Epître à Léo Larguier, caporal-brancardier, en réponse à la sienne
« Léo Larguier :
Soldat mystique,
O brancardier !
Les vers du caporal plaisent au brigadier…
Ce secteur 114, est-ce Arras ou peut-être
La ferme Choléra sinon le bois Le Prêtre ?
Ici la fraise est rouge et les lilas sont morts,
La couleuvre se love en la paille où je dors
Quand s’éveille la nuit la Champagne Tonnante,
La nuit quand les convois traînent leur rumeur lente
A travers la Champagne où tonnent nos canons
Et les flacons ambrés…
Et si nous revenons,
Dieu ! que de souvenirs !…
Je suis gai, pas malade,
Et comme fut Ronsard : le chef d’une
brigade.
Agent de liaison, je suis bien aguerri.
J’ai l’air mâle et fier, j’ai même un peu maigri…
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Etes-vous en Argonne, ou dans le Labyrinthe ?
Moi, je ne suis pas loin de Reims la ville sainte,
Je vis dans un marais, au fond d’un bois touffu,
Ma hutte est en roseaux et ma table est un fût
Que j’ai trouvé naguère au bord du
Bras-de-Vesle.
Le rossignol garrule et l’Amour
renouvelle
Ce pendant que l’obus rapace en miaulant
Abat le sapin noir ou le bouleau si blanc.
Mais quand reverrons-nous une femme, une chambre ?
Quand nous reverrons-nous ? Mais, sera-ce en septembre ?…
Adieu, Léo Larguier !
ça barde en ce moment…
105 et 305… le beau
bombardement !…
Je songe au mois de mars, à vous, à la tour
Magne…
(Où est mon chocolat ?… Les rats ont tout croqué !…)
Et j’ajoute, mon cher, style communiqué :
« Duel d’artillerie, à minuit, en Champagne… »
GUILLAUME APOLLINAIRE.
Le i
er
juin 1915. »