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2. (1911) Marie « Marie »

Marie                    Vous y dansiez petite fille                    Y danserez-vous mère grand                    C’est la Marlotte qui sautille                    Toutes les cloches sonneront                    Quand donc reviendrez-vous Marie                    Les masques sont silencieux                    Et la musique est si lointaine                    Qu’elle semble venir des cieux Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine                    Et mon mal est délicieux                    Les brebis s’en vont dans la neige                    Flocons de laine et ceux d’argent                    Des soldats passent et que n’ai-je                    Un cœur à moi ce cœur changeant                    Changeant et puis encor que sais-je                    Sais-je où s’en iront tes cheveux                    Crêpus comme mer qui moutonne                    Sais-je où s’en iront tes cheveux                    Et tes mains feuilles de l’automne                    Que jonchent aussi nos aveux                    Je passais au bord de la Seine                    Un livre ancien sous le bras                    Le fleuve est pareil à ma peine                    Il s’écoule et ne tarit pas                    Quand donc finira la semaine

3. (1912) Marie « Marie »

              Le fleuve est pareil à ma peine,               Il s’écoule et ne tarit pas               Quand donc finira la semaine !

4. (1914) Tour de Pise « Tour de Pise »

Tour de Pise Les dames pisanes sont descendues rêver Dans leurs vergers où palpitent des lucioles Et derrière les murs des flûtes des violes Disent l’amour perdu que l’on veut retrouver Puis quand les inconnus ont évoqué leur peine Ou qu’ils s’en vont à l’heure où doit passer le guet Avec ses vingt lueurs et son cri fatigué Elles ont peur de l’ombre et de l’heure prochaine De l’ombre où jusqu’au jour les lucioles sont Les larmes d’un regret ardent comme une flamme Tandis que vous sentez dans la nuit de votre âme Des violes d’amour vibrer le dernier son Et l’heure va venir ô belles délicates Ne sera-ce pas l’heure enfin d’avoir sommeil Quand passera le guet avec son cri pareil Aux plaintes de l’amour qui vous rendit ingrates Alors sur les perrons en écoutant mourir La source qui languit les Pisanes penchées Comme leur Tour et par la mort effarouchées Attendent cependant l’amour qui va venir.

5. (1917) Sanglots « Sanglots »

Sanglots                         Notre amour est réglé par les calmes étoiles                         Or nous savons qu’en nous beaucoup d’hommes respirent                         Qui vinrent de très loin et sont un sous nos fronts C’est la chanson des rêveurs Qui s’étaient arraché le cœur Et le portaient dans la main droite                         Souviens-t’en cher orgueil de tous ces souvenirs                         Des marins qui chantaient comme des conquérants                          Des gouffres de Thulé des tendres cieux d’ Ophir                         Des malades maudits de ceux qui fuient leur ombre                         Et du retour joyeux des heureux émigrants De ce cœur il coulait du sang Et le rêveur allait pensant A sa blessure délicate                         Tu ne briseras pas la chaîne de ces causes Et douloureuse et nous disait                         qui sont les effets d’autres causes Mon pauvre cœur mon cœur brisé Pareil au cœur de tous les hommes                         Voici voici nos mains que la vie fit esclaves Est mort d’amour ou c’est tout comme Est mort d’amour et le voici                 Ainsi vont toutes choses Arrachez donc le vôtre aussi                         Et rien ne sera libre jusqu’à la fin des temps                         Laissons tout aux morts                         Et cachons nos sanglots GUILLAUME APOLLINAIRE

6. (1905) Le Mendiant « Le Mendiant »

Le Mendiant Passant, tu chercheras dans l’ombre cimmérienne Mon fantôme pareil à la réalité, Mais le passeur aura voué mon corps aux chiennes, Mon spectre juste aux gueules du tricapité Et me tenant au bord du fleuve sur qui volent Les obscures migrations des oiseaux blancs Je me lamenterai faute de ton obole Au passage des riches comme moi tremblants.

7. (1913) Dans le jardin d’Anna « Dans le jardin d’Anna »

Dans le jardin d’Anna Certes si nous avions vécu en l’an dix-sept cent soixante Est-ce bien la date que vous déchiffrez Anna sur ce banc de pierre Et que par malheur j’eusse été allemand Mais que par bonheur j’eusse été près de vous Nous aurions parlé d’amour de façon imprécise Presque toujours en français Et pendue éperdument à mon bras Vous m’auriez écouté vous parler de Pythagoras En pensant aussi au café qu’on prendrait Dans une demi-heure Et l’automne eût été pareil à cet automne Que l’épine-vinette et les pampres couronnent Et brusquement parfois j’eusse salué très bas De nobles dames grasses et langoureuses J’aurais dégusté lentement et tout seul Pendant de longues soirées Le tokay épais ou la malvoisie J’aurais mis mon habit espagnol Pour aller sur la route par laquelle Arrive dans son vieux carrosse Ma grand’mère qui se refuse à comprendre l’allemand J’aurais écrit des vers pleins de mythologie Sur vos seins la vie champêtre et sur les dames Des alentours J’aurais souvent cassé ma canne Sur le dos d’un paysan J’aurais aimé entendre de la musique en mangeant Du jambon J’aurais juré en allemand je vous le jure Lorsque vous m’auriez surpris embrassant à pleine bouche Cette servante rousse Vous m’auriez pardonné dans le bois aux myrtilles J’aurais fredonné un moment Puis nous aurions écouté longtemps les bruits du crépuscule

8. (1905) Dans le palais de Rosemonde « Dans le Palais de Rosemonde »

Ses petits yeux tout ronds, pareils aux yeux des Huns.

9. (1914) Le Musicien de Saint-Merry « Le Musicien de Saint-Merry »

Ariane Il jouait de la flûte et la musique dirigeait ses pas Il s’arrêta au coin de la rue Saint-Martin Jouant l’air que je chante et que j’ai inventé Les femmes qui passaient s’arrêtaient près de lui Il en venait de toutes parts Lorsque tout à coup les cloches de Saint-Merry se mirent à sonner Le musicien cessa de jouer et but à la fontaine Qui se trouve au coin de la rue Simon-le-Franc Puis saint-Merry se tut et l’inconnu reprenant son air de flûte Revint sur ses pas marcha jusqu’à la rue de la Verrerie Où il entra suivi par la troupe des femmes Qui sortaient des maisons Qui venaient par les rues traversières les yeux fous Les mains tendues vers le mélodieux ravisseur Il s’en allait indifférent jouant son air Il s’en allait terriblement Puis ailleurs A quelle heure un train partira-t-il pour Paris A ce moment Ces pigeons des Moluques fientaient des noix muscades En même temps Mission catholique de Bôma qu’as-tu fait du sculpteur Ailleurs Elle traverse le pont qui relie Bonn à Beuel et disparait à travers Pützchen Au même instant Une jeune fille amoureuse du maire Dans un autre quartier Rivalise donc poète avec les étiquettes des parfumeurs En somme rieurs vous n’avez pas tiré grand chose des hommes Et à peine avez-vous extrait un peu de graisse de leur misère Mais nous qui mourons de vivre loin l’un de l’autre Tendons nos bras et sur ces rails roule un long train de marchandises Tu pleurais assise près de moi au fond d’un fiacre Et maintenant Tu me ressembles tu me ressembles malheureusement Nous nous ressemblons comme dans l’architecture du siècle dernier Ces hautes cheminées pareilles à des tours Nous allons plus haut maintenant et ne touchons plus le sol Et tandis que le monde vivait et variait Le cortège des femmes long comme un jour sans pain Suivait dans la rue de la Verrerie l’heureux musicien Cortèges ô cortèges C’est quand jadis le roi s’en allait à Vincennes Quand les ambassadeurs arrivaient à Paris Quand le maigre Suger se hâtait vers la Seine Quand l’émeute mourait autour de Saint-Merry Cortèges ô cortèges Les femmes débordaient tant leur nombre était grand Dans toutes les rues avoisinantes Et se hâtaient raides comme balle Afin de suivre le musicien Ah!

10. (1908) Fiançailles « Fiançailles »

L’un est pareil aux montagnes, au ciel, Aux villes, à mon amour.

11. (1909) L'Obituaire « L’Obituaire »

A l’intérieur de ses vitrines Pareilles à celles des boutiques de modes, Au lieu de sourire debout, Les mannequins grimaçaient pour l’éternité.

12. (1912) La Maison des morts « La Maison des Morts »

La Maison des Morts S’étendant sur les côtés du cimetière, La Maison des Morts l’encadrait comme un cloître A l’intérieur de ses vitrines Pareilles à celles des boutiques de modes, Au lieu de sourire debout, Les mannequins grimaçaient pour l’éternité.

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