/ 14
2. (1909) Le Départ « Le Départ ») »

O douce Vie, ô doux Amour que je rebute Tendresse du Printemps qui me fait défaillir, Un vol d’oiseaux divins monte comme un soupir Dans le firmament clair de mes pures disputes.

3. (1912) Le Voyageur « Le Voyageur »

Les cyprès projetaient sous la lune leurs ombres ; J’écoutais cette nuit, au déclin de l’été, Un oiseau langoureux et toujours irrité Et le bruit éternel d’un fleuve large et sombre Mais tandis que, mourants, roulaient vers l’estuaire Tous les regards, tous les regards de tous les yeux Les bords étaient déserts, herbus, silencieux Et la montagne à l’autre rive était très claire. […] Les ombres, contre le mont perpendiculaire, Grandissaient ou parfois s’abaissaient brusquement, Et ces ombres barbues pleuraient humainement En glissant pas à pas sur la montagne claire.

4. (1913) Le Brasier - III « Le Brasier »

Les acteurs inhumains, claires bêtes nouvelles, Donnent des ordres aux hommes apprivoisés O Déchirée que les fleuves ont reprisée.

5. (1915) Le Repas « Le Repas »

Le Repas Il n’y a que la mère et les deux fils           Tout est ensoleillé           La table est ronde Dérrière la chaise où s’assied la mère           Il y a la fenêtre           Briller sous le soleil Les caps aux feuillages sombres des pins et des oliviers              Et plus près les villas aux toits rouges Aux toits rouges où fument les cheminées              Car c’est l’heure du repas              Tout est ensoleillé              Et sur la nappe glacée              La bonne affairée              Dépose un plat fumant           Le repas n’est pas une action vile Et tous les hommes devraient avoir du pain La mère et les deux fils mangent et parlent Et des chants de gaîté accompagnent le repas Les bruits joyeux des fourchettes et des assiettes Et le son clair du cristal et des verres Par la fenêtre ouverte viennent les chants des oiseaux              Dans les citronniers              Et de la cuisine arrive La chanson vive du beurre sur le feu Un rayon traverse un verre presque plein de vin mélangé d’eau Oh !

6. (1917) Le Dépôt « Le Dépôt »

Le Dépôt Je me suis engagé sous le plus beau des cieux Dans Nice la Marine au nom victorieux Perdu parmi 900 conducteurs anonymes Je suis un charretier du neuf charroi de Nîmes L’Amour dit Reste ici mais là-bas les obus Epousent ardemment et sans cesse les buts J’attends que le printemps commande que s’en aille Vers le nord glorieux l’intrépide bleusaille Les 3 servants assis dodelinent leurs fronts Où brillent leurs yeux clairs comme mes éperons Un bel après-midi de garde à l’écurie J’entends sonner les trompettes d’artillerie J’admire la gaîté de ce détachement Qui va rejoindre au front notre beau régiment Le territorial se mange une salade A l’anchois en parlant de sa femme malade 4 pointeurs fixaient les bulles des niveaux Qui remuaient ainsi que les yeux des chevaux Le bon chanteur Girault nous chante après 9 heures Un grand air d’opéra toi l’écoutant tu pleures Je flatte de la main le petit canon gris Gris comme l’eau de Seine et je songe à Paris Mais ce pâle blessé m’a dit à la cantine Des obus dans la nuit la splendeur argentine Je mâche lentement ma portion de bœuf Je me promène seul le soir de 5 à 9 Je selle mon cheval nous battons la campagne Je te salue au loin belle rose ô tour Magne Décembre 1914

7. (1902) Élégie du voyageur aux pieds blessés « Élégie du voyageur aux pieds blessés »

Tue les dieux nés de nos clairs yeux Et dans nos âmes ; le sang pieux De tes pieds console les dieux.

8. (1909) [« Beaucoup de ces dieux ont péri »] « [« Beaucoup de ces dieux ont péri »] »

Dans les jardins et les vergers Les oiseaux chantent sur les branches, Le printemps clair, l’avril léger. […] … Sept épées de mélancolie Sans morfil, ô claires douleurs, Sont dans mon cœur et la folie Veut raisonner pour mon malheur, Comment voulez-vous que j’oublie ?

9. (1907) Le Pyrée « Le Pyrée »

Des acteurs inhumains, claires bêtes nouvelles, Donnent des ordres aux hommes apprivoisés O Déchirée que les fleuves ont reprisée.

10. (1912) Le Brasier « Le Brasier »

Les acteurs inhumains, claires bêtes nouvelles, Donnent des ordres aux hommes apprivoisés,                                              O Terre, O Déchirée que les fleuves ont reprisée.

11. (1909) L'Obituaire « L’Obituaire »

la bague était brisée, Que s’ils étaient d’argent ou d’or, D’émeraude ou de diamant, Seront plus clairs, plus clairs encore, Que les astres du firmament, Que la lumière de l’aurore, Que vos regards mon fiancé, Auront meilleure odeur encore, Hélas !

12. (1912) La Maison des morts « La Maison des Morts »

la bague était brisée, Que s’ils étaient d’argent ou d’or, D’émeraude ou de diamant, Seront plus clairs, plus clairs encore, Que les astres du firmament, Que la lumière de l’aurore, Que vos regards mon fiancé, Auront meilleure odeur encore, Hélas !

13. (1914) Un fantôme de nuées « Un fantôme de nuées »

Un fantôme de nuées   Comme c’était la veille du quatorze Juillet Vers les quatre heures de l’après-midi Je descendis dans la rue pour aller voir les saltimbanques Ces gens qui font des tours en plein air Commencent à être rares à Paris Dans ma jeunesse on en voyait beaucoup plus qu’aujourd’hui Ils s’en sont allés presque tous en province Je pris le boulevard Saint-Germain Et sur une petite place située entre Saint-Germain-des-Prés et la statue de Danton Je rencontrai les saltimbanques La foule les entourait muette et résignée à attendre Je me fis une place dans ce cercle afin de tout voir Poids formidables Villes de Belgique soulevées à bras tendus par un ouvrier russe de Longwy Haltères noirs et creuses qui ont pour tige un fleuve figé Doigts roulants une cigarette amère et délicieuse comme ta vie De nombreux tapis usés couvraient le sol Tapis qui ont des plis qu’on ne défera pas Tapis qui sont presque entièrement couleur de la poussière Et où quelques taches jaunes ou vertes ont persisté Comme un air de musique qui vous poursuit Vois-tu le personnage maigre et sauvage La cendre de ses frères lui sortait en barbe grisonnante Il portait ainsi toute son hérédité au visage Il semblait rêver à l’avenir En tournant machinalement un orgue de Barbarie Dont la lente voix se lamentait merveilleusement Les glouglous les couacs et les sourds gémissements Les saltimbanques ne bougeaient pas Le plus vieux avait un maillot de ce rose violâtre qu’ont aux joues certaines jeunes filles actives mais près de la mort Ce rose là se niche surtout dans les plis qu’entourent souvent leur bouche Ou près des narines C’est un rose plein de traitrise Cet homme portait-il ainsi sur le dos La teinte ignoble de ses poumons Les bras, les bras partout montaient la garde Le second saltimbanque N’était vêtu que de son ombre Je le regardai longtemps Son visage m’échappe entièrement C’est un homme sans tête Un autre enfin avait l’air d’un voyou D’un apache bon et crapule à la fois     Avec son pantalon bouffant et les accroche-chaussettes N’aurait-il pas eu l’apparence d’un maquereau à sa toilette La musique se tut et ce furent des pourparlers avec le public Qui sou à sou jeta sur le tapis la somme de deux francs cinquante Au lieu des trois francs que le vieux avait fixé comme prix des tours Mais quand il fut clair que personne ne donnerait plus rien On se décida à commencer la séance De dessous de l’orgue sortit un tout petit saltimbanque habillé de rose pulmonaire Avec de la fourrure aux poignets et aux chevilles Il poussait des cris brefs Et saluait en écartant gentiment les avant-bras Mains ouvertes Une jambe en arrière prête à la génuflexion Il salua ainsi aux quatre points cardinaux Et quand il marcha sur une boule Son corps mince devint une musique si délicate que nul parmi les spectateurs n’y fut insensible Cher petit esprit sans aucune humanité Pensa chacun Et cette musique des formes Détruisit celle de l’orgue mécanique Que moulait l’homme au visage couvert d’ancêtres Le petit saltimbanque fit la roue Avec tant d’audacieuse harmonie Que l’orgue cessa de jouer Et que l’organiste se cacha le visage dans les mains Aux doigts semblables aux descendants de son destin Fœtus minuscules qui lui sortaient de la barbe Nouveau cri de Peau-Rouge Musique angélique des arbres Disparition de l’enfant Les saltimbanques soulevèrent les grosses haltères à bout de bras Ils jonglèrent avec les poids Mais chaque spectateur cherchait en soi l’enfant miraculeux Siècle ô siècle des nuages     Guillaume Apollinaire.

14. (1913) Un fantôme de nuées « Un fantôme de nuées »

Mais, quand il fut clair que personne ne donnerait plus rien, On se décida à commencer la séance.

/ 14