Du dicke Du L’amour revient en boumerang L’amour revient à en vomir le revenant Ils ont demandé tant de ces bouteilles longues Comme les longs cyprès d’un grand jardin rhénan Un phonographe énamouré pour dix pfenings Chanta l’amour à quatre voix de chanteurs morts Des châtrés enrhumés en métal ces ténors Qui n’ont jamais connu la vie ce féminin La noce de la ville en face à l’autre rive Et les cigares à deux gros et blonds wie du La mienne aussi mon vieux était blonde aux yeux doux Mais pas d’ici Seigneur que votre règne arrive Mangez les tartines comme du pain béni Que la mariée soit soûle comme une grive Je me souviens Amour que votre règne arrive On ne respire plus Bonsoir la compagnie Bonsoir la compagnie j’entends un bruit de rames Dans la nuit sur le Rhin et le coucou chanter Puis j’ai jasé d’amour de l’amour regretté Avec tous les sapins changés en bonnes femmes.
La nuit arrive tout à coup Comme l’amour dans ces ruines.
4 heures C’est 4 heures du matin Je me lève tout habillé Je tiens une savonnette Que m’a envoyée quelqu’un que j’aime Je vais me laver Je sors du trou où nous dormons Je suis dispos Et content de pouvoir me laver ce qui ne m’est pas arrivé depuis trois jours Suis lavé je vais me faire raser Ensuite bleu de ciel je me confonds avec l’horizon jusqu’à la nuit et c’est un plaisir trés doux De ne rien dire de plus, tout ce que je fais c’est un être invisible qui le fait puis-qu’une fois boutonné tout bleu confondu dans le ciel je deviens invisible Guillaume Apollinaire.
1904 A Strasbourg en 1904 J’arrivai pour le lundi gras A l’hôtel m’assis devant l’âtre Près d’un chanteur de l’Opéra Qui ne parlait que de théâtre La Kellnerine rousse avait Mis sur sa tête un chapeau rose Comme Hébé que les dieux servait N’en eut jamais ô belles choses Carnaval chapeau rose Ave !
Le Vigneron champenois Le régiment arrive Le village est presque endormi dans la lumière parfumée Un prêtre a le casque en tête La bouteille champenoise est-elle ou non une artillerie Les ceps de vigne comme l’hermine sur un écu Bonjour soldats Je les ai vus passer et repasser en courant Bonjour soldats bouteilles champenoises où le sang fermente Vous resterez quelques jours et puis remonterez en ligne Echelonnés ainsi que sont les ceps de vigne J’envoie mes bouteilles partout comme les obus d’une charmante artillerie La nuit est blonde ô vin blond Un vigneron chantait courbé dans sa vigne Un vigneron sans bouche au fond de l’horizon Un vigneron qui était lui-même la bouteille vivante Un vigneron qui sait ce qu’est la guerre Un vigneron champenois qui est un artilleur C’est maintenant le soir et l’on joue à la mouche Puis les soldats s’en iront là-haut Où l’Artillerie débouche ses bouteilles crèmantes Allons Adieu messieurs tâchez de revenir Mais nul ne sait ce qui peut advenir GUILLAUME APOLLINAIRE
Le Repas Il n’y a que la mère et les deux fils Tout est ensoleillé La table est ronde Dérrière la chaise où s’assied la mère Il y a la fenêtre Briller sous le soleil Les caps aux feuillages sombres des pins et des oliviers Et plus près les villas aux toits rouges Aux toits rouges où fument les cheminées Car c’est l’heure du repas Tout est ensoleillé Et sur la nappe glacée La bonne affairée Dépose un plat fumant Le repas n’est pas une action vile Et tous les hommes devraient avoir du pain La mère et les deux fils mangent et parlent Et des chants de gaîté accompagnent le repas Les bruits joyeux des fourchettes et des assiettes Et le son clair du cristal et des verres Par la fenêtre ouverte viennent les chants des oiseaux Dans les citronniers Et de la cuisine arrive La chanson vive du beurre sur le feu Un rayon traverse un verre presque plein de vin mélangé d’eau Oh !
Dans le jardin d’Anna Certes si nous avions vécu en l’an dix-sept cent soixante Est-ce bien la date que vous déchiffrez Anna sur ce banc de pierre Et que par malheur j’eusse été allemand Mais que par bonheur j’eusse été près de vous Nous aurions parlé d’amour de façon imprécise Presque toujours en français Et pendue éperdument à mon bras Vous m’auriez écouté vous parler de Pythagoras En pensant aussi au café qu’on prendrait Dans une demi-heure Et l’automne eût été pareil à cet automne Que l’épine-vinette et les pampres couronnent Et brusquement parfois j’eusse salué très bas De nobles dames grasses et langoureuses J’aurais dégusté lentement et tout seul Pendant de longues soirées Le tokay épais ou la malvoisie J’aurais mis mon habit espagnol Pour aller sur la route par laquelle Arrive dans son vieux carrosse Ma grand’mère qui se refuse à comprendre l’allemand J’aurais écrit des vers pleins de mythologie Sur vos seins la vie champêtre et sur les dames Des alentours J’aurais souvent cassé ma canne Sur le dos d’un paysan J’aurais aimé entendre de la musique en mangeant Du jambon J’aurais juré en allemand je vous le jure Lorsque vous m’auriez surpris embrassant à pleine bouche Cette servante rousse Vous m’auriez pardonné dans le bois aux myrtilles J’aurais fredonné un moment Puis nous aurions écouté longtemps les bruits du crépuscule
Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours, J’étais entré pour la première fois, Et par hasard, Dans ce cimetière presque désert, Et je claquais des dents Devant toute cette bourgeoisie Exposée et vêtue le mieux possible En attendant la sépulture. […] Les barques étaient arrivées A un endroit où les chevau-légers Savaient qu’un écho répondait de la rive. […] On devient si pur qu’on en arrive Dans les glaciers de la mémoire A se confondre avec le souvenir.
Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours, J’étais entré pour la première fois, Et par hasard, Dans ce cimetière presque désert, Et je claquais des dents Devant toute cette bourgeoisie Exposée et vêtue le mieux possible En attendant la sépulture, Soudain, Rapide comme ma mémoire. […] Les barques étaient arrivées A un endroit où les chevau-légers Savaient qu’un écho répondait de la rive. […] On devient si pur qu’on en arrive Dans les glaciers de la mémoire A se confondre avec le souvenir.
Chant de l’horizon en Champagne à Monsieur le substitut Granié Voici le tétin rose de l’euphorbe verruquée Voici les nez des soldats invisibles Horizon invisible je chante Que les civils et les femmes écoutent les chansons Et voici d’abord la cantilène du brancardier blessé Le sol est blanc la nuit l’azure Saigne la crucifixion Tandis que saigne la blessure Du soldat de Promission Un chien jappait l’obus miaule La lueur muette a jailli A savoir si la guerre est drôle Les masques n’ont pas tressailli Mais quel fou rire sous le masque Blancheur éternelle d’ici Où la colombe porte un casque Et l’acier s’envole aussi Je suis seul sur le chant de bataille Tranchée blanche bois vert et roux L’obus miaule Je te tuerai Animez vos fantassins à passepoil jaune Les grands artilleurs roux comme des taupes Bleu de roi comme les golfes méditerranéens Veloutés de toutes les nuances du velours Ou mauves encore ou bleu comme les autres Ou déteints Venez le pot en tête Debout fusée éclairante Danse grenadier en agitant tes pommes de pin Alidades des triangles de visée pointez-vous sur les lueurs Creusez des trous enfants de 20 ans creusez des trous Sculptez les profondeurs Envolez-vous essaims des avions blonds ainsi que les avettes Moi l’horizon je fais la roue comme un grand paon Ecoutez renaître les oracles qui avaient cessé Le grand Pan est ressuscité Champagne viril qui émoustille la Champagne Hommes faits jeunes-gens Caméléons des autos-canons Et vous classe 15 Craquements des arrivées ou bien flottaison blanche dans les cieux J’étais content pourtant ça brûlait la paupière Les officiers captifs voulaient cacher leurs noms Œil du Breton blessé couché sur la civière Et qui criait aux morts aux sapins aux canons Priez pour moi Bon Dieu !
Zône A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La Religion seule est restée toute neuve la Religion Est restée simple comme les hangars de Port Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est toi pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières O portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les Directeurs les Ouvriers et les belles sténo-dactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Et dans l’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que malgré tout nous tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité c’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux qui transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles A tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pi-his longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis s’en vient la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigle phénix et pi-his de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Et vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse L’image qui te possède te fait sourire dans l’insomnie et dans l’angoisse Et c’est toujours près de toi la métive qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du Mensonge et de l’Age Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder la croix et à tous moments tu voudrais sangloter Sur moi sur celle que j’aime sur tout ce qui m’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Des familles transportent un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Beaucoup de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges Je les ai vu souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant On chante on danse on boit du champagne Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu Adieu Soleil levant cou tranché GUILLAUME APOLLINAIRE.
Zône A la fin tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes La Religion seule est restée toute neuve la Religion Est restée simple comme les hangars de Port Aviation Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est toi pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières O portraits des grands hommes et mille titres divers J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les Directeurs les Ouvriers et les belles sténodactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J’aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Eglise Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Et dans l’éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C’est le beau lys que malgré tout nous tous nous cultivons C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C’est larbre toujours touffu de toutes les prières C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité c’est l’étoile à six branches C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs Il détient le record du monde pour la hauteur Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux qui transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l’hostie L’avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles A tire d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri Et d’Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pi-his longs et souples Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples Puis s’en vient la colombe esprit immaculé Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigles phénix et pi-his de la Chine Fraternisent avec la volante machine Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent L’angoisse de l’amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère Et vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l’enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C’est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses L’amour dont je souffre est une maladie honteuse L’image qui te possède te fait sourire dans l’insomnie et dans l’angoisse Et c’est toujours près de toi la métive qui passe Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année Avec tes amis tu te promènes en barque L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le cœur de la rose Epouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques Te voici à Marseille au milieu des pastèques Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda Tu es à Paris chez le juge d’instruction Comme un criminel on te met en état d’arrestation Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t’apercevoir du Mensonge et de l’Age Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps Tu n’oses plus regarder la croix et à tous moments tu voudrais sangloter Sur moi sur celle que j’aime sur tout ce qui m’a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois mages Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Des familles transportent un édredon rouge comme vous transportez votre cœur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Beaucoup de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges Je les ai vu souvent le soir ils prennent l’air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant On chante on danse on boit du champagne Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances Adieu adieu Soleil levant cou tranché Guillaume Apollinaire
Ariane Il jouait de la flûte et la musique dirigeait ses pas Il s’arrêta au coin de la rue Saint-Martin Jouant l’air que je chante et que j’ai inventé Les femmes qui passaient s’arrêtaient près de lui Il en venait de toutes parts Lorsque tout à coup les cloches de Saint-Merry se mirent à sonner Le musicien cessa de jouer et but à la fontaine Qui se trouve au coin de la rue Simon-le-Franc Puis saint-Merry se tut et l’inconnu reprenant son air de flûte Revint sur ses pas marcha jusqu’à la rue de la Verrerie Où il entra suivi par la troupe des femmes Qui sortaient des maisons Qui venaient par les rues traversières les yeux fous Les mains tendues vers le mélodieux ravisseur Il s’en allait indifférent jouant son air Il s’en allait terriblement Puis ailleurs A quelle heure un train partira-t-il pour Paris A ce moment Ces pigeons des Moluques fientaient des noix muscades En même temps Mission catholique de Bôma qu’as-tu fait du sculpteur Ailleurs Elle traverse le pont qui relie Bonn à Beuel et disparait à travers Pützchen Au même instant Une jeune fille amoureuse du maire Dans un autre quartier Rivalise donc poète avec les étiquettes des parfumeurs En somme rieurs vous n’avez pas tiré grand chose des hommes Et à peine avez-vous extrait un peu de graisse de leur misère Mais nous qui mourons de vivre loin l’un de l’autre Tendons nos bras et sur ces rails roule un long train de marchandises Tu pleurais assise près de moi au fond d’un fiacre Et maintenant Tu me ressembles tu me ressembles malheureusement Nous nous ressemblons comme dans l’architecture du siècle dernier Ces hautes cheminées pareilles à des tours Nous allons plus haut maintenant et ne touchons plus le sol Et tandis que le monde vivait et variait Le cortège des femmes long comme un jour sans pain Suivait dans la rue de la Verrerie l’heureux musicien Cortèges ô cortèges C’est quand jadis le roi s’en allait à Vincennes Quand les ambassadeurs arrivaient à Paris Quand le maigre Suger se hâtait vers la Seine Quand l’émeute mourait autour de Saint-Merry Cortèges ô cortèges Les femmes débordaient tant leur nombre était grand Dans toutes les rues avoisinantes Et se hâtaient raides comme balle Afin de suivre le musicien Ah!
A l’Italie (incipit : « L’amour a remué ma vie ») L’amour a remué ma vie comme on remue la terre dans la zône des armées J’atteignais l’âge mûr quand la guerre arriva Et dans ce jour d’août 1915 le plus chaud de l’année Bien abrité dans l’hypogée que j’ai creusé moi-même C’est à toi que je songe ITALIE mère de mes pensées Et dejà quand von Kluck marchait sur Paris avant la Marne J’évoquais le sac de Rome par les Allemands Le sac de Rome qu’ont décrit Un Bonaparte le vicaire espagnol Delicado et l’Arétin Je me disais Est-il possible que la nation Qui est la mère de la civilisation Regarde sans la défendre les efforts qu’on fait pour la détruire Puis les temps sont venus les tombes se sont ouvertes Les fantômes des Esclaves toujours frémissants Se sont dressés en criant SUS AUX TUDESQUES Nous l’armée invisible aux cris éblouissants Plus doux que n’est le miel et plus simples qu’un peu de terre Nous te tournons bénignement le dos ITALIE Mais ne t’en fais pas nous t’aimons bien ITALIE f mère qui es aussi notre fille Nous sommes là tranquillement et sans tristesse Et si malgré les masques les sacs de sable les rondins nous tombions Nous savons qu’un autre prendrait notre place Et que LES ARMEES ne périront jamais Les mois ne sont pas longs ni les jours ni les nuits C’est la guerre qui est longue ITALIE Toi notre mère et notre fille quelque chose comme une sœur J’ai comme toi pour me réconforter le quart de pinard Qui met tant de différence entre nous et les Boches J’ai aussi comme toi l’envol des compagnies de perdreaux des 75 Comme toi je n’ai pas cet orgueil sans joie des Boches et je sais rigoler Je ne suis pas sentimental à l’excès comme le sont ces gens sans mesure que leurs actions dépassent sans qu’il sachent s’amuser Notre civilisation a plus de finesse que les choses qu’ils emploient Elle est au delà de la vie confortable Et de ce qui est l’extérieur dans l’art et l’industrie Les fleurs sont nos enfants et non les leurs Même la fleur de lys qui meurt au Vatican La plaine est infinie et les tranchées sont blanches Les avions bourdonnent ainsi que des abeilles Sur les roses momentanées des éclatements Et les nuits sont parées de guirlandes d’éblouissements De bulles de globules aux couleurs insoupçonnées Nous jouissons de tout même de nos souffrances Notre humeur est charmante l’ardeur vient quand il faut Nous sommes narquois car nous savons faire la part des choses Et il n’y a pas plus de folie chez celui qui jette les grenades que chez celui qui plume les patates Tu aimes un peu plus que nous les gestes et les mots sonores Tu as à ta disposition les sortilèges étrusques le sens de la majesté héroïque et le courageux honneur individuel Nous avons le sourire nous devinons ce qu’on ne nous dit pas nous sommes démerdards et même ceux qui se dégonflent sauraient à l’occasion faire preuve de l’esprit de sacrifice qu’on appelle la bravoure Et nous fumons du gros avec volupté C’est la nuit je suis dans mon blockaus éclairé par l’électricité en bâton Je pense à toi pays des 2 volcans Je salue le souvenir des sirènes et des scylles mortes au moment de Messine Je salue le Colleoni équestre de Venise Je salue la chemise rouge Je t’envoie mes amitiés ITALIE et m’apprête à applaudir aux hauts faits de ta bleusaille Non parce que j’imagine qu’il y aura jamais plus de bonheur ou de malheur en ce monde Mais parce que comme toi j’aime à penser seul et que les Boches m’en empêcheraient Mais parce que le goût naturel de la perfection que nous avons l’un et l’autre si on les laissait faire serait vite remplacé par je ne sais quelles commodités dont je n’ai que faire Et surtout parce que comme toi je sais je veux choisir et qu’eux voudraient nous forcer à ne plus choisir Une même destinée nous lie en cette occase Ce n’est pas pour l’ensemble que je le dis Mais pour chacun de tei ITALIE Ne te borne point à prendre les terres irrédentes Mets ton destin dans la balance où est le nôtre Les réflecteurs dardent leurs lueurs comme des yeux d’escargots Et les obus en tombant sont des chiens qui jettent de la terre avec leurs pattes après avoir fait leurs besoins Notre armée invisible est une belle nuit constellée Et chacun de nos hommes est un astre merveilleux O nuit, o nuit éblouissante Les morts sont avec nos soldats Les morts sont debout dans les tranchées Ou se glissent souterrainement vers les Bien-Aimees O Lille Saint-Quentin Laon Maubeuge Vouziers Nous jetons nos villes comme des grenades Nos fleuves sont brandis comme des sabres Nos montagnes chargent comme cavalerie Nous reprendrons les villes les fleuves et les collines De la frontière helvétique aux frontières bataves Entre toi et nous ITALIE Il y a des patelins pleins de femmes Et près de toi m’attend celle que j’adore O FRERES D’ITALIE Ondes nuages délétères Metalliques débris qui vous rouillez partout O frères d’ITALIE vos plumes sur la tête ITALIE Entends crier Louvain vois Reims tordre ses bras Et ce soldat blessé toujours debout Arras Et maintenant chantons ceux qui sont morts Ceux qui vivent les officiers et les soldats Les flingots Rosalie le canon la fusée l’hélice la pelle les chevaux Chantons les bagues pâles les casques Chantons ceux qui sont morts Chantons la terre qui bâille d’ennui Chantons et rigolons Durant des années ITALIE Entends braire l’âne boche Faisons la guerre à coups de fouets Faits avec les rayons du soleil ITALIE Chantons et rigolons Durant des années Guillaume Apollinaire.
Jadis, les morts sont revenus pour m’adorer, Et j’espérais la fin du monde, Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan.