Le Larron
« Maraudeur étranger, malheureux, malhabile,
Voleur, voleur, que ne demandais-tu ces fruits ?
Mais puisque tu as faim que tu es en exil,
Il pleure, il est barbare et bon, pardonnez-lui ! »
— « Je confesse le vol des fruits doux, des fruits mûrs,
Mais ce n’est pas l’exil que je viens simuler
Et sachez que j’attends de▶ moyennes tortures,
Injustes si je rends tout ce que j’ai volé. »
Sois docile, puisque tu es beau, naufragé !
Vois, les sages te font des gestes socratiques.
Maraudeur étranger, malhabile et malade,
Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit
Ouir ta voix ligure en nénie, ô maman !
Puisqu’ils n’eurent enfin, la pubère et l’adulte,
Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes
Votre jardin marin où j’ai laissé mes rames
Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus,
Et presque toutes les figues étaient fendues. »
Il entra dans la salle aux fresques qui figurent
L’inceste solaire et nocturne dans les nues :
« Assieds-toi là, pour mieux ouïr les voix ligures
Au son des cinyres des Lydiennes nues. »
Et les femmes ayant des colliers où pendait
Les autans langoureux dehors feignaient l’automne,
Qui dirent tour à tour : « Voleur, je te pardonne.
Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres,
Une femme lui dit : « Tu n’invoques personne,
Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier ?
Voleur, connais-tu mieux les lois malgré les hommes ?
Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques.
Il est plus noble que le paon pythagorique,
Le dauphin, la vipère mâle ou le taureau.
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Qui donc es-tu, toi qui nous vins grâce au vent scythe ?
Il en est tant venu par la route ou la mer,
Des conquérants fictifs rués pour la vindicte
Et des bandes souvent qui fuyaient aux éclairs.
Passa, menant un peuple infime pour l’orgueil
Noires et blanches contre les maux et les sorts
Effrayants et fardés, les poètes barbares,
Troupe lâche, cherchaient, pour y chastes mourir,
La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares
Où des fruits doux et vénéneux pour eux mûrirent.
Un triomphe passait gémir sous l’arc-en-ciel
Les statues suant, les scurriles, les agnelles
Et l’angoisse rauque des paonnes et des jars.
Les veuves précédaient en égrenant des grappes
Les évêques noirs révérant sans le savoir,
Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes,
Pallas, et chantaient l’hymne à la belle, mais noire.
Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir
Nous aurons des baisers florentins sans le dire,
Mais au jardin, ce soir, tu vins, sage et voleur.
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Belphégor, le soleil, le silence ou le chien,
Et le larron des fruits cria : « Je suis chrétien ! »
— « Ah ! Ah ! les colliers tinteront, cherront les masques.
Va-t’en, va-t’en, contre le feu l’ombre prévaut.
— « Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques.
Il est plus noble que le paon pythagorique,
Le dauphin, la vipère mâle ou le taureau. »
— « Ah ! Ah ! nous secouerons toute la nuit les sistres,
La voix ligure était-ce donc un talisman.
Et si tu n’es pas ne droite tu es sinistre
Comme une tache grise ou le pressentiment.
Puisque l’absolu choit, la chûte est une preuve
Nous avouons que les grossesses nous émeuvent ;
Les ventres pourront seuls nier l’aséité.
Va-t’en mais dénudé, puisque tout est à nous.
Ouïs du chœur des vents les cadences plagales
Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou le gnou.
Et sombre, elle est humaine et puis la nôtre aussi.
Va-t’en, le crépuscule a des lueurs légères
Il brillait et attirait comme la pantaure.
L’eussent aimé comme on l’aima, puisqu’en effet
Il était pâle, il était beau comme un roi ladre.
Au lieu du roseau triste et du funèbre faix.
Que n’alla-t-il vivre à la cour du roi d’Edesse ?
Maigre et magique, il eût scruté le firmament,
Pâle et magique, il eût aimé des poétesses,
Juste et magique, il eût épargné les démons.
Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre.
Soit ! la triade est mâle et tu es vierge et froid.
Le tact est relatif mais la vue est oblongue.
Vouons le vol à Sparte et l’inceste à Ninive.
Qu’on souffle les flambeaux à cause des convives
Qui se fiant au Bègue ont peur ◀d’être brûlés. »
Guillaume Apollinaire.