Départ Et leurs visages étaient pâles Et leurs sanglots s’étaient brisés Après la neige aux purs pétales Comme ses mains sur tes baisers Tombaient les feuilles automnales GUILLAUME APOLLINAIRE
5 La tendresse est la réalité Où il découvre des nouveautés poétiques Elles sont formelles ou lyriques Et si conformes à la vérité Qu’on s’étonnera avant dix ans D’avoir pu en être étonné Et fraternellement je lui donne l’accolade Et offre à son baiser de paix La Margelle du Puits Capital GUILLAUME APOLLINAIRE
Les mariniers qui voient de loin, Nous envoient des baisers sans nombre.
Stances (Signe de l’Automne) Je suis soumis au Chef du Signe de l’Automne, Partant, j’aime les fruits, je déteste les fleurs ; Je regrette chacun des baisers que je donne, Tel un noyer gaulé dit au vent ses douleurs.
Le Signe de l’Automne Je suis soumis au Chef du Signe de l’Automne, Partant, j’aime les fruits, je déteste les fleurs, Je regrette chacun des baisers que je donne, Tel un noyer gaulé dit au vent ses douleurs.
Les Jumeaux Deux juifs baisaient la même dame D’Amsterdam Et sur le Damme Aux beaux soirs arpentaient tous trois le macadam.
Chant d’amour Voici de quoi est fait le chant symphonique de l’amour Il y a le chant de l’amour de jadis Le bruit des baisers éperdus des amants illustres Les cris d’amour des mortelles violées par les dieux Les virilités des héros fabuleux érigées comme des pièces contre avions le hurlement précieux de Jason Le chant mortel du cygne Et l’hymne victorieux que les premiers rayons du soleil ont fait chanter à Memnon l’immobile Il y a le cri des Sabines au moment de l’enlèvement Il y a aussi les cris d’amour des félins dans les jongles La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales Le tonnerre des artilleries qui accomplissent le terrible amour des peuples Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté Il y a là le chant de tout l’amour du monde GUILLAUME APOLLINAIRE
Pourtant tout à l’heure dans la synagogue, l’un après l’autre Ils baiseront la thora en soulevant leur beau chapeau.
Élégie Le ciel et les oiseaux venaient se reposer Sur deux cyprès que le vent tiède enlaçait presque Comme un couple d’amants à leur dernier baiser.
Amour, vos baisers florentins Avaient une saveur amère Qui a rebuté nos destins. Ses regards laissaient une traîne D’étoiles dans les soirs tremblants ; Dans ses yeux nageaient les sirènes, Et nos baisers mordus, sanglants, Faisaient pleurer nos fées marraines.
Les vents de l’Océan en soufflant leurs menaces, Laissaient en ses cheveux de longs baisers mouillés.
Pour son baiser les rois du monde Seraient morts ; des pauvres fameux Pour elle eussent vendu leur ombre.
Les vents de l’Océan en soufflant leurs menaces, Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouillés.
O tête, j’ai baisé tes dents comme un amant. […] Ermite, absous nos fautes jamais vénielles, O toi, le pur et le contrit que nous aimons, Sache nos cœurs, sache les jeux que nous aimons Et nos baisers quintessenciés comme du miel.
Le Larron Maraudeur étranger malheureux malhabile Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits Mais puisque tu as faim que tu es en exil Il pleure il est barbare et bon pardonnez-lui Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs Mais ce n’est pas l’exil que je viens simuler Et sachez que j’attends de moyennes tortures Injustes si je rends tout ce que j’ai volé Issu de l’écume des mers comme Aphrodite Sois docile puisque tu es beau naufragé Vois les sages te font des gestes socratiques Vous parlerez d’amour quand il aura mangé Maraudeur étranger malhabile et malade Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades As-tu feint d’avoir faim quand tu volas les fruits Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère et l’adulte De prétexte sinon que s’aimer nuitamment Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes Et des amandes de pomme de pin jonchaient Votre jardin marin où j’ai laissé mes rames Et mon couteau punique au pied de ce pêcher Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades Et presque toutes les figues étaient fendues Il entra dans la salle aux fresques qui figurent L’inceste solaire et nocturne dans les nues Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures Au son des cinyres des Lydiennes nues Or les hommes ayant des masques de théâtre Et les femmes ayant des colliers où pendait La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Parlaient entre eux le langage de la Chaldée Les autans langoureux dehors feignaient l’automne Les convives c’étaient tant de couples d’amants Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne Reçois d’abord le sel puis le pain de froment Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres Mais l’outre en peau de bouc maintient frais le vin blanc Par ironie veux-tu qu’on serve un plat de fèves Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond Une femme lui dit Tu n’invoques personne Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes Veux-tu le talisman heureux de mon collier Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau * * * Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe Il en est tant venu par la route ou la mer Conquérants égarés qui s’éloignent trop vite Et des bandes souvent qui fuyaient aux éclairs Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes Passa menant un peuple infime pour l’orgueil De manger chaque jour les cailles et la manne Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil Les puiseurs d’eau barbus coiffés de bandelettes Noires et blanches contre les maux et les sorts Revenaient de l’Euphrate et les yeux des chouettes Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors Cet insecte jaseur ô poète barbare Regagnait chastement à l’heure d’y mourir La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares Aux crapauds que l’azur et les sources mûrirent Un triomphe passait gémir sous l’arc-en-ciel Avec de blêmes laurés debout dans les chars Les statues suant les scurriles les agnelles Et l’angoisse rauque des paonnes et des jars Les veuves précédaient en égrenant des grappes Les évêques noirs révérant sans le savoir Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes Pallas et chantaient l’hymne à la belle mais noire Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs Nous aurons des baisers florentins sans le dire Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur * * * Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène Belphégor le soleil le silence ou le chien Cette furtive ardeur des serpents qui s’entr’aiment Et le larron des fruits cria Je suis chrétien Ah Ah les colliers tinteront cherront les masques Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombre prévaut Ah Ah le larron de gauche dans la bourrasque Rira de toi comme hennissent les chevaux Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau Ah Ah nous secouerons toute la nuit les sistres La voix ligure était-ce donc un talisman Et si tu n’es pas ne droite tu es sinistre Comme une tache grise ou le pressentiment Puisque l’absolu choit la chute est une preuve Qui double devient triple avant d’avoir été Nous avouons que les grossesses nous émeuvent Les ventres pourront seuls nier l’aséité Vois les vases sont pleins d’humides fleurs morales Va-t’en mais dénudé puisque tout est à nous Ouïs du chœur des vents les cadences plagales Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou le gnou L’ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair Et sombre elle est humaine et puis la nôtre aussi Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères Et puis aucun de nous ne croirait tes récits Il brillait et attirait comme la pantaure Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée Et les femmes la nuit feignant d’être des taures L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’en effet Il était pâle il était beau comme un roi ladre Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Au lieu du roseau triste et du funèbre faix Que n’alla-t-il vivre à la cour du roi d’Edesse Maigre et magique il eût scruté le firmament Pâle et magique il eût aimé des poétesses Juste et magique il eût épargné les démons Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre Soit la triade est mâle et tu es vierge et froid Le tact est relatif mais la vue est oblongue Tu n’as de signe que le signe de la croix Vouons le vol à Sparte et l’inceste à Ninive Nous rentrerons demain à l’école d’Elée Qu’on souffle les flambeaux à cause des convives Qui se fiant au Bègue ont peur d’être brûlés
Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs, Nous aurons des baisers florentins sans le dire, Mais au jardin, ce soir, tu vins, sage et voleur.