(1918) Souvenir des Flandres « Souvenir des Flandres »
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(1918) Souvenir des Flandres « Souvenir des Flandres »

Souvenir des Flandres

J’ai goûté sur la dune où Dante a dû passer
Les couchants langoureux des pensives Zélandes ;
Les clochers regardaient de la digue et des landes,
Bruges, sur ton canal les bélandres glisser.
Villes, vos monuments, églises et musées,
Renaissent en mon âme. O Flandres, je revois
Vos chefs-d’œuvre debout, et d’eux monte une voix
Qui dit : Nous renaîtrons, nous les pierres brisées.

Qui dit : Nous reviendrons, nous livres et tableaux
Nous autels, nous joyaux, et nous L’AGNEAU MYSTIQUE
Nous Châsse de Memlinc, cet éternel cantique,
Et nous ces fins d’été qui saignent dans les flots.
Nous renaîtrons : corons, hospices, béguinages,
Beffrois et carillons, négoces opulents.
Qu’importe le Malheur ! Sur les canaux dolents
Comme des cygnes vont les misères des âges.
Leur sillage s’efface aussitôt. Les destins
Rient dans les moissons d’or et dans le sein des mères.
Nous renaîtrons aussi, nous fêtes populaires
Kermesses, Carrousels. — O fraîcheur des matins.
Tendresse des longs soirs alanguis dans les Flandres,
Grands ports que chaque nuit colorent les fanaux,
Je me souviens de vous, eaux vertes des canaux
Où glissent lentement les pensives bélandres.
Guillaume APOLLINAIRE