Le Voyage du Kabyle Belle couleur du Pobiron [à droite, verticalement de gauche à droite] il n’écoute pas il marche vite et chacun danse à sa manière lorsque la journée est belle [à droite, verticalement de droite à gauche] Ordres de Bourse Dans l’Ombre ou bien dans la lumière Jusqu’au faux pas pis qu’au trépas Des doigts d’ivoire mourir sur des tombes jaunies il est des jours où j’aime où j’aime il est des jours où je désaime Dans la fumée d’un cigare j’ai vu des mondes des moustres des spirales La boite d’allumettes Et vous monsieur Bichon Les râles des mourants Mourant dans leurs maisons En automne avec les feuilles immences du silence Demain douteux demain [à gauche, verticalement de droite à gauche] quelques oranges [à droite, verticalement de droite à gauche] DANS LE JARDIN Et nous n’avons rien dit extase d’anges claquants des dents De loin un doigt levé Jamais Dormons Dormez Guillaume Apollinaire
[Calligramme (jet d’eau)] [jet d’eau] la lune ardente et toujours neuve un bouton de rose doux comme un papillon comme une fleur mourant entre les mains d’un soldat blessé un jet d’eau la queue d’un paon un soir de neige ciel constellé un bombardement un matin à New York les lucioles et tous les souvenirs O quel bonheur que ce bleu ne soit pas mort encore
Enfance Au jardin des cyprès, je filais en rêvant, Suivant longtemps des yeux les flocons que le vent Prenait à ma quenouille, ou bien par les allées Jusqu’au bassin mourant que pleurent les saulaies Je marchais à pas lents, m’arrêtant aux jasmins, Me grisant du parfum des lys, tendant les mains Vers les iris fées gardés par les grenouilles.
La chèvre a regardé les hameaux qui défaillent A l’heure où fatigués les hommes qui travaillent Au verger pâle, au bois plaintif ou dans le champ En rentrant tourneront leurs faces au couchant Embaumé par les foins d’occidental cinname, Au couchant, où sanglant et rond comme mon âme Le grand soleil payen fait mourir en mourant Avec les bourgs lointains, le Christ indifférent.
La chèvre a regardé les hameaux qui défaillent A l’heure où, fatigués, les hommes qui travaillent Au verger pâle, au bois plaintif ou dans le champ, En rentrant tourneront leurs faces au couchant Embaumé par les foins d’occidental cinname, Au couchant où, sanglant et rond comme mon âme, Le grand soleil païen fait mourir, en mourant, Avec les bourgs lointains, le christ indifférent.
La table et les deux verres devinrent un mourant qui nous jeta le dernier regard d’Orphée. […] Je le revis, près d’un moujik mourant, compter les béatitudes En admirant la neige semblable aux femmes nues. […] Réjouissons-nous non pas parce que notre amitié a été le fleuve qui nous a fertilisés, Terrains riverains dont l’abondance est la nourriture que tous espèrent, Ni : parce que nos verres nous jettent encore une fois le regard d’Orphée mourant, Ni : parce que nous avons tant grandi que beaucoup pourraient confondre nos yeux et les étoiles, Ni : parce que les drapeaux claquent aux fenêtres des citoyens qui sont contents depuis cent ans d’avoir la vie et de menues choses à défendre, Ni : parce que fondés en poésie nous avons des droits sur les paroles qui forment et défont l’univers, Ni : parce que nous pouvons pleurer sans ridicule et que nous savons rire, Ni : parce que nous fumons et buvons comme autrefois.
Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés, Deux matelots qui ne s’étaient jamais parlé, Le plus jeune en mourant tomba sur le côté. […] Les cyprès projetaient sous la lune leurs ombres ; J’écoutais cette nuit, au déclin de l’été, Un oiseau langoureux et toujours irrité Et le bruit éternel d’un fleuve large et sombre Mais tandis que, mourants, roulaient vers l’estuaire Tous les regards, tous les regards de tous les yeux Les bords étaient déserts, herbus, silencieux Et la montagne à l’autre rive était très claire.
L’Ignorance Icare Soleil je suis jeune et c’est à cause de toi Mon ombre pour être fauste je l’ai jetée Pardon je ne fais pas plus d’ombre qu’une étoile Je suis le seul qui pense dans l’immensité Mon père m’apprit les détours du labyrinthe Et la science de la terre et puis mourut Et depuis j’ai scruté longtemps la vieille crainte Du ciel mobile et me suis nourri d’herbes crues Les oracles c’est vrai désapprouvaient ce zèle Mais nul dieu pour tout dire n’est intervenu Et pieux j’ai peiné pour achever les ailes Qu’un peu de cire fixe à mes épaules nues Et j’ai pris mon essor vers ta face splendide Les horizons terrestres se sont étalés Des déserts de Lybie aux palus méotides Et des sources du Nil aux brumes de Thulé Soleil je viens caresser ta face splendide Et veux fixer ta flamme unique aveuglément Icare étant céleste est plus divin qu’Alcide Et son bûcher sera ton éblouissement Pâtres Je vois un dieu oblong flotter sous le soleil Puisse le premier dieu visible s’en aller Et si c’était un dieu mourant cette merveille Prions qu’il tombe ailleurs que dans notre vallée Icare Pour éviter la Nuit ta mère incestueuse Dieu circulaire et bon je flotte entre les nues Loin de la terre où luit ta fille ténébreuse La Nuit cette inconnue parmi les inconnus Et je vivrai par ta chaleur et d’espérance Mais ton amour soleil brûle divinement Mon corps qu’être divin voulut mon ignorance Et ciel Humains je tourne en l’éblouissement Bateliers Un dieu choît dans la mer un dieu nu les mains vides Au semblant des noyés il ira sur une île Pourrir face tournée vers le soleil splendide Deux ailes feuillolent sous le ciel d’Ionie.
Près d’un château sans châtelaine, La barque aux barcarols chantants, Sur un lac blanc et sous l’haleine Des vents qui tremblent au printemps Voguait, cygne mourant, sirène.
Merveille de la guerre Que c’est beau ces fusées qui illuminent la nuit Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour regarder Ce sont des dames qui dansent avec leurs regards pour yeux bras et cœurs J’ai reconnu ton sourire et ta vivacité C’est aussi l’apothéose quotidienne de toutes mes Bérénices dont les chevelures sont devenues des comètes Ces danseuses surdorées appartiennent à tous les temps et à toutes les races Elles accouchent brusquement d’enfants qui n’ont que le temps de mourir Comme c’est beau toutes ces fusées Mais ce serait bien plus beau s’il y en avait plus encore S’il y en avait des millions qui auraient un sens complet et relatif comme les lettres d’un livre Pourtant c’est aussi beau que si la vie même sortait des mourants Mais ce serait plus beau encore s’il y en avait plus encore Cependant je les regarde comme une beauté qui s’offre et s’évanouit aussitôt Il me semble assister à un grand festin éclairé à giorno C’est un banquet que s’offre la terre Elle a faim et ouvre de longues bouches pâles La terre a faim et voici son festin de Balthasar cannibale Qui aurait dit qu’on pût être à ce point anthropophage Et qu’il fallût tant de feu pour rôtir le corps humain C’est pourquoi l’air a un petit goût empyreumatique qui n’est ma foi pas désagréable Mais le festin serait plus beau encore si le ciel y mangeait avec la terre Il n’avale que des âmes Ce qui est une façon de ne pas se nourrir Et se contente de jongler avec des feux versicolores Mais j’ai coulé dans la douceur de cette guerre avec toute ma compagnie au long des longs boyaux Quelques cris de flamme annoncent sans cesse ma présence J’ai creusé le lit où je coule en me ramifiant en mille petits fleuves qui vont partout Je suis dans la tranchée de première ligne et cependant je suis partout je commence à être partout C’est moi qui commence cette chose des siècles à venir Ce sera plus long à réaliser que non la fable d’Icare volant Je lègue à l’avenir l’histoire de Guillaume Apollinaire Qui fut à la guerre et sut être partout Dans les villes heureuses de l’arrière Dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé Dans les femmes dans les canons dans les chevaux Au Zenith au Nadir aux 4 points cardinaux Et dans l’unique ardeur de cette veillée d’armes Et ce serait sans doute bien plus beau Si je pouvais supposer que toutes ces choses dans lesquelles je suis partout Pouvaient m’occuper aussi Mais dans ce sens il n’y a rien de fait Car si je suis partout à cette heure il n’y a cependant que moi qui suis en moi Décembre 1915