méditerranée                  Et t’apportent mon amour Rose lys ô panthère ô colombes étoile bleue                                      ô Madeleine Je t’aime avec délices Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches Si je pense à ta bouche les roses m’apparaissent Si je songe à tes seins le Paraclet descend                  O double colombe de ta poitrine Et vient délier ma langue de poète                  Pour te redire je t’aime Ton visage est un bouquet de fleurs            Aujourd’hui je te vois non Panthère                                    mais Toutefleur Et je te respire ô ma Toutefleur Tous les lys montent en toi comme des cantiques d’amour et d’allégresse Et ces chants qui s’envolent vers toi                                M’emportent à ton côté                         Dans ton bel Orient où les lys Se changent en palmiers qui de leurs belles mains Me font signe de venir La fusée s’épanouit fleur nocturne                                Quand il fait noir Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses De larmes heureuses que la joie fait couler                      Et je t’aime comme tu m’aimes                                     Madeleine Novembre 1915

31. (1903) Avenir « Avenir »

Nous chanterons le feu, la noblesse des forges, La force des grands gars, les gestes des larrons, Et la mort des héros et la gloire des torches Qui font une auréole autour de chaque front, La beauté des printemps et les amours fécondes, La douceur des yeux bleus que le sang assouvit, Et l’aube qui va poindre et la fraîcheur des ondes, Le bonheur des enfants et l’éternelle vie.

32. (1913) Arbre « Arbre »

Arbre Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes galopent Où sont les aveugles où s’en sont-ils allés La seule feuille que j’aie cueillie s’est changée en plusieurs mirages Ne m’abandonnez pas parmi cette foule de femmes au marché Ispahan s’est fait un ciel de carreaux émaillés de bleu Et je remonte avec vous une route aux environs de Lyon Je n’ai pas oublié le son de la clochette d’un marchand de coco d’autrefois J’entends déjà le son aigre de cette voix à venir Du camarade qui se promènera avec toi en Europe tout en restant En Amérique Un enfant Un veau dépouillé pendu à l’étal Un enfant Et cette banlieue de sable autour d’une pauvre ville au fond de l’Est Un douanier se tenait là comme un ange A la porte d’un misérable paradis Et ce voyageur épileptique écumait dans la salle d’attente des premières Engoulevent Grondin Blaireau Et la Taupe-Ariane Nous avions loué deux coupés dans le transsibérien Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et moi Mais celui qui veillait ne cachait point un revolver aimé Tu t’es promené à Leipzig avec une femme mince déguisée en homme Intelligence car voilà ce que c’est qu’une femme intelligente Et il ne faudrait pas oublier les légendes Dame-Aboude dans un tramway la nuit au fond d’un quartier désert Je voyais une chasse tandis que je montais Et l’ascenseur s’arrêtait à chaque étage Entre les pierres Entre les vêtements multicolores de la vitrine Entre les charbons ardents du marchand de marrons Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen Il y a ton image Elle pousse entre les bouleaux de la Finlande Ce beau nègre en acier La plus grande tristesse C’est quand tu reçus une carte postale de La Corogne Le vent vient du couchant Le métal des caroubiers Tout est plus triste qu’autrefois Tous les dieux terrestres vieillissent L’univers se plaint par ta voix Et des êtres nouveaux surgissent Trois par trois GUILLAUME APOLLINAIRE.

33. (1916) Arbre « Arbre »

Arbre Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes galopent Où sont les aveugles où s’en sont-ils allés La seule feuille que j’aie cueillie s’est changée en plusieurs mirages Ne m’abandonnez pas parmi cette foule de femmes au marché Ispahan s’est fait un ciel de carreaux émaillés de bleu Et je remonte avec vous une route aux environs de Lyon Je n’ai pas oublié le son d’une clochette d’un marchand de coco autrefois J’entends déjà le son aigre de cette voix à venir Du camarade qui se promènera avec toi en Europe tout en restant En Amérique Un enfant Un veau dépouillé pendu à l’étal Un enfant Et cette banlieue de sable autour d’une pauvre ville au fond de l’Est Un douanier se tenait là comme un ange A la porte d’un misérable paradis Et ce voyageur épileptique écumait dans la salle d’attente des premières Engoulevent Grondin Blaireau Et la Taupe-Ariane Nous avions loué deux coupés dans le transsibérien Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et moi Mais celui qui veillait ne cachait point un revolver aimé Tu t’es promené à Leipzig avec une femme mince déguisée en homme Intelligence car voilà ce que c’est qu’une femme intelligente Et il ne faudrait pas oublier les légendes Dame-Aboude dans un tramway ln nuit au fond d’un quartier désert Je voyais une chasse tandis que je montais Et l’ascenseur s’arrêtait à chaque étage Entre les pierres Entre les vêtements multicolores de la vitrine Entre les charbons ardents du marchand de marrons Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen Il y a ton image Elle pousse entre les bouleaux de la Finlande Ce beau nègre en acier La plus grande tristesse C’est quand tu reçus une carte postale de La Corogne Le vent vient du couchant Le métal des caroubiers Tout est plus triste qu’autrefois Tous les dieux terrestres vieillissent L’univers se plaint par ta voix Et des êtres nouveaux surgissent Trois par trois GUILLAUME APOLLINAIRE

34. (1917) Arbre « Arbre »

Arbre Poème inédit par GUILLAUME APPOLLINAIRE PARIS Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes galopent Où sont les aveugles où s’en sont-ils allés La seule feuille que j’aie cueillie s’est changée en plusieurs mirages Ne m’abandonnez pas parmi cette foule de femmes au marché Ispahan s’est fait au ciel de carreaux émaillés de bleu Et je remont avec vous une route aux environs de Lyon Je n’ai pas oublié le son d’une clochette d’un marchant de coco Autrefois J’entends déjà le son aigre de cette voix à venir Du camarade qui se promène avec toi en Europe tout en restant En Amérique Un enfant Un veau dépouillé pendu à l’étal Un enfant Et cette banlieue de sable autour d’une petite ville Au fond de l’Est Un douanier se tenait là comme un ange a la porte d’un misérable paradis Et le voyageur épileptique écumait dans la salle d’attente des premiéres Engoulevent Grondin Blaireau Et la taupe Ariane Nous avons loué deux coupés dans le Transsibérien Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et moi Mais celui qui veillait ne cachait point un réwolver armé Tu t’es promené à Leipzig avec une femme mince déguisée en homme Intélligence car voilà ce qui est qu’une femme intelligente Et il ne faudrait pas oublier les légendes Dame il bonde dans une tramway la nuit au fond d’un quartier désert Je voyais une chasse tandis que je montais Et l’ascenseur s’arretait à chaque étage Entre les pierres Entre les vétements multicolors de la vitrine Entre les charbons ardents du marchant de marrons Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen Il y a ton image Elle pousse entre les tombaux de la Finlande Le beau nègre en acier La plus grande tristesse C’est quand tu reçue une carte postale de la Corogne Le vent vient du couchant Le métal des caronhers Tout est plus triste qu’autrefois Tous les dieux terrestres vieillissent L’Univers se plaint part ta voix Et des êtres nouveaux surgissent Trois par trois GUILLAUME APPOLLINAIRE.

35. (1902) L'Ermite « L’Ermite »

Malgré les autans bleus, je me dresse divin Comme un rayon de lune adoré par la mer. […] Cité, j’ai ri de tes palais tels que des truffes Blanches, au sol fouillé de clairières bleues.

36. (1908) Fiançailles « Fiançailles »

Fiançailles [« Le printemps laisse errer les fiancés parjures »] Le printemps laisse errer les fiancés parjures, Et laisse feuilloler longtemps les plumes bleues, Que secoue le cyprès où niche l’oiseau bleu.

37. (1912) Zône « Zône »

Zône A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La Religion seule est restée toute neuve la Religion Est restée simple comme les hangars de Port Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est toi pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières O portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les Directeurs les Ouvriers et les belles sténo-dactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Et dans l’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que malgré tout nous tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité c’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux qui transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles A tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pi-his longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis s’en vient la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigle phénix et pi-his de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Et vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse L’image qui te possède te fait sourire dans l’insomnie et dans l’angoisse Et c’est toujours près de toi la métive qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du Mensonge et de l’Age Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder la croix et à tous moments tu voudrais sangloter Sur moi sur celle que j’aime sur tout ce qui m’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Des familles transportent un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Beaucoup de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges Je les ai vu souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant On chante on danse on boit du champagne Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu Adieu Soleil levant cou tranché GUILLAUME APOLLINAIRE.

38. (1913) Zône « Zône »

Zône A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La Religion seule est restée toute neuve la Religion Est restée simple comme les hangars de Port Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est toi pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières O portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les Directeurs les Ouvriers et les belles sténodactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Eglise Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Et dans l’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que malgré tout nous tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est larbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité c’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux qui transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles A tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pi-his longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis s’en vient la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigles phénix et pi-his de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Et vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse L’image qui te possède te fait sourire dans l’insomnie et dans l’angoisse Et c’est toujours près de toi la métive qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du Mensonge et de l’Age Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder la croix et à tous moments tu voudrais sangloter Sur moi sur celle que j’aime sur tout ce qui m’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Des familles transportent un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Beaucoup de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges Je les ai vu souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant On chante on danse on boit du champagne Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu adieu Soleil levant cou tranché Guillaume Apollinaire

39. (1909) L'Obituaire « L’Obituaire »

A l’avant du bateau que je gouvernais, Un mort parlait avec une jeune femme Vêtue d’une robe jaune, D’un corsage noir Avec des rubans bleus et d’un chapeau gris Orné d’une seule petite plume défrisée.

40. (1912) La Maison des morts « La Maison des Morts »

Des barques étaient amarrées Dans un havre ; On les détacha Après que toute la troupe se fût embarquée, Et quelques morts ramaient Avec autant de vigueur que les vivants, A l’avant du bateau que je gouvernais, Un mort parlait avec une jeune femme Vêtue d’une robe jaune, D’un corsage noir Avec des rubans bleus et d’un chapeau gris Orné d’une seule plume défrisée.

/ 40