(1916) Chant de l'horizon en Champagne « Chant de l’horizon en Champagne »
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(1916) Chant de l'horizon en Champagne « Chant de l’horizon en Champagne »

Chant de l’horizon en Champagne

à Monsieur le substitut Granié
Voici le tétin rose de l’euphorbe verruquée
Voici les nez des soldats invisibles
Horizon invisible je chante
Que les civils et les femmes écoutent les chansons
Et voici d’abord la cantilène du brancardier blessé
             Le sol est blanc la nuit l’azure
             Saigne la crucifixion
             Tandis que saigne la blessure
             Du soldat de Promission
             Un chien jappait l’obus miaule
             La lueur muette a jailli
             A savoir si la guerre est drôle
             Les masques n’ont pas tressailli
             Mais quel fou rire sous le masque
             Blancheur éternelle d’ici
             Où la colombe porte un casque
             Et l’acier s’envole aussi
Je suis seul sur le chant de bataille
Tranchée blanche bois vert et roux
L’obus miaule
               Je te tuerai
Animez vos fantassins à passepoil jaune
Les grands artilleurs roux comme des taupes
Bleu de roi comme les golfes méditerranéens
Veloutés de toutes les nuances du velours
Ou mauves encore ou bleu comme les autres
Ou déteints
Venez le pot en tête
Debout fusée éclairante
Danse grenadier en agitant tes pommes de pin
Alidades des triangles de visée pointez-vous sur les lueurs
Creusez des trous enfants de 20 ans creusez des trous
Sculptez les profondeurs
Envolez-vous essaims des avions blonds ainsi que les avettes
Moi l’horizon je fais la roue comme un grand paon
Ecoutez renaître les oracles qui avaient cessé
Le grand Pan est ressuscité
Champagne viril qui émoustille la Champagne
Hommes faits jeunes-gens
Caméléons des autos-canons
Et vous classe 15
Craquements des arrivées ou bien flottaison blanche dans les cieux
J’étais content pourtant ça brûlait la paupière
Les officiers captifs voulaient cacher leurs noms
Œil du Breton blessé couché sur la civière
Et qui criait aux morts aux sapins aux canons
Priez pour moi Bon Dieu ! je suis le pauvre Pierre
               Boyaux et rumeur du canon
               Sur cette mer aux blanches vagues
               Fou stoïque comme Zénon
               Pilote du cœur tu zigzagues
               Petites forêts de sapins
               La nichée attend la becquée
               Pointe-t-il des nez de lapins
               Comme l’euphorbe verruquée
               Ainsi que l’euphorbe d’ici
               Le soleil à peine boutonne
               Je l’adore comme un Parsi
               Ce tout petit soleil d’automne
               Un fantassin presque un enfant
               Pur comme le jour qui s’écoule
               Pur comme mon cœur triomphant
               Disait en mettant sa cagoule
               Tandis que nous n’y sommes pas
               Que de filles deviennent belles
               Voici l’hiver et pas à pas
               Leur beauté s’éloignera d’elles
               O lueurs soudaines des tirs
               Cette beauté que j’imagine
               Faute d’avoir des souvenirs
               Tire de vous son origine
               Car elle n’est rien que l’ardeur
               De la bataille violente
               Et de la terrible lueur
               Il se fait une muse ardente
Il regarde longtemps l’horizon
Couteaux tonneaux d’eaux
Des lanternes allumées se sont croisées
Moi l’horizon je combattrai pour la victoire
Je suis l’invisible qui ne peut disparaître
Je suis comme l’onde
Allons ouvrez les écluses que je me précipite et renverse tout
Guillaume Apollinaire.