(1917) Arbre « Arbre »
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(1917) Arbre « Arbre »

Arbre

Poème inédit par GUILLAUME APPOLLINAIRE PARIS

Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes galopent
Où sont les aveugles où s’en sont-ils allés
La seule feuille que j’aie cueillie s’est changée en plusieurs mirages
Ne m’abandonnez pas parmi cette foule de femmes au marché
Ispahan s’est fait au ciel de carreaux émaillés de bleu
Et je remont avec vous une route aux environs de Lyon
Je n’ai pas oublié le son d’une clochette d’un marchant de coco
Autrefois
J’entends déjà le son aigre de cette voix à venir
Du camarade qui se promène avec toi en Europe tout en restant
En Amérique
Un enfant
Un veau dépouillé pendu à l’étal
Un enfant
Et cette banlieue de sable autour d’une petite ville
Au fond de l’Est
Un douanier se tenait là comme un ange a la porte d’un misérable paradis
Et le voyageur épileptique écumait dans la salle d’attente des premiéres
Engoulevent Grondin Blaireau
Et la taupe Ariane
Nous avons loué deux coupés dans le Transsibérien
Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et moi
Mais celui qui veillait ne cachait point un réwolver armé
Tu t’es promené à Leipzig avec une femme mince déguisée en homme
Intélligence car voilà ce qui est qu’une femme intelligente
Et il ne faudrait pas oublier les légendes
Dame il bonde dans une tramway la nuit au fond d’un quartier désert
Je voyais une chasse tandis que je montais
Et l’ascenseur s’arretait à chaque étage
Entre les pierres
Entre les vétements multicolors de la vitrine
Entre les charbons ardents du marchant de marrons
Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen
Il y a ton image
Elle pousse entre les tombaux de la Finlande
Le beau nègre en acier
La plus grande tristesse
C’est quand tu reçue une carte postale de la Corogne
Le vent vient du couchant
Le métal des caronhers
Tout est plus triste qu’autrefois
Tous les dieux terrestres vieillissent
L’Univers se plaint part ta voix
Et des êtres nouveaux surgissent
Trois par trois
GUILLAUME APPOLLINAIRE. (Paris.)