Souvenir des Flandres
J’ai goûté sur la dune où Dante a dû passer
Les couchants langoureux des pensives Zélandes ;
Les clochers regardaient de la digue et des landes,
Bruges, sur ton canal les
bélandres
glisser.
Villes, vos monuments, églises et musées,
Renaissent▶ en mon âme. O Flandres, je revois
Vos chefs-d’œuvre debout, et d’eux monte une voix
Qui dit : Nous reviendrons, nous livres et tableaux
Nous autels, nous joyaux, et nous L’AGNEAU
MYSTIQUE
Nous Châsse de Memlinc, cet éternel
cantique,
Et nous ces fins d’été qui saignent dans les flots.
Beffrois et carillons, négoces opulents.
Qu’importe le Malheur ! Sur les canaux dolents
Comme des cygnes vont les misères des
âges.
Leur sillage s’efface aussitôt. Les destins
Rient dans les moissons d’or et dans le sein des mères.
Nous ◀renaîtrons aussi, nous fêtes populaires
Kermesses, Carrousels. — O fraîcheur des matins.
Tendresse des longs soirs alanguis dans les Flandres,
Grands ports que chaque nuit colorent les fanaux,
Je me souviens de vous, eaux vertes des canaux
Où glissent lentement les pensives bélandres.
Guillaume
APOLLINAIRE