Le Dépôt Je me suis engagé sous le plus beau des cieux Dans Nice la Marine au nom victorieux Perdu parmi 900 conducteurs anonymes Je suis un charretier du neuf charroi de Nîmes L’Amour dit Reste ici mais là-bas les obus Epousent ardemment et sans cesse les buts J’attends que le printemps commande que s’en aille Vers le nord glorieux l’intrépide bleusaille Les 3 servants assis dodelinent leurs fronts Où brillent leurs yeux clairs comme mes éperons Un bel après-midi de garde à l’écurie J’entends sonner les trompettes d’artillerie J’admire la gaîté de ce détachement Qui va rejoindre au front notre beau régiment Le territorial se mange une salade A l’anchois en parlant de sa femme malade 4 pointeurs fixaient les bulles des niveaux Qui remuaient ainsi que les yeux des chevaux Le bon chanteur Girault nous chante après 9 heures Un grand air d’opéra toi l’écoutant tu pleures Je flatte de la main le petit canon gris Gris comme l’eau de Seine et je songe à Paris Mais ce pâle blessé m’a dit à la cantine Des obus dans la nuit la splendeur argentine Je mâche lentement ma portion de bœuf Je me promène seul le soir de 5 à 9 Je selle mon cheval nous battons la campagne Je te salue au loin belle rose ô tour Magne Décembre 1914
Saltimbanques Dans la plaine les baladins S’éloignent au long des jardins, Devant l’huis des auberges grises, Par les villages sans églises.
A Luigi Amaro Poème liminaire de son « Ode à Gallieni » C’est Deux drapeaux tricolores le lundi Amaro vous savez que je vous aime bien de Pâques Comment réussissent-ils à avoir du crin gris perle Je me souviens de l’émotion sublime qui nous gagna tous A la lecture de la proclamation du général Galliéni Aux Parisiens Vous chantez Galliéni Avec cette simplicité Qu’il faut mettre en toutes choses L’Italie est venue avec nous Agitant auprès du ciel de notre drapeau AMARO LE VERT QUI EST LA VÉGÉTATION L ’ ESP É RANCE ECOUTEZ QUI EST LA HAINE AUSSI ET L’ENNEMI LUI-MÊME Amaro écoutez Le fracas éternel de nos artilleries Erige un tombeau de rumeurs Tresse les couronnes faites en fleurs d’éclatements Amaro écoutez La Russie chante la Marseillaise L’Amérique au nom de toutes démocraties Proclame que tous les Français sont illustres Et vous Amaro honorez Tous les soldats français en chantant ce grand pacificateur France ô Pacifique ô douce ô belle France Amaro vous savez que je vous aime bien Et nous aimons tous deux la France et l’Italie GUILLAUME APOLLINAIRE
Ispahan Pour tes roses J’aurais fait Un voyage plus long encore Ton soleil n’est pas celui Qui luit Partout ailleurs Et tes musiques qui s’accordent avec l’aube Sont désormais pour moi La mesure de l’art D’après leur souvenir Je jugerai Mes vers les arts Plastiques et toi-même Visage adoré Ispahan aux musiques du matin Réveille l’odeur des roses de ses jardins J’ai parfumé mon âme A la rose Pour ma vie entière Ispahan grise et aux faïences bleues Comme si l’on t’avait Faite avec Des morceaux de ciel et de terre En laissant au milieu Un grand trou de lumière Cette place carrée Meïdan Schah trop Grande pour le trop petit nombre De petits ânes trottinant Et qui savent si joliment Braire en regardant La barbe rougie au henné Du Soleil qui ressemble A ces jeunes marchands barbus Abrités sous leur ombrelle blanche Je suis ici le frère des peupliers Reconnaissez beaux peupliers au fils d’Europe O mes frères tremblants qui priez en Asie Un passant arqué comme une corne d’antilope Phonographe Patarafes La petite échoppe
2e canonnier conducteur Me voici libre et fier parmi mes compagnons Le Réveil a sonné et dans le petit jour je salue La fameuse Nancéenne que je n’ai pas connue [trompette] As-tu connu la putain de Nancy qui a foutu la vxxxxx à toute l’artillerie l’artillerie ne s’est pas aperçu qu’elle avait mal au [cul] Les 3 serveants bras dessus bras dessous se sont endormis sur l’avant-train Et conducteur par mont par val sur le porteur Au pas au trot et parfois au galop je conduis le canon Le bras de l’officier est mon étoile polaire Il pleut mon manteau est trempé et je m’essuie parfois, la figure Avec la serviette-torchon qui est dans la sacoche du sous-verge Voici des fantassnis aux pas pesants aux pieds boueux La pluie les pique de ses aiguilles le sac les suit Fantassins marchantes mottes de terre Vous êtes la puissance Du sol qui vous a faits Et c’est le sol qui va Lors que vous avancer [botte] sacré nom de Dieu quelle allure nom de Dieu quelle allure cependant que la nuit descend [Notre-Dame] souvenirs de Paris avant la guerre ils seront bien plus doux après la victoire [Tour Eiffel] salut monde dont je suis la langue éloquente que sa bouche ô Paris tire et tirera toujours aux Allemands Un officier passe au galop Comme un ange bleu dans la plue grise Un blessé chemine en fumant une pipe Le lièvre détale et voici un russieau que j’aime Et cette jeune femme nous salue charretiers La Victoire se tient après nos jugulaires Et calcule pour nos canons les mesures angulaires Nos salves nos rafales sont ses cris de joie Ses fleurs sont nos obus aux gerbes merveilleuses Sa pensée se recueille aux trauchées glorieuses [obus] j’entends chanter l’oiseau le bel oiseau rapace Guillaume Apollinaire.
L’air tremble de flammes et de prières Le cimetière est un beau jardin Plein de saules gris et de romarins Il vous vient souvent des amis qu’on enterre Ah !
Les dimanches s’y éternisent Et les orgues de Barbarie Y sanglotent dans les cours grises ; Les fleurs, aux balcons de Paris, Penchent comme la tour de Pise.
Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier Auprès des canons gris voilés tournés vers le nord Que je songe au village africain Où l’on dansait où l’on chantait Où l’on faisait l’amour Et de longs discours Nobles et joyeux Je revois mon père qui se battit Contre les Achantis au service des Anglais Caresser les seins durs comme des obus De ma sœur au rire en folie Et je revois Ma mère la sorcière qui seule du village Méprisait le sel Piler le millet dans un mortier En regardant mon frère bercer Sa superbe virilité Qui semblait un petit enfant Je me souviens du si délicat si inquiétant Fétiche dans l’arbre Et du double fétiche de la fécondité Plus tard une tête coupée Au bord d’un marécage O pâleur de mon ennemi C’était une tête d’argent Et dans le marais C’était la lune qui luisait C’était donc une tête d’argent Là-haut c’était la lune qui dansait C’était donc une tête d’argent Et moi dans l’ombre j’étais invisible C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde Similitudes pâleurs Et ma sœur plus tard Suivit un tirailleur Mort à Arras Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l’évêque Si doux si doux avec ma mère De beurre de beurre avec ma sœur C’était dans une petite cabane Moins sauvage que notre Cagnat de Canonniers servants J’ai connu l’affût au bord des marécages Où la girafe boit les jambes écartées J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste Le Village Viole les femmes Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute J’ai porté l’administrateur des semaines De village en village En chantonnant Et je fus domestique à Paris Je ne sais pas mon âge Mais au recrutement On m’a donné vingt ans Je suis soldat français on m’a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir Pourquoi ne pas danser et discourir Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses Sous la tempête de feux métalliques Je me souviens d’un lac affreux Une nuit folle Une nuit de sorcellerie Et de couples enchaînés par un atroce amour
Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier Auprès des canons gris voilés tournés vers le nord Que je songe au village africain Où l’on dansait où l’on chantait Où l’on faisait l’amour Et de longs discours Nobles et joyeux Je revois mon père qui se battit Contre les Achantis au service des Anglais Caresser les seins durs comme des obus De ma sœur au rire en folie Et je revois Ma mère la sorcière qui seule du village Méprisait le sel Piler le millet dans un mortier En regardant mon frère bercer Sa superbe virilité Qui semblait un petit enfant Je me souviens du si délicat si inquiétant Fétiche dans l’arbre Et du double fétiche de la fécondité Plus tard une tête coupée Au bord d’un marécage O pâleur de mon ennemi C’était une tête d’argent Et dans le marais C’était la lune qui luisait C’était donc une tête d’argent Là-haut c’était la lune qui dansait C’était donc une tête d’argent Et moi dans l’ombre j’étais invisible C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde Similitudes pâleurs Et ma sœur plus tard Suivit un tirailleur Mort à Arras Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l’évêque Si doux si doux avec ma mère De beurre de beurre avec ma sœur C’était dans une petite cabane Moins sauvage que notre Cagnat de Canonniers servants J’ai connu l’affût au bord des marécages Où la girafe boit les jambes écartées J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste Le Village Viole les femmes Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute J’ai porté l’administrateur des semaines De village en village En chantonnant Et je fus domestique à Paris Je ne sais pas mon âge Mais au recrutement On m’a donné vingt ans Je suis soldat français on m’a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir Pourquoi ne pas danser et discourir Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses Sous la tempête de feux métalliques Je me souviens d’un lac affreux Une nuit folle Une nuit de sorcellerie Et de couples enchaînés par un atroce amour
J’ai ri de l’aile grise et j’ôte mon cilice Tissé de crins soyeux par de cruels canuts.
Le Larron Maraudeur étranger malheureux malhabile Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits Mais puisque tu as faim que tu es en exil Il pleure il est barbare et bon pardonnez-lui Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs Mais ce n’est pas l’exil que je viens simuler Et sachez que j’attends de moyennes tortures Injustes si je rends tout ce que j’ai volé Issu de l’écume des mers comme Aphrodite Sois docile puisque tu es beau naufragé Vois les sages te font des gestes socratiques Vous parlerez d’amour quand il aura mangé Maraudeur étranger malhabile et malade Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades As-tu feint d’avoir faim quand tu volas les fruits Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère et l’adulte De prétexte sinon que s’aimer nuitamment Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes Et des amandes de pomme de pin jonchaient Votre jardin marin où j’ai laissé mes rames Et mon couteau punique au pied de ce pêcher Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades Et presque toutes les figues étaient fendues Il entra dans la salle aux fresques qui figurent L’inceste solaire et nocturne dans les nues Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures Au son des cinyres des Lydiennes nues Or les hommes ayant des masques de théâtre Et les femmes ayant des colliers où pendait La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Parlaient entre eux le langage de la Chaldée Les autans langoureux dehors feignaient l’automne Les convives c’étaient tant de couples d’amants Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne Reçois d’abord le sel puis le pain de froment Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres Mais l’outre en peau de bouc maintient frais le vin blanc Par ironie veux-tu qu’on serve un plat de fèves Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond Une femme lui dit Tu n’invoques personne Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes Veux-tu le talisman heureux de mon collier Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau * * * Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe Il en est tant venu par la route ou la mer Conquérants égarés qui s’éloignent trop vite Et des bandes souvent qui fuyaient aux éclairs Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes Passa menant un peuple infime pour l’orgueil De manger chaque jour les cailles et la manne Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil Les puiseurs d’eau barbus coiffés de bandelettes Noires et blanches contre les maux et les sorts Revenaient de l’Euphrate et les yeux des chouettes Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors Cet insecte jaseur ô poète barbare Regagnait chastement à l’heure d’y mourir La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares Aux crapauds que l’azur et les sources mûrirent Un triomphe passait gémir sous l’arc-en-ciel Avec de blêmes laurés debout dans les chars Les statues suant les scurriles les agnelles Et l’angoisse rauque des paonnes et des jars Les veuves précédaient en égrenant des grappes Les évêques noirs révérant sans le savoir Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes Pallas et chantaient l’hymne à la belle mais noire Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs Nous aurons des baisers florentins sans le dire Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur * * * Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène Belphégor le soleil le silence ou le chien Cette furtive ardeur des serpents qui s’entr’aiment Et le larron des fruits cria Je suis chrétien Ah Ah les colliers tinteront cherront les masques Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombre prévaut Ah Ah le larron de gauche dans la bourrasque Rira de toi comme hennissent les chevaux Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau Ah Ah nous secouerons toute la nuit les sistres La voix ligure était-ce donc un talisman Et si tu n’es pas ne droite tu es sinistre Comme une tache grise ou le pressentiment Puisque l’absolu choit la chute est une preuve Qui double devient triple avant d’avoir été Nous avouons que les grossesses nous émeuvent Les ventres pourront seuls nier l’aséité Vois les vases sont pleins d’humides fleurs morales Va-t’en mais dénudé puisque tout est à nous Ouïs du chœur des vents les cadences plagales Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou le gnou L’ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair Et sombre elle est humaine et puis la nôtre aussi Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères Et puis aucun de nous ne croirait tes récits Il brillait et attirait comme la pantaure Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée Et les femmes la nuit feignant d’être des taures L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’en effet Il était pâle il était beau comme un roi ladre Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Au lieu du roseau triste et du funèbre faix Que n’alla-t-il vivre à la cour du roi d’Edesse Maigre et magique il eût scruté le firmament Pâle et magique il eût aimé des poétesses Juste et magique il eût épargné les démons Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre Soit la triade est mâle et tu es vierge et froid Le tact est relatif mais la vue est oblongue Tu n’as de signe que le signe de la croix Vouons le vol à Sparte et l’inceste à Ninive Nous rentrerons demain à l’école d’Elée Qu’on souffle les flambeaux à cause des convives Qui se fiant au Bègue ont peur d’être brûlés
Et si tu n’es pas ne droite tu es sinistre Comme une tache grise ou le pressentiment.
A l’avant du bateau que je gouvernais, Un mort parlait avec une jeune femme Vêtue d’une robe jaune, D’un corsage noir Avec des rubans bleus et d’un chapeau gris Orné d’une seule petite plume défrisée.
Des barques étaient amarrées Dans un havre ; On les détacha Après que toute la troupe se fût embarquée, Et quelques morts ramaient Avec autant de vigueur que les vivants, A l’avant du bateau que je gouvernais, Un mort parlait avec une jeune femme Vêtue d’une robe jaune, D’un corsage noir Avec des rubans bleus et d’un chapeau gris Orné d’une seule plume défrisée.