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2. (1917) à Yeta Daesslé « à Yeta Daesslé »

Kiosque remuant qui portiez les nouvelles Vous étiez un cerveau pour toutes les cervelles Des pauvres spectateurs qui ne le savaient pas Qu’il leur faut des enfants ou passer au trépas Vous fûtes par deux fois la presse qui féconde Le sens et la mémoire en l’un et l’autre monde Déjà l’écho répète à l’envi vos échos Merci chère Daesslé les petits moricauds Qui pullulaient au 2e acte de mon drame Grâce à vous deviendront de bons petits français Blancs et roses ainsi que vous êtes Madame                    Ce sera là notre succès

3. (1917) Bleuet « Bleuet »

Bleuet                                           Jeune homme                                           de vingt ans                                           Qui as vu des choses si affreuses                                           Que penses-tu des hommes de ton enfance [à droite] Tu connais la bravoure et la ruse [transversalement] Tu as vu la mort en face plus de cent fois tu ne sais pas ce que c’est que la vie [à gauche] Transmets ton intrépidité A ceux qui viendront Après toi                                                  Jeune homme                                      Tu es joyeux ta mémoire est ensanglantée                                                  Ton âme est rouge aussi                                                           De joie                             Tu as absorbé la vie de ceux qui sont morts près de toi                                                  Tu as de la décision                                      Il est 17 heures et tu saurais                                                  mourir                                      Sinon mieux que tes aînés                                                  Du moins plus pieusement                                                  car tu connais mieux la mort que la vie                                                  O douceur d’autrefois                                                                  lenteur immémoriale GUILLAUME APOLLINAIRE

4. (1913) Le Brasier - II « Le Brasier »

O mémoire, combien de races qui forlignent Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur, Et les serpents ne sont ils que les cous des cygnes Qui étaient immortels et n’étaient pas chanteurs.

5. (1912) Merlin et la vieille femme « Merlin et la vieille femme »

« O mon être glacé dont le destin m’accable, « Dont ce soleil de chair grelotte, veux-tu voir, « Ma mémoire venir et m’aimer, ma semblable, « Et quel fils malheureux et beau je veux avoir ?  […] Puis, Merlin s’en alla vers l’est, disant : « Qu’il monte « Le fils de la Mémoire, égale de l’amour.

6. (1905) L’Émigrant de Landor Road « L’Émigrant de Landor Road »

Il aurait voulu ce bouquet, comme la gloire, Jouer dans d’autres mers parmi tous les dauphins,                     Et l’on tissait, en sa mémoire,                     Une tapisserie sans fin                     Qui figurait son histoire.

7. (1909) [« Un soir de demi-brume, à Londres »] « [« Un soir de demi-brume, à Londres »] »

Revienne le soleil de Pâques Pour chauffer un cœur plus glacé Que les quarante de Sébaste Moins que ma vie, martyrisés… Mon beau navire, ô ma mémoire, Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire ?

8. (1912) L’Émigrant de Landor Road « L’Émigrant de Landor Road »

Il aurait voulu ce bouquet, comme la gloire, Jouer dans d’autres mers parmi tous les dauphins,                              Et l’on tissait, dans sa mémoire,                              Une tapisserie sans fin                              Qui figurait son histoire.

9. (1907) Le Pyrée « Le Pyrée »

O mémoire, combien de races qui forlignent Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes Qui étaient immortels et n’étaient pas chanteurs Voici ma vie renouvelée De grands vaisseaux passent et repassent Je trempe une fois encore mes mains dans l’Océan Voici le paquebot et ma vie renouvelée Ses flammes sont immenses.

10. (1912) Le Brasier « Le Brasier »

O mémoire, combien de races qui forlignent Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur, Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes Qui étaient immortels et n’étaient pas chanteurs !

11. (1909) L'Obituaire « L’Obituaire »

Soudain, Rapide comme ma mémoire, Les yeux se rallumèrent De cellule vitrée en cellule vitrée, Le ciel se peupla d’une apocalypse Vivace Et la terre, plate à l’infini Comme avant Galilée, Se couvrit de mille mythologies immobiles. […] On devient si pur qu’on en arrive Dans les glaciers de la mémoire A se confondre avec le souvenir.

12. (1912) La Maison des morts « La Maison des Morts »

Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours, J’étais entré pour la première fois, Et par hasard, Dans ce cimetière presque désert, Et je claquais des dents Devant toute cette bourgeoisie Exposée et vêtue le mieux possible En attendant la sépulture, Soudain, Rapide comme ma mémoire. […] On devient si pur qu’on en arrive Dans les glaciers de la mémoire A se confondre avec le souvenir.

13. (1917) La Victoire « La Victoire »

La Victoire Un coq chante je rêve et les feuillards agitent Leurs feuilles qui ressemblent à de pauvres marins Ailés et tournoyants comme Icare le faux Des aveugles gesticulant comme des fourmis Se miraient sous la pluie aux reflets du trottoir Leurs rires amassés en grappes de raisin Ne sors plus de chez moi diamant qui parlais Dors doucement tu es chez toi tout t’appartient Mon lit ma lampe et mon casque troué Regards précieux saphirs taillés aux environs de Saint-Claude               Tes joues étaient une pure émeraude Je me souviens de toi ville des météores Ils fleurissaient en l’air pendant ces nuits où rien ne dort Jardins de la lumière où j’ai cueilli des bouquets Tu dois en avoir assez de faire peur à ce ciel                                                                      Qu’il garde son hoquet On imagine difficilement A quel point le succès rend les gens stupides et tranquilles          A l’Institut des jeunes aveugles on a demandé N’avez-vous point ici de jeune aveugle ailé O Bouches l’homme est à la recherche d’un nouveau langage Auquel le grammairien d’aucune langue n’aura rien à dire Et ces vieilles langues sont tellement près de mourir Que c’est vraiment par habitude et manque d’audace Qu’on les fait encore servir à la poésie                     Mais entêtons-nous à parler                              Remuons la langue                              Lançons des postillons On veut de nouveaux sons                        de nouveaux sons                              de nouveaux sons On veut des consonnes sans voyelles Des consonnes qui pètent sourdement                   Imitez le son de la toupie         Laissez petiller un son nasal et continu       Faites claquer votre langue Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans civilité Le raclement aspiré du crachement ferait aussi une belle consonne Les divers pets labiaux rendraient aussi vos discours claironnants Habituez-vous à roter à volonté Et quelle lettre grave comme un son de cloche                      A travers nos mémoires Nous n’aimons pas assez la joie De voir de belles choses neuves           O mon amie hâte-toi,           Crains qu’un jour un train ne t’émeuve                          Plus Regarde-le vite pour toi Ces chemins de fer qui circulent Sortiront bientôt de la vie Ils seront beaux et ridicules Deux lampes brûlent devant moi Comme deux femmes qui rient Je courbe tristement la tête Devant l’ardente moquerie            Ce rire se répand                     Partout Parlez avec les mains faites claquer vos doigts Tapez-vous sur la joue comme sur un tambour                            O paroles           Elles suivent dans la myrtaie           L’Eros et l’Antéros en larmes Je suis le ciel de la cité                       Ecoutez la mer La mer peiner au loin et crier toute seule              Ma voix fidèle comme l’ombre              Veut être enfin l’ombre de la vie Veut être ô mer vivante infidèle comme toi La mer qui a trahi des matelots sans nombre Engloutit mes grands cris comme des dieux noyés Et la mer au soleil ne supporte que l’ombre Que jettent des oiseaux les ailes éployées La parole est soudaine et c’est un dieu qui tremble Avance et soutiens-moi je regrette les mains De ceux qui les tendaient et m’adoraient ensemble Quelle oasis de bras m’accueillera demain Connais-tu cette joie de voir des choses neuves                O Voix, je parle le langage de la mer Et dans le port la nuit les dernières tavernes Moi qui suis plus têtu que non l’hydre de Lerne                La rue où nagent mes deux mains                Aux doigts subtils fouillant la ville                S’en va                             Mais qui sait si demain                La rue devenait immobile                Qui sait où serait mon chemin                Songe que les chemins de fer              Seront démodés et abandonnés dans peu de temps                 Regarde                La victoire avant tout sera               De bien voir au loin                Et de tout voir                De près               Et que tout               Ait un nom nouveau Guillaume APOLLINAIRE.

14. (1917) Le palais du tonnerre « Le palais du tonnerre »

Le palais du tonnerre Par l’issue ouverte sur le boyau dans la craie En regardant la paroi adverse qui semble en nougat On voit à gauche et à droite fuir l’humide couloir désert Où meurt étendue une pelle à la face effrayante à deux yeux réglementaires qui servent à l’attacher sous les caissons Un rat y recule en hâte et j’avance en hâte Et le boyau s’en va couronné de craie semée de branches Comme un fantôme creux qui met du vide où il passe blanchâtre Et là-haut le toit est bleu et couvre bien le regard fermé par quelques lignes droites Mais en deçà de l’issue c’est le palais bien nouveau et qui paraît ancien Le plafond est fait de traverses de chemin de fer Entre lesquelles il y a des morceaux de craie et des touffes d’aiguilles de sapin Et de temps en temps des débris de craie tombent comme des morceaux de vieillesse A côté de l’issue que ferme un tissu lâche qui sert généralement aux emballages Il y a un trou qui sert d’âtre et ce qui y brûle est un feu semblable à l’âme Tant il tourbillonne et tant il est inséparable de ce qu’il dévore et fugitif Les fils de fer se tendent partout servant de sommier supportant des planches Ils forment aussi des crochets et l’on y suspend mille choses Comme on fait à la mémoire Des musettes bleues des casaques bleues des cravates bleues des vareuses bleues Morceaux du ciel tissus des souvenirs les plus purs Et il flotte parfois en l’air de vagues nuages de craie Sur la planche brillent des fusées détonateurs joyaux dorés à tête émaillée Funambules qui attendent leur tour de passer sur les trajectoires Et font un ornement mince et élégant à cette demeure souterraine Ornée de six lits placés en fer à cheval Six lits couverts de riches manteaux bleus Sur le palais il y a un haut tumulus de craie Et des plaques de tôle ondulée Fleuve figé de ce domaine idéal Mais privé d’eau car ici il ne roule que le feu jailli de la mélinite Le parc aux fleurs de fulminate jaillit des trous penchés Tas de cloches aux doux sons des douilles rutilantes Sapins élégants et petits comme en un paysage japonais Le palais s’éclaire parfois d’une bougie à la flamme aussi petite qu’une souris O palais minuscule comme si on te regardait par le gros bout d’une lunette Petit palais où tout s’assourdit Petit palais où tout est neuf rien rien d’ancien Et où tout est précieux où tout le monde est vêtu comme un roi Une selle est dans un coin à cheval sur une caisse Un journal du jour traîne par terre Et cependant tout paraît vieux dans cette neuve demeure Si bien qu’on comprend que l’amour de l’antique Le goût de l’anticaille Soit venu aux hommes dès le temps des cavernes Tout y était si précieux et si neuf Tout y est si précieux et si neuf Qu’une chose plus ancienne ou qui a déjà servi apparaît                                          Plus précieuse Que ce qu’on a sous la main Dans ce palais souterrain creusé dans la craie si blanche et si neuve Et deux marches neuves                           Elles n’ont pas deux semaines Sont si vieilles dans ce palais qui semble antique sans imiter l’antique Qu’on voit que ce qu’il y a de plus simple de plus neuf est Ce qui est le plus près de ce que l’on appelle la beauté antique Et ce qui est surchargé d’ornements Ce qui a des ornements qui ne sont pas nécessaires A besoin de vieillir pour avoir la beauté qu’on appelle antique Et qui est la noblesse la force l’ardeur l’âme l’usure De ce qui est neuf et qui sert Surtout si cela est simple simple Aussi simple que le petit palais du tonnerre Août 1915

15. (1911) Cortège « Cortège »

Oiseau tranquille, au vol inverse, oiseau Qui nidifie en l’air, A la limite où brille déjà ma mémoire, Baisse ta deuxième paupière Ni à cause du soleil, ni à cause de la terre, Mais pour ce feu oblong dont l’intensité ira s’augmentant Au point qu’il deviendra un jour l’unique lumière.

16. (1914) Le Musicien de Saint-Merry « Le Musicien de Saint-Merry »

Ariane et toi Pâquette et toi Amine Et toi Mia et toi Simone et toi Mavise Et toi Colette et toi la belle Geneviève Elles ont passé tremblantes et vaines Et leurs pas légers et prestes se mouvaient selon la cadence De la musique pastorale qui guidait leurs oreilles avides L’inconnu s’arrêta un moment devant une maison à vendre Maison abandonnée aux vitres brisées C’est un logis du seizième siècle La cour sert de remise à des voitures de livraison C’est là qu’entra le musicien Et sa musique qui s’éloignait devint langoureuse Et les femmes le suivirent dans la maison abandonnée Et toutes y entrèrent confondues en bande Toutes toutes y entrèrent sans regarder derrière elles Sans regretter ce qu’elles ont laissé abandonné Sans regretter le jour la vie et la mémoire Il ne resta bientôt plus personne dans la rue de la Verrerie Sinon moi-même et un prêtre de saint-Merry Nous entrâmes dans la vieille maison Mais nous n’y trouvâmes personne Voici le soir A Saint-Merry c’est l’Angélus qui sonne Cortèges ô cortèges C’est quand jadis le roi revenait de Vincennes Il vint une troupe de casquettiers Il vint des marchands de bananes Il vint des soldats de la garde républicaine O nuit troupeau de regards langoureux des femmes O nuit toi ma douleur et mon attente vaine J’entends mourir le son d’une flûte lointaine Guillaume Apollinaire

17. (1908) Fiançailles « Fiançailles »

D’autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes, Où d’ardents bouquets rouaient, Aux yeux d’une mûlatresse qui inventait la poésie, Et les roses de l’électricité s’ouvrent encore Dans le jardin de ma mémoire.

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