Du joli bateau de Port-Vendres Tes yeux étaient les matelots Et comme les flots étaient tendres Dans les parages de Palos Que de sous-marins dans mon âme Naviguent et vont l’attendant Le superbe navire où clame Le chœur de ton regard ardent Guillaume Apollinaire
[Calligramme (jet d’eau)] [jet d’eau] la lune ardente et toujours neuve un bouton de rose doux comme un papillon comme une fleur mourant entre les mains d’un soldat blessé un jet d’eau la queue d’un paon un soir de neige ciel constellé un bombardement un matin à New York les lucioles et tous les souvenirs O quel bonheur que ce bleu ne soit pas mort encore
Tristesse d’une étoile Une belle Minerve est l’enfant de ma tête Une étoile de sang me couronne à jamais La raison est mon fond et le ciel est mon faîte Du chef où dès longtemps Déesse tu t’armais C’est pourquoi de mes maux ce n’était pas le pire Ce trou presque mortel et qui s’est étoilé Mais le secret malheur qui nourrit mon délire Est bien plus grand qu’aucun âme ait jamais celé Et je porte avec moi cette ardente souffrance Comme le ver luisant tient son corps enflammé Comme au cœur du soldat Il palpite la France Et comme au cœur du lys le pollen parfumé
Océan de terre A G. de Chirico J’ai bâti une maison au milieu de l’océan Ses fenêtres sont les fleuves qui s’écoulent de mes yeux Des poulpes grouillent partout où se tiennent les murailles Entendez battre leur triple cœur et leur bec cogner aux vitres Maison humide Maison ardente Saison rapide Saison qui chante Les avions pondent des œufs Attention on va jeter l’ancre Attention à l’encre que l’on jette Il serait bon que vous vinssiez du ciel Le chèvrefeuille du ciel grimpe Les poulpes terrestres palpitent Et puis nous sommes tant et tant à être nos propres fossoyeurs Pâles poulpes des vagues crayeuses O poulpes aux becs pâles Autour de la maison il y a cet océan que tu connais Et qui ne se repose jamais Décembre 1915 GUILLAUME APOLLINAIRE
O mémoire, combien de races qui forlignent Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur, Et les serpents ne sont ils que les cous des cygnes Qui étaient immortels et n’étaient pas chanteurs.
Tour de Pise Les dames pisanes sont descendues rêver Dans leurs vergers où palpitent des lucioles Et derrière les murs des flûtes des violes Disent l’amour perdu que l’on veut retrouver Puis quand les inconnus ont évoqué leur peine Ou qu’ils s’en vont à l’heure où doit passer le guet Avec ses vingt lueurs et son cri fatigué Elles ont peur de l’ombre et de l’heure prochaine De l’ombre où jusqu’au jour les lucioles sont Les larmes d’un regret ardent comme une flamme Tandis que vous sentez dans la nuit de votre âme Des violes d’amour vibrer le dernier son Et l’heure va venir ô belles délicates Ne sera-ce pas l’heure enfin d’avoir sommeil Quand passera le guet avec son cri pareil Aux plaintes de l’amour qui vous rendit ingrates Alors sur les perrons en écoutant mourir La source qui languit les Pisanes penchées Comme leur Tour et par la mort effarouchées Attendent cependant l’amour qui va venir.
Arbre Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes galopent Où sont les aveugles où s’en sont-ils allés La seule feuille que j’aie cueillie s’est changée en plusieurs mirages Ne m’abandonnez pas parmi cette foule de femmes au marché Ispahan s’est fait un ciel de carreaux émaillés de bleu Et je remonte avec vous une route aux environs de Lyon Je n’ai pas oublié le son de la clochette d’un marchand de coco d’autrefois J’entends déjà le son aigre de cette voix à venir Du camarade qui se promènera avec toi en Europe tout en restant En Amérique Un enfant Un veau dépouillé pendu à l’étal Un enfant Et cette banlieue de sable autour d’une pauvre ville au fond de l’Est Un douanier se tenait là comme un ange A la porte d’un misérable paradis Et ce voyageur épileptique écumait dans la salle d’attente des premières Engoulevent Grondin Blaireau Et la Taupe-Ariane Nous avions loué deux coupés dans le transsibérien Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et moi Mais celui qui veillait ne cachait point un revolver aimé Tu t’es promené à Leipzig avec une femme mince déguisée en homme Intelligence car voilà ce que c’est qu’une femme intelligente Et il ne faudrait pas oublier les légendes Dame-Aboude dans un tramway la nuit au fond d’un quartier désert Je voyais une chasse tandis que je montais Et l’ascenseur s’arrêtait à chaque étage Entre les pierres Entre les vêtements multicolores de la vitrine Entre les charbons ardents du marchand de marrons Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen Il y a ton image Elle pousse entre les bouleaux de la Finlande Ce beau nègre en acier La plus grande tristesse C’est quand tu reçus une carte postale de La Corogne Le vent vient du couchant Le métal des caroubiers Tout est plus triste qu’autrefois Tous les dieux terrestres vieillissent L’univers se plaint par ta voix Et des êtres nouveaux surgissent Trois par trois GUILLAUME APOLLINAIRE.
Arbre Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes galopent Où sont les aveugles où s’en sont-ils allés La seule feuille que j’aie cueillie s’est changée en plusieurs mirages Ne m’abandonnez pas parmi cette foule de femmes au marché Ispahan s’est fait un ciel de carreaux émaillés de bleu Et je remonte avec vous une route aux environs de Lyon Je n’ai pas oublié le son d’une clochette d’un marchand de coco autrefois J’entends déjà le son aigre de cette voix à venir Du camarade qui se promènera avec toi en Europe tout en restant En Amérique Un enfant Un veau dépouillé pendu à l’étal Un enfant Et cette banlieue de sable autour d’une pauvre ville au fond de l’Est Un douanier se tenait là comme un ange A la porte d’un misérable paradis Et ce voyageur épileptique écumait dans la salle d’attente des premières Engoulevent Grondin Blaireau Et la Taupe-Ariane Nous avions loué deux coupés dans le transsibérien Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et moi Mais celui qui veillait ne cachait point un revolver aimé Tu t’es promené à Leipzig avec une femme mince déguisée en homme Intelligence car voilà ce que c’est qu’une femme intelligente Et il ne faudrait pas oublier les légendes Dame-Aboude dans un tramway ln nuit au fond d’un quartier désert Je voyais une chasse tandis que je montais Et l’ascenseur s’arrêtait à chaque étage Entre les pierres Entre les vêtements multicolores de la vitrine Entre les charbons ardents du marchand de marrons Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen Il y a ton image Elle pousse entre les bouleaux de la Finlande Ce beau nègre en acier La plus grande tristesse C’est quand tu reçus une carte postale de La Corogne Le vent vient du couchant Le métal des caroubiers Tout est plus triste qu’autrefois Tous les dieux terrestres vieillissent L’univers se plaint par ta voix Et des êtres nouveaux surgissent Trois par trois GUILLAUME APOLLINAIRE
Arbre Poème inédit par GUILLAUME APPOLLINAIRE PARIS Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes galopent Où sont les aveugles où s’en sont-ils allés La seule feuille que j’aie cueillie s’est changée en plusieurs mirages Ne m’abandonnez pas parmi cette foule de femmes au marché Ispahan s’est fait au ciel de carreaux émaillés de bleu Et je remont avec vous une route aux environs de Lyon Je n’ai pas oublié le son d’une clochette d’un marchant de coco Autrefois J’entends déjà le son aigre de cette voix à venir Du camarade qui se promène avec toi en Europe tout en restant En Amérique Un enfant Un veau dépouillé pendu à l’étal Un enfant Et cette banlieue de sable autour d’une petite ville Au fond de l’Est Un douanier se tenait là comme un ange a la porte d’un misérable paradis Et le voyageur épileptique écumait dans la salle d’attente des premiéres Engoulevent Grondin Blaireau Et la taupe Ariane Nous avons loué deux coupés dans le Transsibérien Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et moi Mais celui qui veillait ne cachait point un réwolver armé Tu t’es promené à Leipzig avec une femme mince déguisée en homme Intélligence car voilà ce qui est qu’une femme intelligente Et il ne faudrait pas oublier les légendes Dame il bonde dans une tramway la nuit au fond d’un quartier désert Je voyais une chasse tandis que je montais Et l’ascenseur s’arretait à chaque étage Entre les pierres Entre les vétements multicolors de la vitrine Entre les charbons ardents du marchant de marrons Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen Il y a ton image Elle pousse entre les tombaux de la Finlande Le beau nègre en acier La plus grande tristesse C’est quand tu reçue une carte postale de la Corogne Le vent vient du couchant Le métal des caronhers Tout est plus triste qu’autrefois Tous les dieux terrestres vieillissent L’Univers se plaint part ta voix Et des êtres nouveaux surgissent Trois par trois GUILLAUME APPOLLINAIRE.
Un jour, le roi, dans l’eau d’argent, Se noya, puis, la bouche ouverte, Il s’en revint en surnageant Sur la rive dormir inerte, Face tournée au ciel changeant… … Juin, ton soleil, ardente lyre, Brûle mes doigts endoloris.
La Jolie Rousse Me voici devant tous un homme plein de sens Connaissant de la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour Ayant su quelquefois imposer ses idées Connaissant plusieurs langages Ayant pas mal voyagé Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie Blessé à la tête trépané sous le chloroforme Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre Entre nous et pour vous amis Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention De l’Ordre et de l’Aventure Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu Bouche qui est l’ordre même Soyez indulgents quand vous nous comparez A ceux qui furent la perfection de l’ordre Nous qui quêtons partout l’aventure Nous ne sommes pas vos ennemis Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines Où le mystère en fleur s’offre à qui veut le cueillir Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues Mille phantasmes impondérables Auxquels il faut donner de la réalité Nous voulons explorer la Bonté contrée énorme où tout se tait Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières De l’illimité et de l’avenir Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés Voici que vient l’été la saison violente Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps O Soleil c’est le temps de la Raison ardente Et j’attends Pour la suivre toujours la forme noble et douce Qu’elle prend afin que je l’aime seulement Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant Elle a l’aspect charmant D’une adorable rousse Ses cheveux sont d’or on dirait Un bel éclair qui durerait Ou ces flammes qui se pavanent Dans les roses-thé qui se fanent Mais riez riez de moi Hommes de partout et surtout gens d’ici Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire Ayez pitié de moi Guillaume Apollinaire
O mémoire, combien de races qui forlignent Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes Qui étaient immortels et n’étaient pas chanteurs Voici ma vie renouvelée De grands vaisseaux passent et repassent Je trempe une fois encore mes mains dans l’Océan Voici le paquebot et ma vie renouvelée Ses flammes sont immenses.
je suis le pauvre Pierre Boyaux et rumeur du canon Sur cette mer aux blanches vagues Fou stoïque comme Zénon Pilote du cœur tu zigzagues Petites forêts de sapins La nichée attend la becquée Pointe-t-il des nez de lapins Comme l’euphorbe verruquée Ainsi que l’euphorbe d’ici Le soleil à peine boutonne Je l’adore comme un Parsi Ce tout petit soleil d’automne Un fantassin presque un enfant Pur comme le jour qui s’écoule Pur comme mon cœur triomphant Disait en mettant sa cagoule Tandis que nous n’y sommes pas Que de filles deviennent belles Voici l’hiver et pas à pas Leur beauté s’éloignera d’elles O lueurs soudaines des tirs Cette beauté que j’imagine Faute d’avoir des souvenirs Tire de vous son origine Car elle n’est rien que l’ardeur De la bataille violente Et de la terrible lueur Il se fait une muse ardente Il regarde longtemps l’horizon Couteaux tonneaux d’eaux Des lanternes allumées se sont croisées Moi l’horizon je combattrai pour la victoire Je suis l’invisible qui ne peut disparaître Je suis comme l’onde Allons ouvrez les écluses que je me précipite et renverse tout Guillaume Apollinaire.
O mémoire, combien de races qui forlignent Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur, Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes Qui étaient immortels et n’étaient pas chanteurs !
La Victoire Un coq chante je rêve et les feuillards agitent Leurs feuilles qui ressemblent à de pauvres marins Ailés et tournoyants comme Icare le faux Des aveugles gesticulant comme des fourmis Se miraient sous la pluie aux reflets du trottoir Leurs rires amassés en grappes de raisin Ne sors plus de chez moi diamant qui parlais Dors doucement tu es chez toi tout t’appartient Mon lit ma lampe et mon casque troué Regards précieux saphirs taillés aux environs de Saint-Claude Tes joues étaient une pure émeraude Je me souviens de toi ville des météores Ils fleurissaient en l’air pendant ces nuits où rien ne dort Jardins de la lumière où j’ai cueilli des bouquets Tu dois en avoir assez de faire peur à ce ciel Qu’il garde son hoquet On imagine difficilement A quel point le succès rend les gens stupides et tranquilles A l’Institut des jeunes aveugles on a demandé N’avez-vous point ici de jeune aveugle ailé O Bouches l’homme est à la recherche d’un nouveau langage Auquel le grammairien d’aucune langue n’aura rien à dire Et ces vieilles langues sont tellement près de mourir Que c’est vraiment par habitude et manque d’audace Qu’on les fait encore servir à la poésie Mais entêtons-nous à parler Remuons la langue Lançons des postillons On veut de nouveaux sons de nouveaux sons de nouveaux sons On veut des consonnes sans voyelles Des consonnes qui pètent sourdement Imitez le son de la toupie Laissez petiller un son nasal et continu Faites claquer votre langue Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans civilité Le raclement aspiré du crachement ferait aussi une belle consonne Les divers pets labiaux rendraient aussi vos discours claironnants Habituez-vous à roter à volonté Et quelle lettre grave comme un son de cloche A travers nos mémoires Nous n’aimons pas assez la joie De voir de belles choses neuves O mon amie hâte-toi, Crains qu’un jour un train ne t’émeuve Plus Regarde-le vite pour toi Ces chemins de fer qui circulent Sortiront bientôt de la vie Ils seront beaux et ridicules Deux lampes brûlent devant moi Comme deux femmes qui rient Je courbe tristement la tête Devant l’ardente moquerie Ce rire se répand Partout Parlez avec les mains faites claquer vos doigts Tapez-vous sur la joue comme sur un tambour O paroles Elles suivent dans la myrtaie L’Eros et l’Antéros en larmes Je suis le ciel de la cité Ecoutez la mer La mer peiner au loin et crier toute seule Ma voix fidèle comme l’ombre Veut être enfin l’ombre de la vie Veut être ô mer vivante infidèle comme toi La mer qui a trahi des matelots sans nombre Engloutit mes grands cris comme des dieux noyés Et la mer au soleil ne supporte que l’ombre Que jettent des oiseaux les ailes éployées La parole est soudaine et c’est un dieu qui tremble Avance et soutiens-moi je regrette les mains De ceux qui les tendaient et m’adoraient ensemble Quelle oasis de bras m’accueillera demain Connais-tu cette joie de voir des choses neuves O Voix, je parle le langage de la mer Et dans le port la nuit les dernières tavernes Moi qui suis plus têtu que non l’hydre de Lerne La rue où nagent mes deux mains Aux doigts subtils fouillant la ville S’en va Mais qui sait si demain La rue devenait immobile Qui sait où serait mon chemin Songe que les chemins de fer Seront démodés et abandonnés dans peu de temps Regarde La victoire avant tout sera De bien voir au loin Et de tout voir De près Et que tout Ait un nom nouveau Guillaume APOLLINAIRE.
D’autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes, Où d’ardents bouquets rouaient, Aux yeux d’une mûlatresse qui inventait la poésie, Et les roses de l’électricité s’ouvrent encore Dans le jardin de ma mémoire.
Zône A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La Religion seule est restée toute neuve la Religion Est restée simple comme les hangars de Port Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est toi pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières O portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les Directeurs les Ouvriers et les belles sténo-dactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Et dans l’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que malgré tout nous tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité c’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux qui transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles A tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pi-his longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis s’en vient la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigle phénix et pi-his de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Et vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse L’image qui te possède te fait sourire dans l’insomnie et dans l’angoisse Et c’est toujours près de toi la métive qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du Mensonge et de l’Age Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder la croix et à tous moments tu voudrais sangloter Sur moi sur celle que j’aime sur tout ce qui m’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Des familles transportent un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Beaucoup de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges Je les ai vu souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant On chante on danse on boit du champagne Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu Adieu Soleil levant cou tranché GUILLAUME APOLLINAIRE.
Zône A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La Religion seule est restée toute neuve la Religion Est restée simple comme les hangars de Port Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est toi pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières O portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les Directeurs les Ouvriers et les belles sténodactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Eglise Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Et dans l’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que malgré tout nous tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est larbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité c’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux qui transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles A tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pi-his longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis s’en vient la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigles phénix et pi-his de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Et vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse L’image qui te possède te fait sourire dans l’insomnie et dans l’angoisse Et c’est toujours près de toi la métive qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du Mensonge et de l’Age Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder la croix et à tous moments tu voudrais sangloter Sur moi sur celle que j’aime sur tout ce qui m’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Des familles transportent un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Beaucoup de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges Je les ai vu souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant On chante on danse on boit du champagne Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu adieu Soleil levant cou tranché Guillaume Apollinaire