[« Beaucoup de ces dieux ont péri »]
Beaucoup de ces dieux ont péri ;
C’est sur eux que pleurent les saules.
Le grand Pan, l’amour, Jésus-Christ
Sont bien morts et les chats miaulent
Dans la cour ; je pleure à Paris,
Moi qui sais des lais pour les reines,
Les complaintes de mes années,
Des hymnes d’esclave aux murènes,
La romance du mal-aimé,
Et des chansons pour les sirènes.
L’amour est mort, j’en suis tremblant,
J’adore de belles idoles :
Les souvenirs lui ressemblant ;
Comme la femme de Mausole
Je reste fidèle et dolent.
Je suis fidèle comme un dogue
Au maître, le lierre au tronc,
Et les Cosaques Zaporogues
Ivrognes, pieux et larrons
Aux steppes et au décalogue.
« Portez, comme un joug, le croissant
« Qu’interrogent les astrologues.
« Je suis le Sultan tout puissant,
« O mes cosaques Zaporogues
« Votre Seigneur éblouissant.
« Devenez mes sujets fidèles »,
Leur avait écrit le Sultan.
Ils rirent à cette nouvelle,
Puis répondirent à l’instant
A la lueur d’une chandelle :
« Plus criminel que Barrabas,
« Cornu comme les mauvais anges,
« Quel Belzébuth es-tu là-bas,
« Nourri d’immondice et de fange ?
« Nous n’irons pas à tes sabbats. »
Voie lactée, ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses,
Nageurs morts, suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses ?
Regret des jeux de la putain
Et belle comme une panthère !
Amour, vos baisers florentins
Avaient une saveur amère
Qui a rebuté nos destins.
Ses regards laissaient une traîne
D’étoiles dans les soirs tremblants ;
Dans ses yeux nageaient les sirènes,
Et nos baisers mordus, sanglants,
Faisaient pleurer nos fées marraines.
Mais, en vérité, je t’attends
Avec mon cœur, avec mon âme,
Et sur le pont des Reviens-t’en
Si jamais revient cette femme,
Je lui dirai : « Je suis content ! »
… Mon cœur et ma tête se vident,
Tout le ciel s’écoule par eux ;
O mes tonneaux des Danaïdes,
Comment faire pour être heureux,
Comme un petit enfant candide ?
Je ne veux jamais l’oublier
Ma colombe, ma blanche rade,
O marguerite exfoliée
Mon île au loin, ma Désirade,
Ma rose, mon giroflier…
Les satyres et les pyraustes,
Les êgypans, les feux follets,
Et les destins damnés ou faustes,
La corde au cou comme à Calais,
Sur ma douleur quel holocauste !
Douleur qui doubles les destins,
La licorne et le capricorne
— Mon âme et mon corps incertain —
Te fuient, ô bûcher divin qu’ornent
Des astres, des fleurs du matin !
Malheur, dieu pâle aux yeux d’ivoire,
Tes prêtres fous t’ont-ils paré ?
Tes victimes en robe noire
Ont-elles vainement pleuré ?
Malheur, dieu qu’il ne faut pas croire !
Et toi, qui me suis en rampant,
Dieu de mes dieux morts en automne,
Tu mesures combien d’empans
J’ai droit que la terre me donne,
O mon ombre, ô mon vieux serpent !
Au soleil, parce que tu l’aimes,
Je t’ai menée, souviens-t’en bien,
Ténébreuse épouse que j’aime.
Tu es à moi en n’étant rien,
O mon ombre en deuil de moi-même…
… L’hiver est mort tout enneigé ;
On a brûlé les ruches blanches.
Dans les jardins et les vergers
Les oiseaux chantent sur les branches,
Le printemps clair, l’avril léger.
Mort d’immortels argyraspides !
La neige aux boucliers d’argent
Fuit les dendrophores livides
Du printemps cher aux pauvres gens
Qui resourient les yeux humides.
Et moi j’ai le cœur aussi gros
Qu’un cul de dame damascène.
O mon amour, je t’aimais trop,
Et maintenant j’ai trop de peine.
Les sept épées hors du fourreau !…
Sept épées de mélancolie
Sans morfil, ô claires douleurs,
Sont dans mon cœur et la folie
Veut raisonner pour mon malheur,
Comment voulez-vous que j’oublie ?