Le Voyage du Kabyle Belle couleur du Pobiron [à droite, verticalement de gauche à droite] il n’écoute pas il marche vite et chacun danse à sa manière lorsque la journée est belle [à droite, verticalement de droite à gauche] Ordres de Bourse Dans l’Ombre ou bien dans la lumière Jusqu’au faux pas pis qu’au trépas Des doigts d’ivoire mourir sur des tombes jaunies il est des jours où j’aime où j’aime il est des jours où je désaime Dans la fumée d’un cigare j’ai vu des mondes des moustres des spirales La boite d’allumettes Et vous monsieur Bichon Les râles des mourants Mourant dans leurs maisons En automne avec les feuilles immences du silence Demain douteux demain [à gauche, verticalement de droite à gauche] quelques oranges [à droite, verticalement de droite à gauche] DANS LE JARDIN Et nous n’avons rien dit extase d’anges claquants des dents De loin un doigt levé Jamais Dormons Dormez Guillaume Apollinaire
[Calligramme (bouquet)] [bouquet] Il y a aussi des fleurs vénéneuses pourquoi pleurer revenez demain et des fleurs toujours ouvertes le soir elle aime le ciné elle a été en Russie l’amour marié avec le dédain montre en perles à Montrouge un voyage Maisons-Laffitte et tout finit dans les parfums souvenez-vous-en laisse s’ouvrir la fleur et laisse pourrir le fruit et laisse germer la graine tandis que soufflent les tempêtes
L’Horloge de demain [browning] il te revient des parfums passés mais tu vois des êtres qui vont exister qui se préparent [soldat] je me souviens de la Provence du danseur du Nord Hélas où est ton cœur [périscope] pour te faire un enfer artificiel ne sois pas fragile surtout [cœur] un cœur plein de tous les printemps [hors motifs] le bonheur et le malheur marchent de compagnie/ Ecoutez-moi bien il y va de la vie et tant de nouvelles Ecoutez-moi tous
Demain, Cyprien et Henri, Marie, Ursule et Catherine, La boulangère et son mari Et puis Gertrude, ma cousine Souriront quand je passerai.
là-bas là-bas Les jeunes filles qui passent sur le pont léger portent dans leurs mains le bouquet de demain Et leurs regards s’écoulent Dans ce fleuve à tous étranger Qui vient de loin qui va si loin Et passe sous le pont léger de vos paroles O Bavardes le long du fleuve O Bavardes o folles le long du fleuve GUILLAUME APOLLINAIRE
Je n’ai que ma douleur pour émouvoir Caron Et vivant je mendie de chaque aube à la brune Et je cesse ma plainte quand le jour s’éteint ; Je reviendrai demain avec mon infortune Voir flamber l’aurore, l’électre du matin.
Désir Mon désir est la région qui est devant moi Derrière les lignes boches Mon désir est aussi derrière moi Après la zône des armées Mon désir c’est la butte du Tahure Mon désir est là sur quoi je tire De mon désir qui est au delà de la zône des armées Je n’en parle pas aujourd’hui mais j’y pense Butte de Tahure je t’imagine en vain Des fils de fer des mitrailleuses des Boches trop sûrs d’eux Trop enfoncés sous terre déjà enterrés Ca ta clac des coups qui meurent en s’éloignant En y veillant tard dans la nuit Le Decauville qui toussote La tole ondulée sous la pluie Et sous la pluie ma bourguignote Entends la terre véhémente Vois les lueurs avant d’entendre les coups Et tel obus siffler de la démence Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût Je te vois main de Massiges Si décharnée sur la carte Le boyau Gœthe où j’ai tiré J’ai tiré même sur le boyau Nietzche Décidément je ne respecte aucune gloire Nuit violente et violette et sombre et pleine d’or par moments Nuit des hommes seulement Nuit du 24 septembre 1915 Demain l’assaut Nuit violente ô nuit dont l’épouvantable cri profond devenait plus intense de minute en minute Nuit des hommes seulement Nuit qui criait comme une femme qui accouche
Désir Mon désir est la région qui est devant moi Derrière les lignes boches Mon désir est aussi derrière moi Après la zone des armées Mon désir c’est la butte du Mesnil Mon désir est là sur quoi je tire De mon désir qui est au delà de la zone des armées Je n’en parle pas aujourd’hui mais j’y pense Butte du Mesnil je t’imagine en vain Des fils de fer des mitrailleuses des ennemis trop sûrs d’eux Trop enfoncés sous terre déjà enterrés Ca ta clac des coups qui meurent en s’éloignant En y veillant tard dans la nuit Le Décauville qui toussote La tôle ondulée sous la pluie Et sous la pluie ma bourguignote Entends la terre véhémente Vois les lueurs avant d’entendre les coups Et tel obus siffler de la démence Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût Je désire te serrer dans ma main Main de Massiges Si décharnée sur la carte Le boyau Gœthe où j’ai tiré J’ai tiré même sur le boyau Nietzsche Décidément je ne respecte aucune gloire Nuit violente et violette et sombre et pleine d’or par moments Nuit des hommes seulement Nuit du 24 septembre Demain l’assaut Nuit violente ô nuit dont l’épouvantable cri profond devenait plus intense de minute en minute Nuit qui criait comme une femme qui accouche Nuit des hommes seulement 24 Septembre 1915
La Victoire Un coq chante je rêve et les feuillards agitent Leurs feuilles qui ressemblent à de pauvres marins Ailés et tournoyants comme Icare le faux Des aveugles gesticulant comme des fourmis Se miraient sous la pluie aux reflets du trottoir Leurs rires amassés en grappes de raisin Ne sors plus de chez moi diamant qui parlais Dors doucement tu es chez toi tout t’appartient Mon lit ma lampe et mon casque troué Regards précieux saphirs taillés aux environs de Saint-Claude Tes joues étaient une pure émeraude Je me souviens de toi ville des météores Ils fleurissaient en l’air pendant ces nuits où rien ne dort Jardins de la lumière où j’ai cueilli des bouquets Tu dois en avoir assez de faire peur à ce ciel Qu’il garde son hoquet On imagine difficilement A quel point le succès rend les gens stupides et tranquilles A l’Institut des jeunes aveugles on a demandé N’avez-vous point ici de jeune aveugle ailé O Bouches l’homme est à la recherche d’un nouveau langage Auquel le grammairien d’aucune langue n’aura rien à dire Et ces vieilles langues sont tellement près de mourir Que c’est vraiment par habitude et manque d’audace Qu’on les fait encore servir à la poésie Mais entêtons-nous à parler Remuons la langue Lançons des postillons On veut de nouveaux sons de nouveaux sons de nouveaux sons On veut des consonnes sans voyelles Des consonnes qui pètent sourdement Imitez le son de la toupie Laissez petiller un son nasal et continu Faites claquer votre langue Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans civilité Le raclement aspiré du crachement ferait aussi une belle consonne Les divers pets labiaux rendraient aussi vos discours claironnants Habituez-vous à roter à volonté Et quelle lettre grave comme un son de cloche A travers nos mémoires Nous n’aimons pas assez la joie De voir de belles choses neuves O mon amie hâte-toi, Crains qu’un jour un train ne t’émeuve Plus Regarde-le vite pour toi Ces chemins de fer qui circulent Sortiront bientôt de la vie Ils seront beaux et ridicules Deux lampes brûlent devant moi Comme deux femmes qui rient Je courbe tristement la tête Devant l’ardente moquerie Ce rire se répand Partout Parlez avec les mains faites claquer vos doigts Tapez-vous sur la joue comme sur un tambour O paroles Elles suivent dans la myrtaie L’Eros et l’Antéros en larmes Je suis le ciel de la cité Ecoutez la mer La mer peiner au loin et crier toute seule Ma voix fidèle comme l’ombre Veut être enfin l’ombre de la vie Veut être ô mer vivante infidèle comme toi La mer qui a trahi des matelots sans nombre Engloutit mes grands cris comme des dieux noyés Et la mer au soleil ne supporte que l’ombre Que jettent des oiseaux les ailes éployées La parole est soudaine et c’est un dieu qui tremble Avance et soutiens-moi je regrette les mains De ceux qui les tendaient et m’adoraient ensemble Quelle oasis de bras m’accueillera demain Connais-tu cette joie de voir des choses neuves O Voix, je parle le langage de la mer Et dans le port la nuit les dernières tavernes Moi qui suis plus têtu que non l’hydre de Lerne La rue où nagent mes deux mains Aux doigts subtils fouillant la ville S’en va Mais qui sait si demain La rue devenait immobile Qui sait où serait mon chemin Songe que les chemins de fer Seront démodés et abandonnés dans peu de temps Regarde La victoire avant tout sera De bien voir au loin Et de tout voir De près Et que tout Ait un nom nouveau Guillaume APOLLINAIRE.
La foule, en tous les sens, remuait en mêlant Des ombres sans amour qui se traînaient par terre Et des mains, vers le ciel plein de lacs de lumière, S’envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs : « Mon bateau partira demain pour l’Amérique Et je ne reviendrai jamais, Avec l’argent gagné dans les prairies lyriques, Guider mon ombre aveugle en ces rues que j’aimais ; Car revenir, c’est bon pour un soldat des Indes !
La foule, en tous les sens, remuait en mêlant Des ombres sans amour qui se traînaient par terre Et des mains, vers le ciel plein de lacs de lumière, S’envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs : « Mon bateau partira demain pour l’Amérique Et je ne reviendrai jamais.
Ni : les maisons flambent, parce qu’on partira pour ne plus revenir ; Ni : ces mains agitées travailleront demain pour nous tous ; Ni même : on a pendu ceux qui ne savaient pas profiter de la vie ; Ni même : on renouvelle le monde en reprenant la Bastille.
Rien n’est mort que ce qui n’existe pas encore Près du passé luisant demain est incolore, Il est informe aussi près de ce qui parfait Présente tout ensemble et l’effort et l’effet.
Une Madone, à l’aube, a pris les églantines ; Elle viendra, demain, cueillir les giroflées Pour mettre aux nids des colombes qu’elle destine Au pigeon qui ce soir semblait le Paraclet.
Le Larron Maraudeur étranger malheureux malhabile Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits Mais puisque tu as faim que tu es en exil Il pleure il est barbare et bon pardonnez-lui Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs Mais ce n’est pas l’exil que je viens simuler Et sachez que j’attends de moyennes tortures Injustes si je rends tout ce que j’ai volé Issu de l’écume des mers comme Aphrodite Sois docile puisque tu es beau naufragé Vois les sages te font des gestes socratiques Vous parlerez d’amour quand il aura mangé Maraudeur étranger malhabile et malade Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades As-tu feint d’avoir faim quand tu volas les fruits Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère et l’adulte De prétexte sinon que s’aimer nuitamment Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes Et des amandes de pomme de pin jonchaient Votre jardin marin où j’ai laissé mes rames Et mon couteau punique au pied de ce pêcher Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades Et presque toutes les figues étaient fendues Il entra dans la salle aux fresques qui figurent L’inceste solaire et nocturne dans les nues Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures Au son des cinyres des Lydiennes nues Or les hommes ayant des masques de théâtre Et les femmes ayant des colliers où pendait La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Parlaient entre eux le langage de la Chaldée Les autans langoureux dehors feignaient l’automne Les convives c’étaient tant de couples d’amants Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne Reçois d’abord le sel puis le pain de froment Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres Mais l’outre en peau de bouc maintient frais le vin blanc Par ironie veux-tu qu’on serve un plat de fèves Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond Une femme lui dit Tu n’invoques personne Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes Veux-tu le talisman heureux de mon collier Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau * * * Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe Il en est tant venu par la route ou la mer Conquérants égarés qui s’éloignent trop vite Et des bandes souvent qui fuyaient aux éclairs Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes Passa menant un peuple infime pour l’orgueil De manger chaque jour les cailles et la manne Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil Les puiseurs d’eau barbus coiffés de bandelettes Noires et blanches contre les maux et les sorts Revenaient de l’Euphrate et les yeux des chouettes Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors Cet insecte jaseur ô poète barbare Regagnait chastement à l’heure d’y mourir La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares Aux crapauds que l’azur et les sources mûrirent Un triomphe passait gémir sous l’arc-en-ciel Avec de blêmes laurés debout dans les chars Les statues suant les scurriles les agnelles Et l’angoisse rauque des paonnes et des jars Les veuves précédaient en égrenant des grappes Les évêques noirs révérant sans le savoir Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes Pallas et chantaient l’hymne à la belle mais noire Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs Nous aurons des baisers florentins sans le dire Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur * * * Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène Belphégor le soleil le silence ou le chien Cette furtive ardeur des serpents qui s’entr’aiment Et le larron des fruits cria Je suis chrétien Ah Ah les colliers tinteront cherront les masques Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombre prévaut Ah Ah le larron de gauche dans la bourrasque Rira de toi comme hennissent les chevaux Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau Ah Ah nous secouerons toute la nuit les sistres La voix ligure était-ce donc un talisman Et si tu n’es pas ne droite tu es sinistre Comme une tache grise ou le pressentiment Puisque l’absolu choit la chute est une preuve Qui double devient triple avant d’avoir été Nous avouons que les grossesses nous émeuvent Les ventres pourront seuls nier l’aséité Vois les vases sont pleins d’humides fleurs morales Va-t’en mais dénudé puisque tout est à nous Ouïs du chœur des vents les cadences plagales Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou le gnou L’ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair Et sombre elle est humaine et puis la nôtre aussi Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères Et puis aucun de nous ne croirait tes récits Il brillait et attirait comme la pantaure Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée Et les femmes la nuit feignant d’être des taures L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’en effet Il était pâle il était beau comme un roi ladre Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Au lieu du roseau triste et du funèbre faix Que n’alla-t-il vivre à la cour du roi d’Edesse Maigre et magique il eût scruté le firmament Pâle et magique il eût aimé des poétesses Juste et magique il eût épargné les démons Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre Soit la triade est mâle et tu es vierge et froid Le tact est relatif mais la vue est oblongue Tu n’as de signe que le signe de la croix Vouons le vol à Sparte et l’inceste à Ninive Nous rentrerons demain à l’école d’Elée Qu’on souffle les flambeaux à cause des convives Qui se fiant au Bègue ont peur d’être brûlés
Nous rentrerons demain à l’école d’Elée.
On se disait au revoir, A demain, A bientôt.
On se disait au revoir, À demain, À bientôt.