Fiançailles
[« Le printemps laisse errer les fiancés parjures »]
Le printemps laisse errer les fiancés parjures,
Et laisse feuilloler longtemps les plumes bleues,
Que secoue le cyprès où niche l’oiseau bleu.
Une Madone, à l’aube, a pris les églantines ;
Elle viendra, demain, cueillir les giroflées
Pour mettre aux nids des colombes qu’elle destine
Au pigeon qui ce soir semblait le Paraclet.
Au petit bois de▶ citronniers, s’énamourèrent,
Les villages lointains sont comme leurs paupières,
Et parmi les citrons leurs cœurs sont suspendus.
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[« Mes amis m’ont enfin avoué leur mépris »]
Mes amis m’ont enfin avoué leur mépris.
Je buvais à pleins verres les étoiles,
Un ange a exterminé, pendant que je dormais,
Les agneaux, les pasteurs des tristes bergeries.
Et les gueux mal blessés par l’épurge dansaient.
Les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune,
Des croque-morts avec des bocks tintaient des glas.
A la clarté des bougies tombaient, vaille que vaille,
Des accouchées masquées fêtaient leurs relevailles.
La ville, cette nuit, semblait un archipel,
Des femmes demandaient l’amour et la dulie,
Et sombre, sombre fleuve, je me rappelle
Les ombres qui passaient n’étaient jamais jolies.
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[« Je n’ai plus même pitié ◀de▶ moi »]
Tous les mots que j’avais à dire se sont changés en étoiles.
Jadis, les morts sont revenus pour m’adorer,
Et j’espérais la fin du monde,
Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan.
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[« J’ai eu le courage ◀de▶ regarder en arrière »]
Marquent ma route et je les pleure.
Les uns pourrissent dans les églises italiennes,
Qui fleurissent et fructifient
En même temps et en toute saison.
D’autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes,
Pardonnez-moi mon ignorance ;
Je ne sais plus rien et j’aime uniquement ;
Mais les fleurs, à mes yeux, redeviennent des flammes.
Je médite divinement.
Et je souris des êtres que je n’ai pas créés.
Mais si le temps venait, où l’ombre enfin solide
J’admirerais mon ouvrage.
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[« J’observe le repos du dimanche »]
J’observe le repos du dimanche
Et je loue la paresse.
Comment, comment réduire
L’infiniment petite science
Que m’imposent mes sens.
L’un est pareil aux montagnes, au ciel,
Aux villes, à mon amour.
Il ressemble aux saisons,
Il vit décapité, sa tête est le soleil
Et la lune, son cou tranché.
Je voudrais éprouver une ardeur infinie.
Et tes griffes répètent le chant des oiseaux.
Le toucher monstrueux m’a pénétré, m’empoisonne,
Mes yeux nagent loin de moi,
Et les astres intacts sont mes maîtres sans épreuve.
La bête des fumées a la tête fleurie ;
Et le monstre le plus beau,
Ayant la saveur du laurier, se désole.
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[« A la fin, les mensonges ne me font plus peur »]
A la fin, les mensonges ne me font plus peur.
C’est la lune qui cuit comme un œuf sur le plat.
Des anges diligents travaillent pour moi à la maison.
La lune et la tristesse disparaîtront pendant
Toute la sainte journée.
Toute la sainte journée, j’ai marché en chantant,
Une dame, penchée à sa fenêtre, m’a regardé longtemps,
M’éloigner en chantant.
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[« Au tournant ◀d’▶une rue, je vis des matelots »]
J’ai tout donné au soleil,
Tout, sauf mon ombre.
Les dragues, les ballots, les sirènes mi-mortes !
A l’horizon brumeux s’enfonçaient les trois-mâts.
O Vierge, signe pur du troisième mois.
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[« Templiers flamboyants, je brûle parmi vous »]
Templiers flamboyants, je brûle parmi vous.
Prophétisons ensemble, ô grands maîtres, je suis
Le désirable feu qui pour vous se dévoue,
Et la girande tourne, ô belle, ô belle nuit.
Liens déliés par une libre flamme, ardeur
Que mon souffle éteindra, ô morts, à quarantaine.
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[« Incertitude, oiseau feint, peint, quand vous tombiez »]
Incertitude, oiseau feint, peint, quand vous tombiez,
Le soleil et l’amour dansaient dans le village.
Et tes enfants galants, bien ou mal habillés,
Ont bâti ce bûcher, le nid ◀de mon courage.
Guillaume Apollinaire.