(1915) Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] « Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] »
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(1915) Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] « Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar] »

Le Servant des Dakar [Le Servant de Dakar]

 

    C’est dans la cagnat en rondins voilés d’osier
Auprès des canons gris voilés tournés vers le nord
Que je songe au village africain
  Où l’on dansait où l’on chantait
      Où l’on faisait l’amour
          Et de longs discours
             Nobles et joyeux
Je revois mon père qui se battit
 Contre les Achantis au service des Anglais
   Caresser les seins durs comme des obus
       De ma sœur au rire en folie
            Et je revois
   Ma mère la sorcière qui seule du village
        Méprisait le sel
   Piler le millet dans un mortier
   En regardant mon frère bercer
        Sa superbe virilité
   Qui semblait un petit enfant
Je me souviens du si délicat si inquiétant
   Fétiche dans l’arbre
Et du double fétiche de la fécondité
   Plus tard une tête coupée
   Au bord d’un marécage
   O pâleur de mon ennemi
   C’était une tête d’argent
     Et dans le marais
   C’était la lune qui luisait
   C’était donc une tête d’argent
   Là-haut c’était la lune qui dansait
     C’était donc une tête d’argent
   Et moi dans l’ombre j’étais invisible
     C’était donc une tête de nègre dans la nuit profonde
   Similitudes pâleurs
Et ma sœur plus tard
   Suivit un tirailleur
        Mort à Arras
   Si je voulais savoir mon âge
Il faudrait le demander à l’évêque
   Si doux si doux avec ma mère
   De beurre de beurre avec ma sœur
     C’était dans une petite cabane
         Moins sauvage que notre Cagnat de Canonniers servants
         J’ai connu l’affût au bord des marécages
         Où la girafe boit les jambes écartées
            J’ai connu l’horreur de l’ennemi qui dévaste
            Le Village
                    Viole les femmes
                             Emmène les filles
Et les garçons dont la croupe dure sursaute
       J’ai porté l’administrateur des semaines
     De village en village
                     En chantonnant
Et je fus domestique à Paris
   Je ne sais pas mon âge
      Mais au recrutement
      On m’a donné vingt ans
   Je suis soldat français on m’a blanchi du coup
Secteur 59 je ne peux pas dire où
  Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu’être noir
    Pourquoi ne pas danser et discourir
        Manger et puis dormir
Et nous tirons sur les ravitaillements boches
Ou sur les fils de fer devant les bobosses
    Sous la tempête de feux métalliques

          Je me souviens d’un lac affreux
              Une nuit folle
          Une nuit de sorcellerie
Et de couples enchaînés par un atroce amour