Feu d’artifice en acier Qu’il est charmant cet éclairage Artifice d’artificier Mêler quelque grâce au Courage — Deux fusants — rose éclatement Comme deux seins que l’on dégrafe Tendent leurs bouts insolemment IL SUT AIMER.
Echelon Au marl logis chef Piot Grenouilles et rainettes Crapauds & Crapoussins Ascèse sous les peupliers et les frênes La reine des prés va fleurir Une petite hutte dans la forêt Là-bas plus blanche est la blessure [à gauche, verticalement] On tire contre avions Verdun [au centre] Le Ciel Coquelicots Flacon au col d’or On a pendu la mort à la lisière du bois On a pendu la mort Et ses beaux seins dorés Se montrent tour à tour O rose toujours vive O France [à droite, verticalement] L’orvet Le sac à malice La trousse à boutons Embaume les espoirs d’une armée qui halète Le Loriot chante N’est-ce pas rigolo Enfin une plume d’épervier
Echelon Au marl logis chef Piot Grenouilles et rainettes Crapauds & Crapoussins Ascèse sous les peupliers et les frênes La reine des prés va fleurir Une petite hutte dans la forêt Là-bas plus blanche est la blessure [à gauche, verticalement] On tire contre avions Verdun [au centre] Le Ciel Coquelicots Flacon au col d’or On a pendu la mort à la lisière du bois On a pendu la mort Et ses beaux seins dorés Se montrent tour à tour O rose toujours vive O France [à droite, verticalement] L’orvet Le sac à malice La trousse à boutons Embaume les espoirs d’une armée qui halète Le Loriot chante N’est-ce pas rigolo Enfin une plume d’épervier
Allons plus vite Et le soir vient et les lys meurent Regarde ma douleur beau ciel qui me l’envoyes une nuit de mélancolie Enfant souris ô sœur écoute Pauvres marchez sur la grand route O menteuse forêt qui surgis à ma voix Les flammes qui brûlent les âmes Sur le Boulevard de Grenelle Les ouvriers et les patrons Arbres de mai cette dentelle ne fais donc pas le fanfaron Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite Tous les poteaux télégraphiques Viennent là-bas le long du quai Sur son sein notre République A mis ce bouquet de muguet qui poussait drû le long du quai Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite La bouche en cœur Pauline honteuse Les ouvriers et les patrons Oui-dà oui-dà belle endormeuse Ton frère Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite GUILLAUME APOLLINAIRE
Deux fusants — rose éclatement, comme deux seins que l’on dégrafe tendent leurs bouts insolemment.
Ma bouche à tes seins blancs comme des petits suisses Fera l’honneur abject des suçons sans venin.
Ma bouche à tes seins blancs comme de petits suisses Fera l’honneur abject des suçons sans venin.
Fusée La boucle des cheveux noirs de ta nuque est mon trésor Ma pensée te rejoint et la tienne la croise * * * Tes seins sont les seuls obus que j’aime Ton souvenir est la lanterne de repérage qui nous sert à pointer la nuit * * * En voyant la large croupe de mon cheval j’ai pensé à tes hanches * * * Voici les fantassins qui s’en vont à l’arrière en lisant un journal * * * Le chien du brancardier revient avec une pipe dans sa gueule * * * Un chat-huant aile fauve yeux ternes gueule de petit chat et pattes de chat * * * Une souris verte file parmi la mousse * * * Notre amour est un sous les étoiles * * * Le riz a brûlé dans la marmite du campement Ça signifie qu’il faut prendre garde à bien des choses * * * Le mégaphone crie « allongez le tir » * * * Allongez le tir amour de vos batteries * * * Balance des batteries lourdes cymbales qu’agitent les chérubins fous d’amour En l’honneur du Dieu des armées * * * Un arbre dépouillé sur une butte * * * Le bruit des tracteurs qui grimpent dans la vallée * * * O vieux monde du XIX e siècle plein de hautes cheminées si belles et si pures * * * Virilités du siècle où nous sommes O canons * * * Douilles éclatantes des obus de 75 carillonnez pieusement Guillaume Apollinaire
Dans le jardin d’Anna Certes si nous avions vécu en l’an dix-sept cent soixante Est-ce bien la date que vous déchiffrez Anna sur ce banc de pierre Et que par malheur j’eusse été allemand Mais que par bonheur j’eusse été près de vous Nous aurions parlé d’amour de façon imprécise Presque toujours en français Et pendue éperdument à mon bras Vous m’auriez écouté vous parler de Pythagoras En pensant aussi au café qu’on prendrait Dans une demi-heure Et l’automne eût été pareil à cet automne Que l’épine-vinette et les pampres couronnent Et brusquement parfois j’eusse salué très bas De nobles dames grasses et langoureuses J’aurais dégusté lentement et tout seul Pendant de longues soirées Le tokay épais ou la malvoisie J’aurais mis mon habit espagnol Pour aller sur la route par laquelle Arrive dans son vieux carrosse Ma grand’mère qui se refuse à comprendre l’allemand J’aurais écrit des vers pleins de mythologie Sur vos seins la vie champêtre et sur les dames Des alentours J’aurais souvent cassé ma canne Sur le dos d’un paysan J’aurais aimé entendre de la musique en mangeant Du jambon J’aurais juré en allemand je vous le jure Lorsque vous m’auriez surpris embrassant à pleine bouche Cette servante rousse Vous m’auriez pardonné dans le bois aux myrtilles J’aurais fredonné un moment Puis nous aurions écouté longtemps les bruits du crépuscule
Les destins Rient dans les moissons d’or et dans le sein des mères.
Chevaux de frise Pendant le blanc et nocturne novembre Alors que les arbres déchiquetés par l’artillerie Vieillissaient encore sous la neige Et semblaient à peine des chevaux de frise Entourés de vagues de fils de fer Mon cœur renaissait comme un arbre au printemps Un arbre fruitier sur lequel s’épanouissent Les fleurs de l’amour Pendant le blanc et nocturne novembre Tandis que chantaient épouvantablement les obus Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient Leurs mortelles odeurs Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine La neige met de pâles fleurs sur les arbres Et toisonne d’hermine les chevaux de frise Que l’on voit partout Abandonnés et sinistres Chevaux muets Non chevaux barbes mais barbelés Et je les anime tout soudain En troupeau de jolis chevaux pies Qui vont vers toi comme de blanches vagues Sur la Méditerranée Et t’apportent mon amour Rose lys ô panthère ô colombes étoile bleue ô Madeleine Je t’aime avec délices Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches Si je pense à ta bouche les roses m’apparaissent Si je songe à tes seins le Paraclet descend O double colombe de ta poitrine Et vient délier ma langue de poète Pour te redire je t’aime Ton visage est un bouquet de fleurs Aujourd’hui je te vois non Panthère mais Toutefleur Et je te respire ô ma Toutefleur Tous les lys montent en toi comme des cantiques d’amour et d’allégresse Et ces chants qui s’envolent vers toi M’emportent à ton côté Dans ton bel Orient où les lys Se changent en palmiers qui de leurs belles mains Me font signe de venir La fusée s’épanouit fleur nocturne Quand il fait noir Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses De larmes heureuses que la joie fait couler Et je t’aime comme tu m’aimes Madeleine Novembre 1915
Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier Auprès des canons gris voilés tournés vers le nord Que je songe au village africain Où l’on dansait où l’on chantait Où l’on faisait l’amour Et de longs discours Nobles et joyeux Je revois mon père qui se battit Contre les Achantis au service des Anglais Caresser les seins durs comme des obus De ma sœur au rire en folie Et je revois Ma mère la sorcière qui seule du village Méprisait le sel Piler le millet dans un mortier En regardant mon frère bercer Sa superbe virilité Qui semblait un petit enfant Je me souviens du si délicat si inquiétant Fétiche dans l’arbre Et du double fétiche de la fécondité Plus tard une tête coupée Au bord d’un marécage O pâleur de mon ennemi C’était une tête d’argent Et dans le marais C’était la lune qui luisait C’était donc une tête d’argent Là-haut c’était la lune qui dansait C’était donc une tête d’argent Et moi dans l’ombre j’étais invisible C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde Similitudes pâleurs Et ma sœur plus tard Suivit un tirailleur Mort à Arras Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l’évêque Si doux si doux avec ma mère De beurre de beurre avec ma sœur C’était dans une petite cabane Moins sauvage que notre Cagnat de Canonniers servants J’ai connu l’affût au bord des marécages Où la girafe boit les jambes écartées J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste Le Village Viole les femmes Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute J’ai porté l’administrateur des semaines De village en village En chantonnant Et je fus domestique à Paris Je ne sais pas mon âge Mais au recrutement On m’a donné vingt ans Je suis soldat français on m’a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir Pourquoi ne pas danser et discourir Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses Sous la tempête de feux métalliques Je me souviens d’un lac affreux Une nuit folle Une nuit de sorcellerie Et de couples enchaînés par un atroce amour
Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier Auprès des canons gris voilés tournés vers le nord Que je songe au village africain Où l’on dansait où l’on chantait Où l’on faisait l’amour Et de longs discours Nobles et joyeux Je revois mon père qui se battit Contre les Achantis au service des Anglais Caresser les seins durs comme des obus De ma sœur au rire en folie Et je revois Ma mère la sorcière qui seule du village Méprisait le sel Piler le millet dans un mortier En regardant mon frère bercer Sa superbe virilité Qui semblait un petit enfant Je me souviens du si délicat si inquiétant Fétiche dans l’arbre Et du double fétiche de la fécondité Plus tard une tête coupée Au bord d’un marécage O pâleur de mon ennemi C’était une tête d’argent Et dans le marais C’était la lune qui luisait C’était donc une tête d’argent Là-haut c’était la lune qui dansait C’était donc une tête d’argent Et moi dans l’ombre j’étais invisible C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde Similitudes pâleurs Et ma sœur plus tard Suivit un tirailleur Mort à Arras Si je voulais savoir mon âge Il faudrait le demander à l’évêque Si doux si doux avec ma mère De beurre de beurre avec ma sœur C’était dans une petite cabane Moins sauvage que notre Cagnat de Canonniers servants J’ai connu l’affût au bord des marécages Où la girafe boit les jambes écartées J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste Le Village Viole les femmes Emmène les filles Et les garçons dont la croupe dure sursaute J’ai porté l’administrateur des semaines De village en village En chantonnant Et je fus domestique à Paris Je ne sais pas mon âge Mais au recrutement On m’a donné vingt ans Je suis soldat français on m’a blanchi du coup Secteur 59 je ne peux pas dire où Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir Pourquoi ne pas danser et discourir Manger et puis dormir Et nous tirons sur les ravitaillements boches Ou sur les fils de fer devant les bobosses Sous la tempête de feux métalliques Je me souviens d’un lac affreux Une nuit folle Une nuit de sorcellerie Et de couples enchaînés par un atroce amour