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2. (1916) Poème (incipit : « Deux lignes nègres ») - section IV

Poème (incipit : « Deux lignes nègres ») IV Un monsieur en bras de chemise Se rase près de la fenêtre En chantant un petit air qu’il ne sait pas très bien Et ça fait tout un opéra.

3. (1917) Pablo Picasso « Pablo Picasso »

  fais onduler les remords   Nouveau monde très matinal   montant de l’énorme mer   L’aventure de ce vieux cheval   en Amérique   Au soir de la pêche merveilleuse   l’œil du masque   Air de petits violons au fond des   anges rangés Dans le couchant puis au bout de     l’an des dieux Regarde la tête géante et immense   la main verte L’argent sera vite remplacé par   tout notre or Morte pendue à l’hameçon… c’est   la danse bleue L’humide voix des acrobates   des maisons Grimace parmi les assauts du vent   qui s’assoupit Ouis les vagues et le fracas d’une   femme bleue Enfin la grotte à l’atmosphère dorée   par la vertu Ce saphir veiné   il faut rire ! Rois de phosphore   sous les arbres les bottines entre des plumes bleues La danse des   dix mouches   lui fait face quand il songe à toi Le cadre bleu   tandis que   l’air agile s’ouvrait aussi   Au milieu des   regrets dans une vaste grotte.   Prends les araignées roses   à la nage   Regrets d’invisibles pièges   l’air Paisible se souleva mais sur le clavier   musiques Guitare-tempête   ô gai trémolo O gai trémolo   ô gai trémolo Il ne rit pas   l’artiste-peintre Ton pauvre   étincellement pâle L’ombre agile   d’un soir d’été qui meurt Immense désir   et l’aube émerge des eaux si lumineuses Je vis nos yeux   diamants enfermer le reflet du ciel vert et J’entendis sa voix   qui dorait les forêts tandis que vous pleuriez L’acrobate à cheval le poète à moustaches un oiseau mort et tant d’enfants sans larmes Choses cassées des livres déchirés des couches de poussière et des aurores déferlant !

4. (1915) Fête (incipit : « Feu d’artifice en acier ») « Fête (incipit : « Feu d’artifice en acier ») »

Quelle épitaphe — Un poète dans la forêt Regarde avec indifférence Son révolver au cran d’arrêt Des roses mourir d’espérance — Il songe aux roses de Saadi Et soudain sa tête se penche   Car une rose lui redit La molle courbe d’une hanche L’air est plein d’un terrible alcool Filtré des étoiles mi-closes Les obus caressent le mol Parfum nocturne où tu reposes      Mortification des roses

5. (1915) Fête (incipit : « Feu d’artifice en acier ») « Fête (incipit : « Feu d’artifice en acier ») »

Quelle épitaphe — Un poète dans la forêt Regarde avec indifférence Son révolver au cran d’arrêt Des roses mourir d’espérance — Il songe aux roses de Saadi Et soudain sa tête se penche    Car une rose lui redit La molle courbe d’une hanche L’air est plein d’un terrible alcool Filtré des étoiles mi-closes Les obus caressent le mol Parfum nocturne où tu reposes         Mortification des roses

6. (1909) Crépuscule « II. Crépuscule »

L’aveugle berce un bel enfant ; La biche passe avec ses faons ; Le nain regarde d’un air triste Grandir l’Arlequin trismégiste.

7. (1911) Crépuscule (incipit : « Frôlée par les ombres des morts ») « Crépuscule (incipit : « Frôlée par les ombres des morts ») »

Ayant décroché une étoile Il la manie, à bras tendu, Tandis que des pieds un pendu Sonne en mesure les cymbales L’aveugle berce un bel enfant La biche passe avec ses faons Le nain regarde, d’un air triste, Grandir l’Arlequin trismégiste

8. (1913) Montparnasse (incipit : « O porte de l’hôtel avec deux plantes vertes ») « Montparnasse (incipit : « O porte de l’hôtel avec deux plantes vertes ») »

Montparnasse (incipit : « O porte de l’hôtel avec deux plantes vertes ») O porte de l’hôtel avec deux plantes vertes Vertes qui jamais Ne porteront de fleurs Où sont mes fruits Où me planté-je O porte de l’hôtel un ange est devant toi Distribuant des prospectus On n’a jamais si bien défendu la vertu Donnez-moi pour toujours une chambre à la semaine Ange barbu vous êtes en réalité Un poète lyrique d’Allemagne Qui voulez connaître Paris Vous connaissez de son pavé Ces raies sur lesquelles il ne faut pas que l’on marche                    Et vous rêvez D’aller passer votre Dimanche à Garches Il fait un peu lourd et vos cheveux sont longs O bon petit poète un peu bête et trop blond Vos yeux ressemblent tant à ces deux grands ballons Qui s’en vont dans l’air pur A l’aventure

9. (1916) Fête (incipit : « Feu d’artifice en acier ») « Fête (incipit : « Feu d’artifice en acier ») »

L’air est plein d’un terrible alcool filtré des étoiles mi-closes… Les obus caressent le mol parfum nocturne où tu reposes,       Mortification des roses !

10. (1902) Mai « Mai »

Sur le chemin du bord du fleuve, lentement, Un ours, un singe, un chien menés par des tsiganes Suivaient une roulotte traînée par un âne, Tandis que s’éloignait, dans les vignes rhénanes, Sur un fifre lointain, un air de régiment.

11. (1910) Le Système Métrique « Le Système métrique »

Lors le serpent, rampant par là, dit d’un air digne :                — « Prenez donc des feuilles de vigne ».

12. (1915) La Nuit d'Avril 1915 « La Nuit d’Avril 1915 »

La Nuit d’Avril 1915 A L de C C Le ciel est étoilé par les obus des Boches La forêt merveilleuse où je vis donne un bal La mitrailleuse joue un air à triples-croches Mais avez-vous le mot ?

13. (1915) La Nuit d'Avril 1915 « La Nuit d’Avril 1915 »

La Nuit d’Avril 1915 A L de C C Le ciel est étoilé par les obus des Boches La forêt merveilleuse où je vis donne un bal La mitrailleuse joue un air à triples-croches Mais avez-vous le mot ?

14. (1916) La Nuit d'Avril 1915 « La Nuit d’Avril 1915 »

La Nuit d’Avril 1915 A L de S S Le ciel est étoilé par les obus des Boches La forêt merveilleuse où je vis donne un bal La mitrailleuse joue un air à triples croches Mais avez-vous le mot eh oui le mot fatal Aux créneaux aux créneaux laissez-là les pioches * *   * Comme un astre éperdu qui cherche ses saisons Cœur obus éclaté tu sifflais ta romance Et tes mille soleils ont vidé les caissons Que les dieux de mes yeux remplissent en silence Nous nous aimons ô Vie et nous nous agaçons * *   * Les obus miaulaient un amour à mourir Un amour qui se meurt est plus doux que les autres Mon souffle nage au fleuve où le sang va tarir Les obus miaulaient entends chanter les nôtres Pourpre Amour salué par ceux qui vont périr * *   * Le printemps tout mouillé la veilleuse l’attaque Il pleut mon âme il pleut mais il pleut des yeux morts —   Ulysse que de jours pour rentrer dans Ithaque   — Couche-toi sur la paille et songe un beau remords Qui par effet de l’art soit aphrodisiaque * *   * Mais O rgues aux fétus de la paille où tu dors L’hymne de l’avenir est paradisiaque

15. (1914) Le Musicien de Saint-Merry « Le Musicien de Saint-Merry »

Ariane Il jouait de la flûte et la musique dirigeait ses pas Il s’arrêta au coin de la rue Saint-Martin Jouant l’air que je chante et que j’ai inventé Les femmes qui passaient s’arrêtaient près de lui Il en venait de toutes parts Lorsque tout à coup les cloches de Saint-Merry se mirent à sonner Le musicien cessa de jouer et but à la fontaine Qui se trouve au coin de la rue Simon-le-Franc Puis saint-Merry se tut et l’inconnu reprenant son air de flûte Revint sur ses pas marcha jusqu’à la rue de la Verrerie Où il entra suivi par la troupe des femmes Qui sortaient des maisons Qui venaient par les rues traversières les yeux fous Les mains tendues vers le mélodieux ravisseur Il s’en allait indifférent jouant son air Il s’en allait terriblement Puis ailleurs A quelle heure un train partira-t-il pour Paris A ce moment Ces pigeons des Moluques fientaient des noix muscades En même temps Mission catholique de Bôma qu’as-tu fait du sculpteur Ailleurs Elle traverse le pont qui relie Bonn à Beuel et disparait à travers Pützchen Au même instant Une jeune fille amoureuse du maire Dans un autre quartier Rivalise donc poète avec les étiquettes des parfumeurs En somme rieurs vous n’avez pas tiré grand chose des hommes Et à peine avez-vous extrait un peu de graisse de leur misère Mais nous qui mourons de vivre loin l’un de l’autre Tendons nos bras et sur ces rails roule un long train de marchandises Tu pleurais assise près de moi au fond d’un fiacre Et maintenant Tu me ressembles tu me ressembles malheureusement Nous nous ressemblons comme dans l’architecture du siècle dernier Ces hautes cheminées pareilles à des tours Nous allons plus haut maintenant et ne touchons plus le sol Et tandis que le monde vivait et variait Le cortège des femmes long comme un jour sans pain Suivait dans la rue de la Verrerie l’heureux musicien Cortèges ô cortèges C’est quand jadis le roi s’en allait à Vincennes Quand les ambassadeurs arrivaient à Paris Quand le maigre Suger se hâtait vers la Seine Quand l’émeute mourait autour de Saint-Merry Cortèges ô cortèges Les femmes débordaient tant leur nombre était grand Dans toutes les rues avoisinantes Et se hâtaient raides comme balle Afin de suivre le musicien Ah!

16. (1913) Les Fenêtres « Les Fenêtres »

Les Fenêtres Du rouge au vert tout le jaune se meurt Quand chantent les aras dans les forêts natales Abatis de pihis Il y a un poème à faire sur l’oiseau qui n’a qu’une aile Nous l’enverrons en message téléphonique Traumatisme géant Il fait couler les yeux Voilà une jolie jeune feuille parmi les jeunes Turinaises Le pauvre jeune homme se mouchait dans sa cravate blanche Tu soulèveras le rideau Et maintenant voilà que s’ouvre la fenêtre Araignées quand les mains tissaient la lumière Beauté, pâleur, insondables violets Nous tenterons en vain de prendre du repos On commencera à minuit Quand on a le temps on a la liberté Bigorneaux bottes multiples soleils et l’oursin du couchant, Une vieille paire de chaussures jaunes devant la fenêtre Tours Les Tours ce sont les rues Puits Puits ce sont les places Puits Arbres creux qui abritent les Câpresses vagabondes Les Chabins chantent des airs à mourir Aux Chabines marronnes Et l’oie Oua-oua trompette au Nord Où les chasseurs de ratons Raclent les pelleteries Étincelant diamant Vancouver Où le train blanc de neige et de feux nocturnes fuit l’hiver O Paris Du rouge au vert tout le jaune se meurt Paris, Vancouver, Hyère, Maintenon, New-York et les Antilles La fenêtre s’ouvre comme une orange Le beau fruit de la lumière

17. (1913) Les Fenêtres « Les Fenêtres »

Les Fenêtres A Robert Delaunay Du rouge au vert tout le jaune se meurt Quand chantent les aras dans les forêts natales Abatis de pi-his Il y a un poème à faire sur l’oiseau qui n’a qu’une aile Nous l’enverrons en message téléphonique Traumatisme géant Il fait couler les yeux Voilà une jolie jeune fille parmi les jeunes Turinaises Le pauvre jeune homme se mouchait dans sa cravate blanche Tu soulèveras le rideau Et maintenant voilà que s’ouvre la fenêtre Araignées quand les mains tissaient la lumière Beauté Pâleur d’insondables violets Nous tenterons en vain de prendre du repos On commencera à minuit Quand on a le temps on a la liberté Bigorneaux Lottes Multiples Soleils et l’Oursin du Couchant Une vieille paire de chaussures jaunes devant la fenêtre Tours Les tours ce sont les rues Puits Puits Ce sont les places Puits Arbres creux qui enlacent les Capresses vagabondes Les Chabins chantent des airs à mourir Aux Chabines marronnes Et l’oie Oua-Oua trompette au nord Où les chasseurs de ratons Raclent les pelleteries Étincelant diamant Vancouver Où le train blanc de neige et de feux nocturnes fuit l’hiver O Paris Du rouge au vert tout le jaune se meurt Paris Vancouver Lyon Maintenon New-York et les Antilles La fenêtre s’ouvre comme une orange Le beau fruit de la lumière Guillaume APOLLINAIRE

18. (1916) La Nuit d'Avril 1915 « Nuit d’avril : 1915 »

Nuit d’avril : 1915 Le ciel est étoilé par les obus des boches, La forêt merveilleuse où je vis donne un bal, La mitrailleuse joue un air à triples croches Mais avez-vous le mot ?

19. (1914) Rotsoge « Rotsoge »

D… 90 ou 324 un homme en l’air un veau qui regarde à travers le ventre de sa mère J’ai cherché longtemps sur les routes Tant d’yeux sont clos au bord des routes Le vent fait pleurer les saussaies Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre Regarde mais regarde donc Le vieux se lave les pieds dans la cuvette Una volta ho inteso dire Ach du lieber Gott Je me mis à pleurer en me souvenant de vos enfances Et toi tu me montres un violet épouvantable Ce petit tableau où il y a une voiture m’a rappelé le jour Un jour fait de morceaux mauves jaunes bleus verts et rouges Où je m’en allais à la campagne avec une charmante cheminée tenant sa chienne en laisse Il n’y en a plus tu n’as plus ton petit mirliton La cheminée fume loin de moi des cigarettes russes La chienne aboie contre les lilas Et la veilleuse consumée Sur la robe ont chu des pétales Deux anneaux d’or près des sandales Au soleil se sont allumés Mais tes cheveux sont le trolley A travers l’Europe vêtue de petits feux multicolores.

20. (1917) Le Dépôt « Le Dépôt »

Le Dépôt Je me suis engagé sous le plus beau des cieux Dans Nice la Marine au nom victorieux Perdu parmi 900 conducteurs anonymes Je suis un charretier du neuf charroi de Nîmes L’Amour dit Reste ici mais là-bas les obus Epousent ardemment et sans cesse les buts J’attends que le printemps commande que s’en aille Vers le nord glorieux l’intrépide bleusaille Les 3 servants assis dodelinent leurs fronts Où brillent leurs yeux clairs comme mes éperons Un bel après-midi de garde à l’écurie J’entends sonner les trompettes d’artillerie J’admire la gaîté de ce détachement Qui va rejoindre au front notre beau régiment Le territorial se mange une salade A l’anchois en parlant de sa femme malade 4 pointeurs fixaient les bulles des niveaux Qui remuaient ainsi que les yeux des chevaux Le bon chanteur Girault nous chante après 9 heures Un grand air d’opéra toi l’écoutant tu pleures Je flatte de la main le petit canon gris Gris comme l’eau de Seine et je songe à Paris Mais ce pâle blessé m’a dit à la cantine Des obus dans la nuit la splendeur argentine Je mâche lentement ma portion de bœuf Je me promène seul le soir de 5 à 9 Je selle mon cheval nous battons la campagne Je te salue au loin belle rose ô tour Magne Décembre 1914

21. (1914) Rotsoge « Rotsoge »

90 ou 324 un homme en l’air un veau qui regarde à travers le ventre de sa mère J’ai cherché longtemps sur les routes Tant d’yeux sont clos au bord des routes Le vent fait pleurer les saussaies Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre Regarde mais regarde donc Le vieux se lave les pieds dans la cuvette Una volta ho inteso dire Ach du lieber Jott Et je me pris à pleurer en me souvenant de nos enfances Et toi tu me montres un violet épouvantable Ce petit tableau où il y a une voiture m’a rappelé le jour Un jour fait de morceaux mauves jaunes bleus verts et rouges Où je m’en allais à la campagne avec une charmante cheminée tenant sa chienne en laisse J’avais un mirliton que je n’aurais pas échangé contre un bâton de maréchal de France Il n’y en a plus je n’ai plus mon petit mirliton La cheminée fume loin de moi des cigarettes russes La chienne aboie contre les lilas Et la veilleuse consumée Sur la robe ont chu des pétales Deux anneaux d’or près des sandales Au soleil se sont allumés Tandis que tes cheveux sont comme le trolley A travers l’Europe vêtue de petits feux multicolores Guillaume Apollinaire

22. (1914) Un fantôme de nuées « Un fantôme de nuées »

Un fantôme de nuées   Comme c’était la veille du quatorze Juillet Vers les quatre heures de l’après-midi Je descendis dans la rue pour aller voir les saltimbanques Ces gens qui font des tours en plein air Commencent à être rares à Paris Dans ma jeunesse on en voyait beaucoup plus qu’aujourd’hui Ils s’en sont allés presque tous en province Je pris le boulevard Saint-Germain Et sur une petite place située entre Saint-Germain-des-Prés et la statue de Danton Je rencontrai les saltimbanques La foule les entourait muette et résignée à attendre Je me fis une place dans ce cercle afin de tout voir Poids formidables Villes de Belgique soulevées à bras tendus par un ouvrier russe de Longwy Haltères noirs et creuses qui ont pour tige un fleuve figé Doigts roulants une cigarette amère et délicieuse comme ta vie De nombreux tapis usés couvraient le sol Tapis qui ont des plis qu’on ne défera pas Tapis qui sont presque entièrement couleur de la poussière Et où quelques taches jaunes ou vertes ont persisté Comme un air de musique qui vous poursuit Vois-tu le personnage maigre et sauvage La cendre de ses frères lui sortait en barbe grisonnante Il portait ainsi toute son hérédité au visage Il semblait rêver à l’avenir En tournant machinalement un orgue de Barbarie Dont la lente voix se lamentait merveilleusement Les glouglous les couacs et les sourds gémissements Les saltimbanques ne bougeaient pas Le plus vieux avait un maillot de ce rose violâtre qu’ont aux joues certaines jeunes filles actives mais près de la mort Ce rose là se niche surtout dans les plis qu’entourent souvent leur bouche Ou près des narines C’est un rose plein de traitrise Cet homme portait-il ainsi sur le dos La teinte ignoble de ses poumons Les bras, les bras partout montaient la garde Le second saltimbanque N’était vêtu que de son ombre Je le regardai longtemps Son visage m’échappe entièrement C’est un homme sans tête Un autre enfin avait l’air d’un voyou D’un apache bon et crapule à la fois     Avec son pantalon bouffant et les accroche-chaussettes N’aurait-il pas eu l’apparence d’un maquereau à sa toilette La musique se tut et ce furent des pourparlers avec le public Qui sou à sou jeta sur le tapis la somme de deux francs cinquante Au lieu des trois francs que le vieux avait fixé comme prix des tours Mais quand il fut clair que personne ne donnerait plus rien On se décida à commencer la séance De dessous de l’orgue sortit un tout petit saltimbanque habillé de rose pulmonaire Avec de la fourrure aux poignets et aux chevilles Il poussait des cris brefs Et saluait en écartant gentiment les avant-bras Mains ouvertes Une jambe en arrière prête à la génuflexion Il salua ainsi aux quatre points cardinaux Et quand il marcha sur une boule Son corps mince devint une musique si délicate que nul parmi les spectateurs n’y fut insensible Cher petit esprit sans aucune humanité Pensa chacun Et cette musique des formes Détruisit celle de l’orgue mécanique Que moulait l’homme au visage couvert d’ancêtres Le petit saltimbanque fit la roue Avec tant d’audacieuse harmonie Que l’orgue cessa de jouer Et que l’organiste se cacha le visage dans les mains Aux doigts semblables aux descendants de son destin Fœtus minuscules qui lui sortaient de la barbe Nouveau cri de Peau-Rouge Musique angélique des arbres Disparition de l’enfant Les saltimbanques soulevèrent les grosses haltères à bout de bras Ils jonglèrent avec les poids Mais chaque spectateur cherchait en soi l’enfant miraculeux Siècle ô siècle des nuages     Guillaume Apollinaire.

23. (1911) Cortège « Cortège »

Cortège Oiseau tranquille au vol inverse, oiseau Qui nidifie en l’air, A la limite où notre sol brille déjà, Baisse ta deuxième paupière, la terre t’éblouit Quand tu lèves la tête. […] Oiseau tranquille, au vol inverse, oiseau Qui nidifie en l’air, A la limite où brille déjà ma mémoire, Baisse ta deuxième paupière Ni à cause du soleil, ni à cause de la terre, Mais pour ce feu oblong dont l’intensité ira s’augmentant Au point qu’il deviendra un jour l’unique lumière.

24. (1913) Un fantôme de nuées « Un fantôme de nuées »

Ces gens qui font des tours en plein air Commencent à être rares à Paris. […] De nombreux tapis noirs couvraient le sol, Tapis qui ont des plis qu’on ne défera pas, Tapis qui sont presque entièrement couleur de la poussière Et où quelques taches jaunes ou vertes ont persisté Comme un air de musique qui vous poursuit.

25. (1909) Le jour des morts « Le jour des morts »

L’air tremble de flammes et de prières Le cimetière est un beau jardin Plein de saules gris et de romarins Il vous vient souvent des amis qu’on enterre Ah !

26. (1917) Merveille de la guerre « Merveille de la guerre »

Merveille de la guerre Que c’est beau ces fusées qui illuminent la nuit Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour regarder Ce sont des dames qui dansent avec leurs regards pour yeux bras et cœurs J’ai reconnu ton sourire et ta vivacité C’est aussi l’apothéose quotidienne de toutes mes Bérénices dont les chevelures sont devenues des comètes Ces danseuses surdorées appartiennent à tous les temps et à toutes les races Elles accouchent brusquement d’enfants qui n’ont que le temps de mourir Comme c’est beau toutes ces fusées Mais ce serait bien plus beau s’il y en avait plus encore S’il y en avait des millions qui auraient un sens complet et relatif comme les lettres d’un livre Pourtant c’est aussi beau que si la vie même sortait des mourants Mais ce serait plus beau encore s’il y en avait plus encore Cependant je les regarde comme une beauté qui s’offre et s’évanouit aussitôt Il me semble assister à un grand festin éclairé à giorno C’est un banquet que s’offre la terre Elle a faim et ouvre de longues bouches pâles La terre a faim et voici son festin de Balthasar cannibale Qui aurait dit qu’on pût être à ce point anthropophage Et qu’il fallût tant de feu pour rôtir le corps humain C’est pourquoi l’air a un petit goût empyreumatique qui n’est ma foi pas désagréable Mais le festin serait plus beau encore si le ciel y mangeait avec la terre Il n’avale que des âmes Ce qui est une façon de ne pas se nourrir Et se contente de jongler avec des feux versicolores Mais j’ai coulé dans la douceur de cette guerre avec toute ma compagnie au long des longs boyaux Quelques cris de flamme annoncent sans cesse ma présence J’ai creusé le lit où je coule en me ramifiant en mille petits fleuves qui vont partout Je suis dans la tranchée de première ligne et cependant je suis partout je commence à être partout C’est moi qui commence cette chose des siècles à venir Ce sera plus long à réaliser que non la fable d’Icare volant Je lègue à l’avenir l’histoire de Guillaume Apollinaire Qui fut à la guerre et sut être partout Dans les villes heureuses de l’arrière Dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé Dans les femmes dans les canons dans les chevaux Au Zenith au Nadir aux 4 points cardinaux Et dans l’unique ardeur de cette veillée d’armes Et ce serait sans doute bien plus beau Si je pouvais supposer que toutes ces choses dans lesquelles je suis partout Pouvaient m’occuper aussi Mais dans ce sens il n’y a rien de fait Car si je suis partout à cette heure il n’y a cependant que moi qui suis en moi Décembre 1915

27. (1911) Poème lu au mariage d’André Salmon « Poème lu au mariage d’André Salmon »

Il s’en allait au milieu des Hamlets blafards Sur la flûte jouant les airs de la folie.

28. (1909) L'Obituaire « L’Obituaire »

Et tous bras dessus, bras dessous, Fredonnant des airs militaires, (Oui, tous vos péchés sont absous) Nous quittâmes le cimetière. […] Les enfants déchiraient l’air En soufflant, les joues creuses, Dans leurs sifflets de viorne, Ou de sureau, Tandis que les militaires Chantaient des tyroliennes En se répondant comme on le fait Dans la montagne.

29. (1912) La Maison des morts « La Maison des Morts »

Et tous bras dessus, bras dessous, Fredonnant des airs militaires, (Oui, tous vos péchés sont absous) Nous quittâmes le cimetière. […] Les enfants déchiraient l’air En soufflant, les joues creuses, Dans leurs sifflets de viorne, Ou de sureau, Tandis que les militaires Chantaient des tyroliennes En se répondant comme on le fait Dans la montagne.

30. (1917) La Victoire « La Victoire »

La Victoire Un coq chante je rêve et les feuillards agitent Leurs feuilles qui ressemblent à de pauvres marins Ailés et tournoyants comme Icare le faux Des aveugles gesticulant comme des fourmis Se miraient sous la pluie aux reflets du trottoir Leurs rires amassés en grappes de raisin Ne sors plus de chez moi diamant qui parlais Dors doucement tu es chez toi tout t’appartient Mon lit ma lampe et mon casque troué Regards précieux saphirs taillés aux environs de Saint-Claude               Tes joues étaient une pure émeraude Je me souviens de toi ville des météores Ils fleurissaient en l’air pendant ces nuits où rien ne dort Jardins de la lumière où j’ai cueilli des bouquets Tu dois en avoir assez de faire peur à ce ciel                                                                      Qu’il garde son hoquet On imagine difficilement A quel point le succès rend les gens stupides et tranquilles          A l’Institut des jeunes aveugles on a demandé N’avez-vous point ici de jeune aveugle ailé O Bouches l’homme est à la recherche d’un nouveau langage Auquel le grammairien d’aucune langue n’aura rien à dire Et ces vieilles langues sont tellement près de mourir Que c’est vraiment par habitude et manque d’audace Qu’on les fait encore servir à la poésie                     Mais entêtons-nous à parler                              Remuons la langue                              Lançons des postillons On veut de nouveaux sons                        de nouveaux sons                              de nouveaux sons On veut des consonnes sans voyelles Des consonnes qui pètent sourdement                   Imitez le son de la toupie         Laissez petiller un son nasal et continu       Faites claquer votre langue Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans civilité Le raclement aspiré du crachement ferait aussi une belle consonne Les divers pets labiaux rendraient aussi vos discours claironnants Habituez-vous à roter à volonté Et quelle lettre grave comme un son de cloche                      A travers nos mémoires Nous n’aimons pas assez la joie De voir de belles choses neuves           O mon amie hâte-toi,           Crains qu’un jour un train ne t’émeuve                          Plus Regarde-le vite pour toi Ces chemins de fer qui circulent Sortiront bientôt de la vie Ils seront beaux et ridicules Deux lampes brûlent devant moi Comme deux femmes qui rient Je courbe tristement la tête Devant l’ardente moquerie            Ce rire se répand                     Partout Parlez avec les mains faites claquer vos doigts Tapez-vous sur la joue comme sur un tambour                            O paroles           Elles suivent dans la myrtaie           L’Eros et l’Antéros en larmes Je suis le ciel de la cité                       Ecoutez la mer La mer peiner au loin et crier toute seule              Ma voix fidèle comme l’ombre              Veut être enfin l’ombre de la vie Veut être ô mer vivante infidèle comme toi La mer qui a trahi des matelots sans nombre Engloutit mes grands cris comme des dieux noyés Et la mer au soleil ne supporte que l’ombre Que jettent des oiseaux les ailes éployées La parole est soudaine et c’est un dieu qui tremble Avance et soutiens-moi je regrette les mains De ceux qui les tendaient et m’adoraient ensemble Quelle oasis de bras m’accueillera demain Connais-tu cette joie de voir des choses neuves                O Voix, je parle le langage de la mer Et dans le port la nuit les dernières tavernes Moi qui suis plus têtu que non l’hydre de Lerne                La rue où nagent mes deux mains                Aux doigts subtils fouillant la ville                S’en va                             Mais qui sait si demain                La rue devenait immobile                Qui sait où serait mon chemin                Songe que les chemins de fer              Seront démodés et abandonnés dans peu de temps                 Regarde                La victoire avant tout sera               De bien voir au loin                Et de tout voir                De près               Et que tout               Ait un nom nouveau Guillaume APOLLINAIRE.

31. (1917) Le palais du tonnerre « Le palais du tonnerre »

Le palais du tonnerre Par l’issue ouverte sur le boyau dans la craie En regardant la paroi adverse qui semble en nougat On voit à gauche et à droite fuir l’humide couloir désert Où meurt étendue une pelle à la face effrayante à deux yeux réglementaires qui servent à l’attacher sous les caissons Un rat y recule en hâte et j’avance en hâte Et le boyau s’en va couronné de craie semée de branches Comme un fantôme creux qui met du vide où il passe blanchâtre Et là-haut le toit est bleu et couvre bien le regard fermé par quelques lignes droites Mais en deçà de l’issue c’est le palais bien nouveau et qui paraît ancien Le plafond est fait de traverses de chemin de fer Entre lesquelles il y a des morceaux de craie et des touffes d’aiguilles de sapin Et de temps en temps des débris de craie tombent comme des morceaux de vieillesse A côté de l’issue que ferme un tissu lâche qui sert généralement aux emballages Il y a un trou qui sert d’âtre et ce qui y brûle est un feu semblable à l’âme Tant il tourbillonne et tant il est inséparable de ce qu’il dévore et fugitif Les fils de fer se tendent partout servant de sommier supportant des planches Ils forment aussi des crochets et l’on y suspend mille choses Comme on fait à la mémoire Des musettes bleues des casaques bleues des cravates bleues des vareuses bleues Morceaux du ciel tissus des souvenirs les plus purs Et il flotte parfois en l’air de vagues nuages de craie Sur la planche brillent des fusées détonateurs joyaux dorés à tête émaillée Funambules qui attendent leur tour de passer sur les trajectoires Et font un ornement mince et élégant à cette demeure souterraine Ornée de six lits placés en fer à cheval Six lits couverts de riches manteaux bleus Sur le palais il y a un haut tumulus de craie Et des plaques de tôle ondulée Fleuve figé de ce domaine idéal Mais privé d’eau car ici il ne roule que le feu jailli de la mélinite Le parc aux fleurs de fulminate jaillit des trous penchés Tas de cloches aux doux sons des douilles rutilantes Sapins élégants et petits comme en un paysage japonais Le palais s’éclaire parfois d’une bougie à la flamme aussi petite qu’une souris O palais minuscule comme si on te regardait par le gros bout d’une lunette Petit palais où tout s’assourdit Petit palais où tout est neuf rien rien d’ancien Et où tout est précieux où tout le monde est vêtu comme un roi Une selle est dans un coin à cheval sur une caisse Un journal du jour traîne par terre Et cependant tout paraît vieux dans cette neuve demeure Si bien qu’on comprend que l’amour de l’antique Le goût de l’anticaille Soit venu aux hommes dès le temps des cavernes Tout y était si précieux et si neuf Tout y est si précieux et si neuf Qu’une chose plus ancienne ou qui a déjà servi apparaît                                          Plus précieuse Que ce qu’on a sous la main Dans ce palais souterrain creusé dans la craie si blanche et si neuve Et deux marches neuves                           Elles n’ont pas deux semaines Sont si vieilles dans ce palais qui semble antique sans imiter l’antique Qu’on voit que ce qu’il y a de plus simple de plus neuf est Ce qui est le plus près de ce que l’on appelle la beauté antique Et ce qui est surchargé d’ornements Ce qui a des ornements qui ne sont pas nécessaires A besoin de vieillir pour avoir la beauté qu’on appelle antique Et qui est la noblesse la force l’ardeur l’âme l’usure De ce qui est neuf et qui sert Surtout si cela est simple simple Aussi simple que le petit palais du tonnerre Août 1915

32. (1912) Vendémiaire « Vendémiaire »

Vendémiaire Hommes de l’avenir souvenez-vous de moi Je vivais à l’époque où finissaient les rois Tour à tour ils mouraient silencieux et tristes Et trois fois courageux devenaient trismégistes Que Paris était beau à la fin de septembre Chaque nuit devenait une vigne où les pampres Répandaient leur clarté sur la ville et là-haut Astres mûrs becquetés par les ivres oiseaux De ma gloire attendaient la vendange de l’aube Un soir passant le long des quais déserts et sombres En rentrant à Auteuil j’entendis une voix Qui chantait gravement se taisant quelquefois Pour que parvînt aussi sur les bords de la Seine La plainte d’autres voix limpides et lointaines Et j’écoutai longtemps tous ces chants et ces cris Qu’éveillait dans la nuit la chanson de Paris J’ai soif villes de France et d’Europe et du monde Venez toutes couler dans ma gorge profonde Je vis alors que déjà ivre dans la vigne Paris Vendangeait le raisin le plus doux de la terre Ces grains miraculeux qui aux treilles chantèrent Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes Nous voici ô Paris nos maisons nos habitants Ces grappes de nos sens qu’enfanta le soleil Se sacrifient pour te désaltérer trop avide merveille Nous t’apportons tous les cerveaux les cimetières les murailles Ces berceaux pleins de cris que tu n’entendras pas Et d’amont en aval nos pensées ô rivières Les oreilles des écoles et nos mains rapprochées Aux doigts allongés nos mains les clochers Et nous t’apportons aussi cette souple raison Que le mystère clot comme une porte la maison Ce mystère courtois de la galanterie Ce mystère fatal fatal d’une autre vie Double raison qui est au delà de la beauté Et que la Grèce n’a pas connue ni l’Orient Double raison de la Bretagne où lame à lame L’océan châtre peu à peu l’ancien continent Et les villes du Nord répondirent gaiement O Paris nous voici boissons vivantes Les viriles cités où dégoisent et chantent Les métalliques saints de nos saintes usines Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées Comme fit autrefois l’Ixion mécanique Et nos mains innombrables Usines manufactures fabriques mains Oui mains où les ouvriers nus semblables à nos doigts Fabriquent du réel à tant par heure Nous te donnons tout cela Et Lyon répondit tandis que les anges de Fourvières Tissaient un ciel nouveau avec la soie des prières Désaltère-toi Paris avec les divines paroles Que mes lèvres le Rhône et la Saône murmurent Toujours le même culte de sa mort renaissant Divise ici les saints et fait pleuvoir le sang Heureuse pluie ô gouttes tièdes ô douleur Un enfant regarde les fenêtres s’ouvrir Et des grappes de têtes à d’ivres oiseaux s’offrir Les villes du Midi répondirent alors Noble Paris seule raison qui vis encore Qui fixes notre humeur selon ta destinée Et toi qui te retires Méditerranée Partagez-vous nos corps comme on rompt les hosties Ces très-hautes amours et leur danse orpheline Deviendront à Paris le vin pur que tu aimes Et un râle infini qui venait de Sicile Signifiait en battement d’ailes ces paroles Les raisins de nos vignes on les a vendangés Et ces grappes de morts dont les grains allongés Ont la saveur du sang de la terre et du sel Les voici pour ta soif ô Paris sous le ciel Obscurci de nuées faméliques Que caresse Ixion le créateur oblique Et où naissent sur la mer tous les corbeaux d’Afrique O raisins et ces yeux ternes et en famille L’avenir et la vie dans ces treilles s’ennuyent Mais où est le regard lumineux des sirènes Il trompa les marins qu’aimaient ces oiseaux-là Il ne tournera plus sur l’écueil de Scylla Où chantaient les trois voix suaves et sereines Le détroit tout-à-coup avait changé de face Visages de la chair de l’onde de tout Ce que l’on peut imaginer Vous n’êtes que des masques sur des faces masquées Il souriait jeune nageur entre les rives Et les noyés flottant sur son onde nouvelle Fuyaient en le suivant les chanteuses plaintives Elles dirent adieu au gouffre et à l’écueil A leurs pâles époux couchés sur les terrasses Puis ayant pris leur vol vers le brûlant soleil Les suivirent dans l’onde où s’enfoncent les astres Lorsque la nuit revint couverte d’yeux ouverts Errer au site où l’hydre a sifflé et hiver Et j’entendis soudain ta voix impérieuse O Rome Maudire d’un seul coup mes anciennes pensées Et ce ciel où l’amour guide les destinées Les feuillards repoussés sur l’arbre de la croix Et même la fleur de lys qui meurt au Vatican Macèrent dans le vin que je t’offre et qui a La saveur du sang pur de celui qui connaît Une autre liberté végétale dont tu Ne sais pas que c’est elle la suprême vertu Une couronne du trirègne est tombée sur les dalles Les hiérarques la foulent sous leurs sandales O splendeur démocratique qui pâlit Vienne la nuit royale où l’on tuera les bêtes La louve avec l’agneau l’aigle avec la colombe Une foule de rois ennemis et cruels Ayant soif comme toi dans la vigne éternelle Sortiront de la terre et viendront dans les airs Pour boire de mon vin par deux fois millénaire La Moselle et le Rhin se joignent en silence C’est l’Europe qui prie nuit et jour à Coblence Et moi qui m’attardais sur le quai à Auteuil Quand les heures tombaient parfois comme les feuilles Du cep lorsqu’il fut temps j’entendis la prière Qui joignait la limpidité de ces rivières Le vin de ton pays est meilleur que celui Qui pousse sur nos bords mais aux pampres du Nord Tous les grains ont mûri pour cette soif terrible Mes grappes d’hommes forts saignent dans le pressoir Tu boiras à longs traits tout le sang de l’Europe Parce que tu es beau et que seul tu es noble Parce que c’est dans toi que Dieu peut devenir Et tous mes vignerons dans ces belles maisons Qui reflètent le soir leurs feux dans nos deux eaux Dans ces belles maisons nettement blanches et noires Sans savoir que tu es la réalité chantent ta gloire Mais nous liquides mains jointes pour la prière Nous menons vers le sel les eaux aventurières Et la ville entre nous comme entre des ciseaux Ne reflète en dormant nul feu dans ses deux eaux Dont quelque sifflement lointain parfois s’élance Troublant dans leur sommeil les filles de Coblence Les villes répondaient maintenant par centaines Je ne distinguais plus leurs paroles lointaines Et Trèves la ville ancienne A leur voix mêlait la sienne L’univers tout entier concentré dans ce vin Qui contenait les mers les animaux les plantes Les cités les destins et les astres qui chantent Les hommes à genoux sur la rive du ciel Et le docile fer notre bon compagnon Le feu qu’il faut aimer comme on s’aime soi-même Tous les fiers trépassés qui sont un sous mon front L’éclair qui luit ainsi qu’une pensée naissante Tous les noms six par six les nombres un à un Des kilos de papier tordus comme des flammes Et ceux-là qui sauront blanchir nos ossements Les bons vers immortels qui s’ennuient patiemment Des armées rangées en bataille Des forêts de crucifix et mes demeures lacustres Au bord des yeux de celle que j’aime tant Les fleurs qui s’écrient hors de bouches Et tout ce que je ne sais pas dire Tout ce que je ne connaitrai jamais Tout cela tout cela changé en ce vin pur Dont Paris avait soif Me fut alors présenté Actions belles journées sommeils terribles Végétation accouplements musiques éternelles Mouvements adorations douleur divine Mondes qui vous ressemblez et qui nous ressemblez Je vous ai bu et ne fus pas désaltéré Mais je connus dès lors quelle saveur a l’univers Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers Sur le quai d’où je voyais l’onde couler et dormir les bélandres Ecoutez mes chants d’universelle ivrognerie Et la nuit de septembre s’achevait lentement Les feux rouges des ponts s’éteignaient dans la Seine Les étoiles mouraient le jour naissait à peine GUILLAUME APOLLINAIRE

33. (1912) Zône « Zône »

Zône A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La Religion seule est restée toute neuve la Religion Est restée simple comme les hangars de Port Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est toi pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières O portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les Directeurs les Ouvriers et les belles sténo-dactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Et dans l’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que malgré tout nous tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité c’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux qui transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles A tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pi-his longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis s’en vient la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigle phénix et pi-his de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Et vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse L’image qui te possède te fait sourire dans l’insomnie et dans l’angoisse Et c’est toujours près de toi la métive qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du Mensonge et de l’Age Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder la croix et à tous moments tu voudrais sangloter Sur moi sur celle que j’aime sur tout ce qui m’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Des familles transportent un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Beaucoup de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges Je les ai vu souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant On chante on danse on boit du champagne Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu Adieu Soleil levant cou tranché GUILLAUME APOLLINAIRE.

34. (1913) Zône « Zône »

Zône A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La Religion seule est restée toute neuve la Religion Est restée simple comme les hangars de Port Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est toi pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières O portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les Directeurs les Ouvriers et les belles sténodactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Eglise Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Et dans l’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que malgré tout nous tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est larbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité c’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux qui transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles A tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pi-his longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis s’en vient la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigles phénix et pi-his de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Et vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse L’image qui te possède te fait sourire dans l’insomnie et dans l’angoisse Et c’est toujours près de toi la métive qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du Mensonge et de l’Age Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder la croix et à tous moments tu voudrais sangloter Sur moi sur celle que j’aime sur tout ce qui m’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Des familles transportent un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Beaucoup de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges Je les ai vu souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant On chante on danse on boit du champagne Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu adieu Soleil levant cou tranché Guillaume Apollinaire

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