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2. (1901) Épousailles « Épousailles »

L’amour a épousé l’absence, un soir d’été ; Si bien que mon amour pour votre adolescence Accompagne à pas lents sa femme, votre absence, Qui, très douce, le mène et, tranquille, se tait.

3. (1909) Enfance « Enfance »

Enfance Au jardin des cyprès, je filais en rêvant, Suivant longtemps des yeux les flocons que le vent Prenait à ma quenouille, ou bien par les allées Jusqu’au bassin mourant que pleurent les saulaies Je marchais à pas lents, m’arrêtant aux jasmins, Me grisant du parfum des lys, tendant les mains Vers les iris fées gardés par les grenouilles.

4. (1902) Les Colchiques « Les Colchiques »

Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne.

5. (1912) Nuit rhénane « Nuit rhénane »

Ecoutez la chanson lente d’un batelier Qui raconte avoir vu, sous la lune, sept femmes Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds.

6. (1912) Les Colchiques « Les Colchiques »

Le gardien du troupeau chantonne en allemand, Tandis que lentes et meuglant, les vaches abandonnent Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne.

7. (1912) Le pont Mirabeau « Le Pont Mirabeau »

L’amour s’en va comme cette eau courante, L’amour s’en va ; comme la vie est lente Et comme l’Espérance est violente !

8. (1916) Epître à Léo Larguier, caporal-brancardier, en réponse à la sienne « Epître à Léo Larguier, caporal-brancardier, en réponse à la sienne »

Ici la fraise est rouge et les lilas sont morts, La couleuvre se love en la paille où je dors Quand s’éveille la nuit la Champagne Tonnante, La nuit quand les convois traînent leur rumeur lente A travers la Champagne où tonnent nos canons Et les flacons ambrés…                                       Et si nous revenons, Dieu !

9. (1916) Epître à Léo Larguier, caporal-brancardier, en réponse à la sienne « Epître à Léo Larguier, caporal-brancardier, en réponse à la sienne »

Ici la fraise est rouge et les lilas sont morts, La couleuvre se love en la paille où je dors Quand s’éveille la nuit la Champagne Tonnante, La nuit quand les convois traînent leur rumeur lente A travers la Champagne où tonnent nos canons Et les flacons ambrés…                                    Et si nous revenons, Dieu !

10. (1905) L’Émigrant de Landor Road « L’Émigrant de Landor Road »

Intercalées dans l’an, c’étaient les journées veuves, Les vendredis sanglants et lents d’enterrements, Des blancs et de tout noirs, vaincus des cieux qui pleuvent, Quand la femme du diable a battu son amant.

11. (1912) L’Émigrant de Landor Road « L’Émigrant de Landor Road »

Intercalées dans l’an, c’étaient les journées veuves, Les vendredis sanglants et lents d’enterrements.

12. (1914) Un fantôme de nuées « Un fantôme de nuées »

Un fantôme de nuées   Comme c’était la veille du quatorze Juillet Vers les quatre heures de l’après-midi Je descendis dans la rue pour aller voir les saltimbanques Ces gens qui font des tours en plein air Commencent à être rares à Paris Dans ma jeunesse on en voyait beaucoup plus qu’aujourd’hui Ils s’en sont allés presque tous en province Je pris le boulevard Saint-Germain Et sur une petite place située entre Saint-Germain-des-Prés et la statue de Danton Je rencontrai les saltimbanques La foule les entourait muette et résignée à attendre Je me fis une place dans ce cercle afin de tout voir Poids formidables Villes de Belgique soulevées à bras tendus par un ouvrier russe de Longwy Haltères noirs et creuses qui ont pour tige un fleuve figé Doigts roulants une cigarette amère et délicieuse comme ta vie De nombreux tapis usés couvraient le sol Tapis qui ont des plis qu’on ne défera pas Tapis qui sont presque entièrement couleur de la poussière Et où quelques taches jaunes ou vertes ont persisté Comme un air de musique qui vous poursuit Vois-tu le personnage maigre et sauvage La cendre de ses frères lui sortait en barbe grisonnante Il portait ainsi toute son hérédité au visage Il semblait rêver à l’avenir En tournant machinalement un orgue de Barbarie Dont la lente voix se lamentait merveilleusement Les glouglous les couacs et les sourds gémissements Les saltimbanques ne bougeaient pas Le plus vieux avait un maillot de ce rose violâtre qu’ont aux joues certaines jeunes filles actives mais près de la mort Ce rose là se niche surtout dans les plis qu’entourent souvent leur bouche Ou près des narines C’est un rose plein de traitrise Cet homme portait-il ainsi sur le dos La teinte ignoble de ses poumons Les bras, les bras partout montaient la garde Le second saltimbanque N’était vêtu que de son ombre Je le regardai longtemps Son visage m’échappe entièrement C’est un homme sans tête Un autre enfin avait l’air d’un voyou D’un apache bon et crapule à la fois     Avec son pantalon bouffant et les accroche-chaussettes N’aurait-il pas eu l’apparence d’un maquereau à sa toilette La musique se tut et ce furent des pourparlers avec le public Qui sou à sou jeta sur le tapis la somme de deux francs cinquante Au lieu des trois francs que le vieux avait fixé comme prix des tours Mais quand il fut clair que personne ne donnerait plus rien On se décida à commencer la séance De dessous de l’orgue sortit un tout petit saltimbanque habillé de rose pulmonaire Avec de la fourrure aux poignets et aux chevilles Il poussait des cris brefs Et saluait en écartant gentiment les avant-bras Mains ouvertes Une jambe en arrière prête à la génuflexion Il salua ainsi aux quatre points cardinaux Et quand il marcha sur une boule Son corps mince devint une musique si délicate que nul parmi les spectateurs n’y fut insensible Cher petit esprit sans aucune humanité Pensa chacun Et cette musique des formes Détruisit celle de l’orgue mécanique Que moulait l’homme au visage couvert d’ancêtres Le petit saltimbanque fit la roue Avec tant d’audacieuse harmonie Que l’orgue cessa de jouer Et que l’organiste se cacha le visage dans les mains Aux doigts semblables aux descendants de son destin Fœtus minuscules qui lui sortaient de la barbe Nouveau cri de Peau-Rouge Musique angélique des arbres Disparition de l’enfant Les saltimbanques soulevèrent les grosses haltères à bout de bras Ils jonglèrent avec les poids Mais chaque spectateur cherchait en soi l’enfant miraculeux Siècle ô siècle des nuages     Guillaume Apollinaire.

13. (1913) Un fantôme de nuées « Un fantôme de nuées »

Il semblait rêver à l’avenir En tournant machinalement un orgue de Barbarie Dont la lente voix se lamentait merveilleusement, Les glouglous, les couacs et les sourds gémissements.

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