Élégie du voyageur aux pieds blessés
La source est là comme un œil clos,
L’eau pure deviendra l’eau sale,
La source enfante et pleure ou râle,
Déplorée par les saules pâles.
Vieilles et saines et sensées,
Le gars ! ô l’homme aux pieds blessés !
Des nymphes tu n’eus pas l’aumône
Tu foules les dieux sous tes pas
Au vert bâton que tu coupas
Un dieu meurt — tu ne le sais pas ! —
Ah ! marche l’homme sans déesses
Ni tutélaires ni traîtresses,
Marche et tue les dieux quand ils naissent.
Et dans nos âmes ; le sang pieux
Les faunes roux et les satyres
Et troublent l’eau quand tu t’y mires.
Tu marches saluant les croix,
Du bord des routes qui poudroient.
Tout rouges ◀de ton sang et froids,
Les dieux narquois partout se meurent
Et s’émeuvent les enchanteurs,
Les fleurs se fanent, les fées pleurent.
Guillaume Apollinaire