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2. (1918) Poème sans titre (incipit : « Vous me parlez d’un ministère ») « Poème sans titre (incipit : « Vous me parlez d’un ministère ») »

Poème sans titre (incipit : « Vous me parlez d’un ministère ») Vous me parlez d’un ministère Et des Lettres et des Beaux-Arts Je vous réponds que c’est la guerre La guerre avec tous ses hasards Que pensez-vous donc cher confrère De celui-ci qu’il faudrait faire Et qui serait le ministère Des Embusqués et des Froussards Signé : Guillaume Apollinaire

3. (1908) La Marchande (incipit : « Admirez le pouvoir insigne ») « La Marchande (incipit : « Admirez le pouvoir insigne ») »

La Marchande (incipit : « Admirez le pouvoir insigne »)               Admirez le pouvoir insigne               Et la noblesse de la ligne : Elle est la voix que la lumière fit entendre Et dont parle Hermès Trismégiste en son Pimandre.

4. (1910) La Confession « La Confession »

Elle parle d’abord de ceci, de cela, Puis ajoute : « Mon père, hélas ! […] »             « Je me confesse chaque année, ô mon père. »                            « Pourquoi parler alors           De ce péché sexagénaire ? 

5. (1916) Exercice « Exercice »

Tous quatre de la classe seize, Parlaient d’antan, non d’avenir, Ainsi se prolongeait l’ascèse Qui les exerçait à mourir.

6. (1905) Automne « Automne »

En s’en allant là-bas le paysan chantonne Une chanson d’amour et d’infidélité Qui parle d’une bague et d’un cœur que l’on brise.

7. (1913) Dans le jardin d’Anna « Dans le jardin d’Anna »

Dans le jardin d’Anna Certes si nous avions vécu en l’an dix-sept cent soixante Est-ce bien la date que vous déchiffrez Anna sur ce banc de pierre Et que par malheur j’eusse été allemand Mais que par bonheur j’eusse été près de vous Nous aurions parlé d’amour de façon imprécise Presque toujours en français Et pendue éperdument à mon bras Vous m’auriez écouté vous parler de Pythagoras En pensant aussi au café qu’on prendrait Dans une demi-heure Et l’automne eût été pareil à cet automne Que l’épine-vinette et les pampres couronnent Et brusquement parfois j’eusse salué très bas De nobles dames grasses et langoureuses J’aurais dégusté lentement et tout seul Pendant de longues soirées Le tokay épais ou la malvoisie J’aurais mis mon habit espagnol Pour aller sur la route par laquelle Arrive dans son vieux carrosse Ma grand’mère qui se refuse à comprendre l’allemand J’aurais écrit des vers pleins de mythologie Sur vos seins la vie champêtre et sur les dames Des alentours J’aurais souvent cassé ma canne Sur le dos d’un paysan J’aurais aimé entendre de la musique en mangeant Du jambon J’aurais juré en allemand je vous le jure Lorsque vous m’auriez surpris embrassant à pleine bouche Cette servante rousse Vous m’auriez pardonné dans le bois aux myrtilles J’aurais fredonné un moment Puis nous aurions écouté longtemps les bruits du crépuscule

8. (1913) Rolandseck « Rolandseck »

Rolandseck A Rolandseck je rêvais sur la rive verte La nonne de Roland dans l’île Nonnenwerth Semblait passer ancienne parmi les fillettes Les sept montagnes dormaient comme les bêtes Enfin lasses qui gardaient les princesses légendaires Et rêvant j’attendais le bac rectangulaire Des gens descendant venaient aussi pour passer le fleuve Trois dames au parler hanovrien Effeuillaient sans raison des roses dans le Rhin Qui semble une veine de Ton Corps si noble Sur la route bordant le fleuve et tachée d’ombre                  Fuyaient tremblant de peur Comme des chevaliers indignes les autos Tandis qu’au fil du Rhin s’en allaient des bateaux                  A vapeur

9. (1917) La Victoire « La Victoire »

La Victoire Un coq chante je rêve et les feuillards agitent Leurs feuilles qui ressemblent à de pauvres marins Ailés et tournoyants comme Icare le faux Des aveugles gesticulant comme des fourmis Se miraient sous la pluie aux reflets du trottoir Leurs rires amassés en grappes de raisin Ne sors plus de chez moi diamant qui parlais Dors doucement tu es chez toi tout t’appartient Mon lit ma lampe et mon casque troué Regards précieux saphirs taillés aux environs de Saint-Claude               Tes joues étaient une pure émeraude Je me souviens de toi ville des météores Ils fleurissaient en l’air pendant ces nuits où rien ne dort Jardins de la lumière où j’ai cueilli des bouquets Tu dois en avoir assez de faire peur à ce ciel                                                                      Qu’il garde son hoquet On imagine difficilement A quel point le succès rend les gens stupides et tranquilles          A l’Institut des jeunes aveugles on a demandé N’avez-vous point ici de jeune aveugle ailé O Bouches l’homme est à la recherche d’un nouveau langage Auquel le grammairien d’aucune langue n’aura rien à dire Et ces vieilles langues sont tellement près de mourir Que c’est vraiment par habitude et manque d’audace Qu’on les fait encore servir à la poésie                     Mais entêtons-nous à parler                              Remuons la langue                              Lançons des postillons On veut de nouveaux sons                        de nouveaux sons                              de nouveaux sons On veut des consonnes sans voyelles Des consonnes qui pètent sourdement                   Imitez le son de la toupie         Laissez petiller un son nasal et continu       Faites claquer votre langue Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans civilité Le raclement aspiré du crachement ferait aussi une belle consonne Les divers pets labiaux rendraient aussi vos discours claironnants Habituez-vous à roter à volonté Et quelle lettre grave comme un son de cloche                      A travers nos mémoires Nous n’aimons pas assez la joie De voir de belles choses neuves           O mon amie hâte-toi,           Crains qu’un jour un train ne t’émeuve                          Plus Regarde-le vite pour toi Ces chemins de fer qui circulent Sortiront bientôt de la vie Ils seront beaux et ridicules Deux lampes brûlent devant moi Comme deux femmes qui rient Je courbe tristement la tête Devant l’ardente moquerie            Ce rire se répand                     Partout Parlez avec les mains faites claquer vos doigts Tapez-vous sur la joue comme sur un tambour                            O paroles           Elles suivent dans la myrtaie           L’Eros et l’Antéros en larmes Je suis le ciel de la cité                       Ecoutez la mer La mer peiner au loin et crier toute seule              Ma voix fidèle comme l’ombre              Veut être enfin l’ombre de la vie Veut être ô mer vivante infidèle comme toi La mer qui a trahi des matelots sans nombre Engloutit mes grands cris comme des dieux noyés Et la mer au soleil ne supporte que l’ombre Que jettent des oiseaux les ailes éployées La parole est soudaine et c’est un dieu qui tremble Avance et soutiens-moi je regrette les mains De ceux qui les tendaient et m’adoraient ensemble Quelle oasis de bras m’accueillera demain Connais-tu cette joie de voir des choses neuves                O Voix, je parle le langage de la mer Et dans le port la nuit les dernières tavernes Moi qui suis plus têtu que non l’hydre de Lerne                La rue où nagent mes deux mains                Aux doigts subtils fouillant la ville                S’en va                             Mais qui sait si demain                La rue devenait immobile                Qui sait où serait mon chemin                Songe que les chemins de fer              Seront démodés et abandonnés dans peu de temps                 Regarde                La victoire avant tout sera               De bien voir au loin                Et de tout voir                De près               Et que tout               Ait un nom nouveau Guillaume APOLLINAIRE.

10. (1914) 1904 « 1904 »

1904 A Strasbourg en 1904 J’arrivai pour le lundi gras A l’hôtel m’assis devant l’âtre Près d’un chanteur de l’Opéra Qui ne parlait que de théâtre La Kellnerine rousse avait Mis sur sa tête un chapeau rose Comme Hébé que les dieux servait N’en eut jamais ô belles choses Carnaval chapeau rose Ave !

11. (1917) Le Pont « Le Pont »

Le Pont Deux dames le long le long du fleuve Elles se parlent par-dessus l’eau Et sur le pont de leurs paroles La foule passe et repasse en dansant un dieu              tu reviendras                          Hi !

12. (1909) Élégie « Élégie »

Nous parlions dans le vent auprès d’un petit mur Ou lisions l’inscription d’une pierre mise A cette place en souvenir d’un meurtre et sur Laquelle bien souvent tu t’es longtemps assise : « Gottfried apprenti de Brühl, l’an seize cent trente                      « Ici fut assassiné, « Sa fiancée en eut une douleur touchante « Requiem aeternam dona ei, Domine. » Le soleil au déclin empourprait la montagne Et notre amour saignait comme les groseillers Puis étoilant ce pâle automne d’Allemagne, La nuit, pleurant des lueurs, mourait à nos pieds Et notre amour ainsi se mêlait à la mort.

13. (1915) Le Repas « Le Repas »

Le Repas Il n’y a que la mère et les deux fils           Tout est ensoleillé           La table est ronde Dérrière la chaise où s’assied la mère           Il y a la fenêtre           Briller sous le soleil Les caps aux feuillages sombres des pins et des oliviers              Et plus près les villas aux toits rouges Aux toits rouges où fument les cheminées              Car c’est l’heure du repas              Tout est ensoleillé              Et sur la nappe glacée              La bonne affairée              Dépose un plat fumant           Le repas n’est pas une action vile Et tous les hommes devraient avoir du pain La mère et les deux fils mangent et parlent Et des chants de gaîté accompagnent le repas Les bruits joyeux des fourchettes et des assiettes Et le son clair du cristal et des verres Par la fenêtre ouverte viennent les chants des oiseaux              Dans les citronniers              Et de la cuisine arrive La chanson vive du beurre sur le feu Un rayon traverse un verre presque plein de vin mélangé d’eau Oh !

14. (1916) Le Désir « Désir »

Désir Mon désir est la région qui est devant moi Derrière les lignes boches Mon désir est aussi derrière moi Après la zône des armées Mon désir c’est la butte du Tahure Mon désir est là sur quoi je tire De mon désir qui est au delà de la zône des armées Je n’en parle pas aujourd’hui mais j’y pense Butte de Tahure je t’imagine en vain Des fils de fer des mitrailleuses des Boches trop sûrs d’eux Trop enfoncés sous terre déjà enterrés Ca ta clac des coups qui meurent en s’éloignant En y veillant tard dans la nuit Le Decauville qui toussote La tole ondulée sous la pluie Et sous la pluie ma bourguignote Entends la terre véhémente Vois les lueurs avant d’entendre les coups Et tel obus siffler de la démence Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût Je te vois main de Massiges Si décharnée sur la carte Le boyau Gœthe où j’ai tiré J’ai tiré même sur le boyau Nietzche Décidément je ne respecte aucune gloire Nuit violente et violette et sombre et pleine d’or par moments Nuit des hommes seulement Nuit du 24 septembre 1915 Demain l’assaut Nuit violente ô nuit dont l’épouvantable cri profond devenait plus intense de minute en minute Nuit des hommes seulement Nuit qui criait comme une femme qui accouche

15. (1917) Désir « Désir »

Désir Mon désir est la région qui est devant moi Derrière les lignes boches Mon désir est aussi derrière moi Après la zone des armées Mon désir c’est la butte du Mesnil Mon désir est là sur quoi je tire De mon désir qui est au delà de la zone des armées Je n’en parle pas aujourd’hui mais j’y pense Butte du Mesnil je t’imagine en vain Des fils de fer des mitrailleuses des ennemis trop sûrs d’eux Trop enfoncés sous terre déjà enterrés Ca ta clac des coups qui meurent en s’éloignant En y veillant tard dans la nuit Le Décauville qui toussote La tôle ondulée sous la pluie Et sous la pluie ma bourguignote Entends la terre véhémente Vois les lueurs avant d’entendre les coups Et tel obus siffler de la démence Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût Je désire te serrer dans ma main Main de Massiges Si décharnée sur la carte Le boyau Gœthe où j’ai tiré J’ai tiré même sur le boyau Nietzsche Décidément je ne respecte aucune gloire Nuit violente et violette et sombre et pleine d’or par moments                   Nuit des hommes seulement                   Nuit du 24 septembre                   Demain l’assaut Nuit violente ô nuit dont l’épouvantable cri profond devenait plus intense de minute en minute Nuit qui criait comme une femme qui accouche                   Nuit des hommes seulement 24 Septembre 1915

16. (1914) Prophéties « Prophéties »

Prophéties J’ai connu quelques prophétesses Madame Salmajour avait appris en Océanie à tirer les cartes C’est là-bas qu’elle avait eu encore l’occasion de participer A une scène savoureuse d’anthropophagie Elle n’en parlait pas à tout le monde En ce qui concerne l’avenir elle ne se trompait jamais Une cartomancienne céretane Marguerite je ne sais plus quoi          Est également habile Mais Madame Deroy est la mieux inspirée          La plus précise Tout ce qu’elle m’a dit du passé était vrai et tout ce qu’elle M’a annoncé s’est vérifié dans le temps qu’elle indiquait J’ai connu un sciomancien mais je n’ai pas voulu qu’il          Interrogeât mon ombre Je connais un sourcier c’est le peintre norvégien Diriks Miroir brisé sel renversé ou pain qui tombe Puissent ces dieux sans figure m’épargner toujours Au demeurant je ne crois pas mais je regarde et j’écoute et notez Que je lis assez bien dans la main Car je ne crois pas mais je regarde et quand c’est possible j’écoute Tout le monde est prophète mon cher André Billy Mais il y a si longtemps qu’on fait croire aux gens Qu’ils n’ont aucun avenir qu’ils sont ignorants à jamais          Et idiots de naissance Qu’on en a pris son parti et que nul n’a même l’idée De se demander s’il connaît l’avenir ou non Il n’y a pas d’esprit religieux dans tout cela          Ni dans les superstitions ni dans les prophéties          Ni dans tout ce que l’on nomme occultisme Il y a avant tout une façon d’observer la nature          Et d’interpréter la nature          Qui est très légitime

17. (1909) Le jour des morts « Le jour des morts »

Des enfants morts parlent parfois avec leur mère, Et des mortes parfois voudraient bien revenir.

18. (1912) Le Voyageur « Le Voyageur »

Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés, Deux matelots qui ne s’étaient jamais parlé, Le plus jeune en mourant tomba sur le côté.

19. (1909) L'Obituaire « L’Obituaire »

Une morte, assise sur un banc, Près d’un buisson d’épine-vinette, Laissait un étudiant, Agenouillé à ses pieds, Lui parler de fiançailles : — Je vous attendrai Dix ans, vingt ans, s’il le faut. […] A l’avant du bateau que je gouvernais, Un mort parlait avec une jeune femme Vêtue d’une robe jaune, D’un corsage noir Avec des rubans bleus et d’un chapeau gris Orné d’une seule petite plume défrisée.

20. (1912) La Maison des morts « La Maison des Morts »

Une morte, assise sur un banc, Près d’un buisson d’épine-vinette, Laissait un étudiant Agenouillé à ses pieds, Lui parler de fiançailles : ‒ Je vous attendrai Dix ans, vingt ans s’il le faut. […] Des barques étaient amarrées Dans un havre ; On les détacha Après que toute la troupe se fût embarquée, Et quelques morts ramaient Avec autant de vigueur que les vivants, A l’avant du bateau que je gouvernais, Un mort parlait avec une jeune femme Vêtue d’une robe jaune, D’un corsage noir Avec des rubans bleus et d’un chapeau gris Orné d’une seule plume défrisée.

21. (1911) Cortège « Cortège »

Puis, sur terre il venait mille peuplades blanches Dont chaque homme tenait une rose à la main Et le langage qu’ils inventaient en chemin Je l’appris de leur bouche et je le parle encore.

22. (1911) Le Larron « Le Larron »

Le Larron Maraudeur étranger malheureux malhabile Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits Mais puisque tu as faim que tu es en exil Il pleure il est barbare et bon pardonnez-lui Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs Mais ce n’est pas l’exil que je viens simuler Et sachez que j’attends de moyennes tortures Injustes si je rends tout ce que j’ai volé Issu de l’écume des mers comme Aphrodite Sois docile puisque tu es beau naufragé Vois les sages te font des gestes socratiques Vous parlerez d’amour quand il aura mangé Maraudeur étranger malhabile et malade Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades As-tu feint d’avoir faim quand tu volas les fruits Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère et l’adulte De prétexte sinon que s’aimer nuitamment Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes Et des amandes de pomme de pin jonchaient Votre jardin marin où j’ai laissé mes rames Et mon couteau punique au pied de ce pêcher Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades Et presque toutes les figues étaient fendues Il entra dans la salle aux fresques qui figurent L’inceste solaire et nocturne dans les nues Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures Au son des cinyres des Lydiennes nues Or les hommes ayant des masques de théâtre Et les femmes ayant des colliers où pendait La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Parlaient entre eux le langage de la Chaldée Les autans langoureux dehors feignaient l’automne Les convives c’étaient tant de couples d’amants Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne Reçois d’abord le sel puis le pain de froment Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres Mais l’outre en peau de bouc maintient frais le vin blanc Par ironie veux-tu qu’on serve un plat de fèves Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond Une femme lui dit Tu n’invoques personne Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes Veux-tu le talisman heureux de mon collier Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau * *   * Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe Il en est tant venu par la route ou la mer Conquérants égarés qui s’éloignent trop vite Et des bandes souvent qui fuyaient aux éclairs Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes Passa menant un peuple infime pour l’orgueil De manger chaque jour les cailles et la manne Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil Les puiseurs d’eau barbus coiffés de bandelettes Noires et blanches contre les maux et les sorts Revenaient de l’Euphrate et les yeux des chouettes Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors Cet insecte jaseur ô poète barbare Regagnait chastement à l’heure d’y mourir La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares Aux crapauds que l’azur et les sources mûrirent Un triomphe passait gémir sous l’arc-en-ciel Avec de blêmes laurés debout dans les chars Les statues suant les scurriles les agnelles Et l’angoisse rauque des paonnes et des jars Les veuves précédaient en égrenant des grappes Les évêques noirs révérant sans le savoir Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes Pallas et chantaient l’hymne à la belle mais noire Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs Nous aurons des baisers florentins sans le dire Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur * *   * Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène Belphégor le soleil le silence ou le chien Cette furtive ardeur des serpents qui s’entr’aiment Et le larron des fruits cria Je suis chrétien Ah Ah les colliers tinteront cherront les masques Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombre prévaut Ah Ah le larron de gauche dans la bourrasque Rira de toi comme hennissent les chevaux Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau Ah Ah nous secouerons toute la nuit les sistres La voix ligure était-ce donc un talisman Et si tu n’es pas ne droite tu es sinistre Comme une tache grise ou le pressentiment Puisque l’absolu choit la chute est une preuve Qui double devient triple avant d’avoir été Nous avouons que les grossesses nous émeuvent Les ventres pourront seuls nier l’aséité Vois les vases sont pleins d’humides fleurs morales Va-t’en mais dénudé puisque tout est à nous Ouïs du chœur des vents les cadences plagales Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou le gnou L’ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair Et sombre elle est humaine et puis la nôtre aussi Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères Et puis aucun de nous ne croirait tes récits Il brillait et attirait comme la pantaure Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée Et les femmes la nuit feignant d’être des taures L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’en effet Il était pâle il était beau comme un roi ladre Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Au lieu du roseau triste et du funèbre faix Que n’alla-t-il vivre à la cour du roi d’Edesse Maigre et magique il eût scruté le firmament Pâle et magique il eût aimé des poétesses Juste et magique il eût épargné les démons Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre Soit la triade est mâle et tu es vierge et froid Le tact est relatif mais la vue est oblongue Tu n’as de signe que le signe de la croix Vouons le vol à Sparte et l’inceste à Ninive Nous rentrerons demain à l’école d’Elée Qu’on souffle les flambeaux à cause des convives Qui se fiant au Bègue ont peur d’être brûlés

23. (1903) Le Larron « Le Larron »

Vous parlerez d’amour quand il aura mangé.

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