/ 21
2. (1905) Salomé « Salomé »

Ma mère, dites-moi pourquoi vous êtes triste, En robe de comtesse, à côté du Dauphin ? […] N’y touchez pas ; son front, ma mère, est déjà froid.

3. (2019) Salomé « Salomé »

Ma mère, dites-moi, pourquoi vous êtes triste, En robe de comtesse à côté du Dauphin ? […] N’y touchez pas ; son front, ma mère, est déjà froid.

4. (1911) Salomé « Salomé »

Ma mère, dites-moi, pourquoi vous êtes triste, En robe de comtesse à côté du Dauphin ? […] N’y touchez pas ; son front, ma mère, est déjà froid.

5. (1902) Les Colchiques « Les Colchiques »

Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières Qui battent comme les fleurs battent au vent dément.

6. (1912) Les Colchiques « Les Colchiques »

Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères, Filles de leurs filles, et sont comme tes paupières Qui battent, comme les fleurs battent au vent dément.

7. (1911) Marie « Marie »

Marie                    Vous y dansiez petite fille                    Y danserez-vous mère grand                    C’est la Marlotte qui sautille                    Toutes les cloches sonneront                    Quand donc reviendrez-vous Marie                    Les masques sont silencieux                    Et la musique est si lointaine                    Qu’elle semble venir des cieux Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine                    Et mon mal est délicieux                    Les brebis s’en vont dans la neige                    Flocons de laine et ceux d’argent                    Des soldats passent et que n’ai-je                    Un cœur à moi ce cœur changeant                    Changeant et puis encor que sais-je                    Sais-je où s’en iront tes cheveux                    Crêpus comme mer qui moutonne                    Sais-je où s’en iront tes cheveux                    Et tes mains feuilles de l’automne                    Que jonchent aussi nos aveux                    Je passais au bord de la Seine                    Un livre ancien sous le bras                    Le fleuve est pareil à ma peine                    Il s’écoule et ne tarit pas                    Quand donc finira la semaine

8. (1915) Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] « Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] »

Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar]       C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier Auprès des canons gris voilés tournés vers le nord Que je songe au village africain   Où l’on dansait où l’on chantait       Où l’on faisait l’amour           Et de longs discours              Nobles et joyeux Je revois mon père qui se battit  Contre les Achantis au service des Anglais    Caresser les seins durs comme des obus        De ma sœur au rire en folie             Et je revois    Ma mère la sorcière qui seule du village         Méprisait le sel    Piler le millet dans un mortier    En regardant mon frère bercer         Sa superbe virilité    Qui semblait un petit enfant Je me souviens du si délicat si inquiétant    Fétiche dans l’arbre Et du double fétiche de la fécondité    Plus tard une tête coupée    Au bord d’un marécage    O pâleur de mon ennemi    C’était une tête d’argent      Et dans le marais    C’était la lune qui luisait    C’était donc une tête d’argent    Là-haut c’était la lune qui dansait      C’était donc une tête d’argent    Et moi dans l’ombre j’étais invisible      C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde    Similitudes pâleurs Et ma sœur plus tard    Suivit un tirailleur         Mort à Arras    Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l’évêque    Si doux si doux avec ma mère    De beurre de beurre avec ma sœur      C’était dans une petite cabane          Moins sauvage que notre Cagnat de Canonniers servants          J’ai connu l’affût au bord des marécages          Où la girafe boit les jambes écartées             J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste             Le Village                     Viole les femmes                              Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute        J’ai porté l’administrateur des semaines      De village en village                      En chantonnant Et je fus domestique à Paris    Je ne sais pas mon âge       Mais au recrutement       On m’a donné vingt ans    Je suis soldat français on m’a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où   Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir     Pourquoi ne pas danser et discourir         Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses     Sous la tempête de feux métalliques           Je me souviens d’un lac affreux               Une nuit folle           Une nuit de sorcellerie Et de couples enchaînés par un atroce amour

9. (1915) Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] « Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] »

Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar]       C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier Auprès des canons gris voilés tournés vers le nord Que je songe au village africain   Où l’on dansait où l’on chantait       Où l’on faisait l’amour           Et de longs discours              Nobles et joyeux Je revois mon père qui se battit  Contre les Achantis au service des Anglais    Caresser les seins durs comme des obus        De ma sœur au rire en folie             Et je revois    Ma mère la sorcière qui seule du village         Méprisait le sel    Piler le millet dans un mortier    En regardant mon frère bercer         Sa superbe virilité    Qui semblait un petit enfant Je me souviens du si délicat si inquiétant    Fétiche dans l’arbre Et du double fétiche de la fécondité    Plus tard une tête coupée    Au bord d’un marécage    O pâleur de mon ennemi    C’était une tête d’argent      Et dans le marais    C’était la lune qui luisait    C’était donc une tête d’argent    Là-haut c’était la lune qui dansait      C’était donc une tête d’argent    Et moi dans l’ombre j’étais invisible      C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde    Similitudes pâleurs Et ma sœur plus tard    Suivit un tirailleur         Mort à Arras    Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l’évêque    Si doux si doux avec ma mère    De beurre de beurre avec ma sœur      C’était dans une petite cabane          Moins sauvage que notre Cagnat de Canonniers servants          J’ai connu l’affût au bord des marécages          Où la girafe boit les jambes écartées             J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste             Le Village                     Viole les femmes                              Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute        J’ai porté l’administrateur des semaines      De village en village                      En chantonnant Et je fus domestique à Paris    Je ne sais pas mon âge       Mais au recrutement       On m’a donné vingt ans    Je suis soldat français on m’a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où   Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir     Pourquoi ne pas danser et discourir         Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses     Sous la tempête de feux métalliques           Je me souviens d’un lac affreux               Une nuit folle           Une nuit de sorcellerie Et de couples enchaînés par un atroce amour

10. (1915) A l’Italie (incipit : « L’amour a remué ma vie ») « A l’Italie (incipit : « L’amour a remué ma vie ») »

A l’Italie (incipit : « L’amour a remué ma vie ») L’amour a remué ma vie comme on remue la terre dans la zône des armées J’atteignais l’âge mûr quand la guerre arriva Et dans ce jour d’août 1915 le plus chaud de l’année Bien abrité dans l’hypogée que j’ai creusé moi-même C’est à toi que je songe ITALIE mère de mes pensées Et dejà quand von Kluck marchait sur Paris avant la Marne J’évoquais le sac de Rome par les Allemands Le sac de Rome qu’ont décrit Un Bonaparte le vicaire espagnol Delicado et l’Arétin Je me disais Est-il possible que la nation Qui est la mère de la civilisation Regarde sans la défendre les efforts qu’on fait pour la détruire Puis les temps sont venus les tombes se sont ouvertes Les fantômes des Esclaves toujours frémissants Se sont dressés en criant                                           SUS AUX TUDESQUES Nous l’armée invisible aux cris éblouissants Plus doux que n’est le miel et plus simples qu’un peu de terre Nous te tournons bénignement le dos ITALIE Mais ne t’en fais pas nous t’aimons bien ITALIE f mère qui es aussi notre fille Nous sommes là tranquillement et sans tristesse Et si malgré les masques les sacs de sable les rondins nous tombions Nous savons qu’un autre prendrait notre place Et que LES ARMEES ne périront jamais Les mois ne sont pas longs ni les jours ni les nuits C’est la guerre qui est longue ITALIE Toi notre mère et notre fille quelque chose comme une sœur J’ai comme toi pour me réconforter le quart de pinard Qui met tant de différence entre nous et les Boches J’ai aussi comme toi l’envol des compagnies de perdreaux des 75 Comme toi je n’ai pas cet orgueil sans joie des Boches et je sais rigoler Je ne suis pas sentimental à l’excès comme le sont ces gens sans mesure que leurs actions dépassent sans qu’il sachent s’amuser Notre civilisation a plus de finesse que les choses qu’ils emploient Elle est au delà de la vie confortable Et de ce qui est l’extérieur dans l’art et l’industrie Les fleurs sont nos enfants et non les leurs Même la fleur de lys qui meurt au Vatican La plaine est infinie et les tranchées sont blanches Les avions bourdonnent ainsi que des abeilles Sur les roses momentanées des éclatements Et les nuits sont parées de guirlandes d’éblouissements De bulles de globules aux couleurs insoupçonnées Nous jouissons de tout même de nos souffrances Notre humeur est charmante l’ardeur vient quand il faut Nous sommes narquois car nous savons faire la part des choses Et il n’y a pas plus de folie chez celui qui jette les grenades que chez celui qui plume les patates Tu aimes un peu plus que nous les gestes et les mots sonores Tu as à ta disposition les sortilèges étrusques le sens de la majesté héroïque et le courageux honneur individuel Nous avons le sourire nous devinons ce qu’on ne nous dit pas nous sommes démerdards et même ceux qui se dégonflent sauraient à l’occasion faire preuve de l’esprit de sacrifice qu’on appelle la bravoure Et nous fumons du gros avec volupté C’est la nuit je suis dans mon blockaus éclairé par l’électricité en bâton Je pense à toi pays des 2 volcans Je salue le souvenir des sirènes et des scylles mortes au moment de Messine Je salue le Colleoni équestre de Venise Je salue la chemise rouge Je t’envoie mes amitiés ITALIE et m’apprête à applaudir aux hauts faits de ta bleusaille Non parce que j’imagine qu’il y aura jamais plus de bonheur ou de malheur en ce monde Mais parce que comme toi j’aime à penser seul et que les Boches m’en empêcheraient Mais parce que le goût naturel de la perfection que nous avons l’un et l’autre si on les laissait faire serait vite remplacé par je ne sais quelles commodités dont je n’ai que faire Et surtout parce que comme toi je sais je veux choisir et qu’eux voudraient nous forcer à ne plus choisir Une même destinée nous lie en cette occase Ce n’est pas pour l’ensemble que je le dis Mais pour chacun de tei ITALIE Ne te borne point à prendre les terres irrédentes Mets ton destin dans la balance où est le nôtre Les réflecteurs dardent leurs lueurs comme des yeux d’escargots Et les obus en tombant sont des chiens qui jettent de la terre avec leurs pattes après avoir fait leurs besoins Notre armée invisible est une belle nuit constellée Et chacun de nos hommes est un astre merveilleux               O nuit, o nuit éblouissante Les morts sont avec nos soldats Les morts sont debout dans les tranchées Ou se glissent souterrainement vers les Bien-Aimees O Lille Saint-Quentin Laon Maubeuge Vouziers Nous jetons nos villes comme des grenades Nos fleuves sont brandis comme des sabres Nos montagnes chargent comme cavalerie Nous reprendrons les villes les fleuves et les collines De la frontière helvétique aux frontières bataves               Entre toi et nous ITALIE Il y a des patelins pleins de femmes Et près de toi m’attend celle que j’adore                                O FRERES D’ITALIE Ondes nuages délétères Metalliques débris qui vous rouillez partout O frères d’ITALIE vos plumes sur la tête                                          ITALIE Entends crier Louvain vois Reims tordre ses bras Et ce soldat blessé toujours debout Arras               Et maintenant chantons ceux qui sont morts               Ceux qui vivent les officiers et les soldats               Les flingots Rosalie le canon la fusée l’hélice la pelle les chevaux Chantons les bagues pâles les casques                 Chantons ceux qui sont morts                 Chantons la terre qui bâille d’ennui                 Chantons et rigolons                 Durant des années                                                   ITALIE Entends braire l’âne boche Faisons la guerre à coups de fouets Faits avec les rayons du soleil                                                   ITALIE Chantons et rigolons                 Durant des années Guillaume Apollinaire.

11. (1914) Rotsoge « Rotsoge »

D… 90 ou 324 un homme en l’air un veau qui regarde à travers le ventre de sa mère J’ai cherché longtemps sur les routes Tant d’yeux sont clos au bord des routes Le vent fait pleurer les saussaies Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre Regarde mais regarde donc Le vieux se lave les pieds dans la cuvette Una volta ho inteso dire Ach du lieber Gott Je me mis à pleurer en me souvenant de vos enfances Et toi tu me montres un violet épouvantable Ce petit tableau où il y a une voiture m’a rappelé le jour Un jour fait de morceaux mauves jaunes bleus verts et rouges Où je m’en allais à la campagne avec une charmante cheminée tenant sa chienne en laisse Il n’y en a plus tu n’as plus ton petit mirliton La cheminée fume loin de moi des cigarettes russes La chienne aboie contre les lilas Et la veilleuse consumée Sur la robe ont chu des pétales Deux anneaux d’or près des sandales Au soleil se sont allumés Mais tes cheveux sont le trolley A travers l’Europe vêtue de petits feux multicolores.

12. (1918) Souvenir des Flandres « Souvenir des Flandres »

Les destins Rient dans les moissons d’or et dans le sein des mères.

13. (1914) Rotsoge « Rotsoge »

90 ou 324 un homme en l’air un veau qui regarde à travers le ventre de sa mère J’ai cherché longtemps sur les routes Tant d’yeux sont clos au bord des routes Le vent fait pleurer les saussaies Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre Regarde mais regarde donc Le vieux se lave les pieds dans la cuvette Una volta ho inteso dire Ach du lieber Jott Et je me pris à pleurer en me souvenant de nos enfances Et toi tu me montres un violet épouvantable Ce petit tableau où il y a une voiture m’a rappelé le jour Un jour fait de morceaux mauves jaunes bleus verts et rouges Où je m’en allais à la campagne avec une charmante cheminée tenant sa chienne en laisse J’avais un mirliton que je n’aurais pas échangé contre un bâton de maréchal de France Il n’y en a plus je n’ai plus mon petit mirliton La cheminée fume loin de moi des cigarettes russes La chienne aboie contre les lilas Et la veilleuse consumée Sur la robe ont chu des pétales Deux anneaux d’or près des sandales Au soleil se sont allumés Tandis que tes cheveux sont comme le trolley A travers l’Europe vêtue de petits feux multicolores Guillaume Apollinaire

14. (1914) L'Ignorance « L’Ignorance »

L’Ignorance Icare Soleil je suis jeune et c’est à cause de toi Mon ombre pour être fauste je l’ai jetée Pardon je ne fais pas plus d’ombre qu’une étoile Je suis le seul qui pense dans l’immensité Mon père m’apprit les détours du labyrinthe Et la science de la terre et puis mourut Et depuis j’ai scruté longtemps la vieille crainte Du ciel mobile et me suis nourri d’herbes crues Les oracles c’est vrai désapprouvaient ce zèle Mais nul dieu pour tout dire n’est intervenu Et pieux j’ai peiné pour achever les ailes Qu’un peu de cire fixe à mes épaules nues Et j’ai pris mon essor vers ta face splendide Les horizons terrestres se sont étalés Des déserts de Lybie aux palus méotides Et des sources du Nil aux brumes de Thulé Soleil je viens caresser ta face splendide Et veux fixer ta flamme unique aveuglément Icare étant céleste est plus divin qu’Alcide Et son bûcher sera ton éblouissement Pâtres Je vois un dieu oblong flotter sous le soleil Puisse le premier dieu visible s’en aller Et si c’était un dieu mourant cette merveille Prions qu’il tombe ailleurs que dans notre vallée Icare Pour éviter la Nuit ta mère incestueuse Dieu circulaire et bon je flotte entre les nues Loin de la terre où luit ta fille ténébreuse La Nuit cette inconnue parmi les inconnus Et je vivrai par ta chaleur et d’espérance Mais ton amour soleil brûle divinement Mon corps qu’être divin voulut mon ignorance Et ciel Humains je tourne en l’éblouissement Bateliers Un dieu choît dans la mer un dieu nu les mains vides Au semblant des noyés il ira sur une île Pourrir face tournée vers le soleil splendide Deux ailes feuillolent sous le ciel d’Ionie.

15. (1913) Lundi rue Christine « Lundi rue Christine »

Lundi rue Christine La mère de la concierge et la concierge laisseront tout passer Si tu es un homme tu m’accompagneras ce soir Il suffirait qu’un type maintint la porte cochère Pendant que l’autre monterait Trois becs de gaz allumés La patronne est poitrinaire Quand tu auras fini nous jouerons une partie de jacquet Un chef d’orchestre qui a mal à la gorge Quand tu viendras à Tunis je te ferai fumer du Kief Ça a l’air de rimer Des piles de soucoupes des fleurs un calendrier Pim pam pim Je dois fiche près de 300 francs à ma probloque Je préférerais me couper le parfaitement que de les lui donner Je partirai à 20 h. 27 Six glaces s’y dévisagent toujours Je crois que nous allons nous embrouiller encore davantage Cher monsieur Vous êtes un mec à la mie de pain Cette dame a le nez comme un ver solitaire Louise a oublié sa fourrure Moi je n’ai pas de fourrure et je n’ai pas froid Le Danois fume sa cigarette en consultant l’horaire Le chat noir traverse la brasserie Ces crêpes étaient exquises La fontaine coule Robe noire comme ses ongles C’est complètement impossible Voici monsieur La bague en malachite Le sol est semé de sciure Alors c’est vrai La serveuse rousse a été enlevée par un libraire Un journaliste que je connais d’ailleurs très vaguement Ecoute Jacques c’est très sérieux ce que je vais te dire Compagnie de Navigation mixte Il me dit monsieur voulez-vous voir ce que je peux faire d’eaux fortes et de tableaux Je n’ai qu’une petite bonne Après déjeuner café du Luxembourg Une fois là il me présente un gros bonhomme Qui me dit écoutez c’est charmant A Smyrne à Naples en Tunisie Mais nom de Dieu où est-ce La dernière fois que j’ai été en Chine C’est il y a huit ou neuf ans L’Honneur tient souvent à l’heure que marque la pendule La quinte major Guillaume Apollinaire

16. (1909) Le jour des morts « Le jour des morts »

Des enfants morts parlent parfois avec leur mère, Et des mortes parfois voudraient bien revenir.

17. (1912) Merlin et la vieille femme « Merlin et la vieille femme »

Merlin et la vieille femme Le soleil ce jour-là, s’étalait comme un ventre Maternel, qui saignait lentement sur le ciel ; La lumière est ma mère, ô lumière sanglante !

18. (1911) Le Larron « Le Larron »

Le Larron Maraudeur étranger malheureux malhabile Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits Mais puisque tu as faim que tu es en exil Il pleure il est barbare et bon pardonnez-lui Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs Mais ce n’est pas l’exil que je viens simuler Et sachez que j’attends de moyennes tortures Injustes si je rends tout ce que j’ai volé Issu de l’écume des mers comme Aphrodite Sois docile puisque tu es beau naufragé Vois les sages te font des gestes socratiques Vous parlerez d’amour quand il aura mangé Maraudeur étranger malhabile et malade Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades As-tu feint d’avoir faim quand tu volas les fruits Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère et l’adulte De prétexte sinon que s’aimer nuitamment Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes Et des amandes de pomme de pin jonchaient Votre jardin marin où j’ai laissé mes rames Et mon couteau punique au pied de ce pêcher Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades Et presque toutes les figues étaient fendues Il entra dans la salle aux fresques qui figurent L’inceste solaire et nocturne dans les nues Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures Au son des cinyres des Lydiennes nues Or les hommes ayant des masques de théâtre Et les femmes ayant des colliers où pendait La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Parlaient entre eux le langage de la Chaldée Les autans langoureux dehors feignaient l’automne Les convives c’étaient tant de couples d’amants Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne Reçois d’abord le sel puis le pain de froment Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres Mais l’outre en peau de bouc maintient frais le vin blanc Par ironie veux-tu qu’on serve un plat de fèves Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond Une femme lui dit Tu n’invoques personne Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes Veux-tu le talisman heureux de mon collier Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau * *   * Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe Il en est tant venu par la route ou la mer Conquérants égarés qui s’éloignent trop vite Et des bandes souvent qui fuyaient aux éclairs Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes Passa menant un peuple infime pour l’orgueil De manger chaque jour les cailles et la manne Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil Les puiseurs d’eau barbus coiffés de bandelettes Noires et blanches contre les maux et les sorts Revenaient de l’Euphrate et les yeux des chouettes Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors Cet insecte jaseur ô poète barbare Regagnait chastement à l’heure d’y mourir La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares Aux crapauds que l’azur et les sources mûrirent Un triomphe passait gémir sous l’arc-en-ciel Avec de blêmes laurés debout dans les chars Les statues suant les scurriles les agnelles Et l’angoisse rauque des paonnes et des jars Les veuves précédaient en égrenant des grappes Les évêques noirs révérant sans le savoir Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes Pallas et chantaient l’hymne à la belle mais noire Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs Nous aurons des baisers florentins sans le dire Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur * *   * Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène Belphégor le soleil le silence ou le chien Cette furtive ardeur des serpents qui s’entr’aiment Et le larron des fruits cria Je suis chrétien Ah Ah les colliers tinteront cherront les masques Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombre prévaut Ah Ah le larron de gauche dans la bourrasque Rira de toi comme hennissent les chevaux Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau Ah Ah nous secouerons toute la nuit les sistres La voix ligure était-ce donc un talisman Et si tu n’es pas ne droite tu es sinistre Comme une tache grise ou le pressentiment Puisque l’absolu choit la chute est une preuve Qui double devient triple avant d’avoir été Nous avouons que les grossesses nous émeuvent Les ventres pourront seuls nier l’aséité Vois les vases sont pleins d’humides fleurs morales Va-t’en mais dénudé puisque tout est à nous Ouïs du chœur des vents les cadences plagales Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou le gnou L’ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair Et sombre elle est humaine et puis la nôtre aussi Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères Et puis aucun de nous ne croirait tes récits Il brillait et attirait comme la pantaure Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée Et les femmes la nuit feignant d’être des taures L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’en effet Il était pâle il était beau comme un roi ladre Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Au lieu du roseau triste et du funèbre faix Que n’alla-t-il vivre à la cour du roi d’Edesse Maigre et magique il eût scruté le firmament Pâle et magique il eût aimé des poétesses Juste et magique il eût épargné les démons Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre Soit la triade est mâle et tu es vierge et froid Le tact est relatif mais la vue est oblongue Tu n’as de signe que le signe de la croix Vouons le vol à Sparte et l’inceste à Ninive Nous rentrerons demain à l’école d’Elée Qu’on souffle les flambeaux à cause des convives Qui se fiant au Bègue ont peur d’être brûlés

19. (1903) Le Larron « Le Larron »

Maraudeur étranger, malhabile et malade, Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades, As-tu feint d’avoir faim quand tu volas les fruits ? 

20. (1912) Zône « Zône »

Zône A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La Religion seule est restée toute neuve la Religion Est restée simple comme les hangars de Port Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est toi pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières O portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les Directeurs les Ouvriers et les belles sténo-dactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Et dans l’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que malgré tout nous tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité c’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux qui transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles A tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pi-his longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis s’en vient la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigle phénix et pi-his de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Et vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse L’image qui te possède te fait sourire dans l’insomnie et dans l’angoisse Et c’est toujours près de toi la métive qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du Mensonge et de l’Age Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder la croix et à tous moments tu voudrais sangloter Sur moi sur celle que j’aime sur tout ce qui m’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Des familles transportent un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Beaucoup de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges Je les ai vu souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant On chante on danse on boit du champagne Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu Adieu Soleil levant cou tranché GUILLAUME APOLLINAIRE.

21. (1913) Zône « Zône »

Zône A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La Religion seule est restée toute neuve la Religion Est restée simple comme les hangars de Port Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est toi pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières O portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les Directeurs les Ouvriers et les belles sténodactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Eglise Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Et dans l’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que malgré tout nous tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est larbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité c’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux qui transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles A tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pi-his longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis s’en vient la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigles phénix et pi-his de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Et vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse L’image qui te possède te fait sourire dans l’insomnie et dans l’angoisse Et c’est toujours près de toi la métive qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du Mensonge et de l’Age Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder la croix et à tous moments tu voudrais sangloter Sur moi sur celle que j’aime sur tout ce qui m’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Des familles transportent un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Beaucoup de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges Je les ai vu souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant On chante on danse on boit du champagne Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu adieu Soleil levant cou tranché Guillaume Apollinaire

/ 21