(1913) Dans le jardin d’Anna « Dans le jardin d’Anna »
/ 25
(1913) Dans le jardin d’Anna « Dans le jardin d’Anna »

Dans le jardin d’Anna

Certes si nous avions vécu en l’an dix-sept cent soixante
Est-ce bien la date que vous déchiffrez Anna sur ce banc de pierre
Et que par malheur j’eusse été allemand
Mais que par bonheur j’eusse été près de vous
Nous aurions parlé d’amour de façon imprécise
Presque toujours en français
Et pendue éperdument à mon bras
Vous m’auriez écouté vous parler de Pythagoras
En pensant aussi au café qu’on prendrait
Dans une demi-heure
Et l’automne eût été pareil à cet automne
Que l’épine-vinette et les pampres couronnent
Et brusquement parfois j’eusse salué très bas
De nobles dames grasses et langoureuses
J’aurais dégusté lentement et tout seul
Pendant de longues soirées
Le tokay épais ou la malvoisie
J’aurais mis mon habit espagnol
Pour aller sur la route par laquelle
Arrive dans son vieux carrosse
Ma grand’mère qui se refuse à comprendre l’allemand
J’aurais écrit des vers pleins de mythologie
Sur vos seins la vie champêtre et sur les dames
Des alentours
J’aurais souvent cassé ma canne
Sur le dos d’un paysan
J’aurais aimé entendre de la musique en mangeant
Du jambon
J’aurais juré en allemand je vous le jure
Lorsque vous m’auriez surpris embrassant à pleine bouche
Cette servante rousse
Vous m’auriez pardonné dans le bois aux myrtilles
J’aurais fredonné un moment
Puis nous aurions écouté longtemps les bruits du crépuscule