Le Brasier
III
Descendant des hauteurs où pense la lumière
Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles,
L’avenir masqué flambe en traversant les cieux.
Nous attendons ton bon plaisir, ô mon amie,
J’ose à peine regarder la divine mascarade
— Quand bleuira sur l’horizon la Désirade ? —
Au delà de notre atmosphère s’élève un théâtre
Que construisit le ver Zamir sans instrument,
Puis le soleil revint ensoleiller les places
D’une ville marine apparue contremont
Sur les toits se reposaient les colombes lasses.
Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie
A petits pas. Il orra le chant du pâtre toute la vie.
Là-haut, le théâtre est bâti avec le feu solide
Comme les astres dont se nourrit le vide.
Et voici le spectacle
Et pour toujours je suis assis dans un fauteuil.
Ma tête, mes genoux, mes coudes, vain pentacle
Les flammes ont poussé sur moi comme des feuilles.
Les acteurs inhumains, claires bêtes nouvelles,
Donnent des ordres aux hommes apprivoisés
O Déchirée que les fleuves ont reprisée.
J’aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries,
Vouloir savoir pour qu’enfin on m’y dévorât.
Guillaume APOLLINAIRE