Merlin et la vieille femme
Le soleil ce jour-là, s’étalait comme un ventre
Maternel, qui saignait lentement sur le ciel ;
La lumière est ma mère, ô lumière sanglante !
Les nuages coulaient comme un flux menstruel.
Au carrefour où nulle fleur si non la rose
Des vents, mais sans épine n’a fleuri l’hiver.
Merlin guettait la vie et l’éternelle cause
Qui fait mourir et puis renaître l’univers.
Une vieille, sur une mule à chape verte,
S’en vînt, suivant la berge du fleuve, en aval,
Et l’antique Merlin dans la plaine déserte
Se frappait la poitrine en s’écriant : « Rival !
« O mon être glacé dont le destin m’accable,
« Dont ce soleil de▶ chair grelotte, veux-tu voir,
« Ma mémoire venir et m’aimer, ma semblable,
« Et quel fils malheureux et beau je veux avoir ? »
Son geste fit crouler l’orgueil des cataclysmes,
Le soleil en dansant remuait son nombril
Les voies qui viennent de l’ouest étaient couvertes
Quand les vents apportaient des joies et des malheurs.
Laissant sa mule, à petits pas, s’en vint l’amante ;
A petits coups, le vent défripait ses atours.
Puis les pâles amants joignant leurs mains démentes
Criant : « Depuis cent ans j’espérais ton appel.
« Morgane regardait du haut du mont Gibel.
« Ah ! qu’il fait doux danser quand pour vous se déclare
« J’ai fait des gestes blancs parmi les solitudes,
« Des lémures couraient peupler les cauchemars.
« Mes tournoiements exprimaient les béatitudes
« Aux printemps finissants qui voulaient défleurir,
« Et j’ai vieilli, vois-tu, pendant ta vie, je danse,
« Mais, j’eusse été tôt lasse et l’aubépine en fleur
« Cet avril aurait eu la pauvre confidence
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Clarté sur qui la nuit fondit comme un vautour.
Puis, Merlin s’en alla vers l’est, disant : « Qu’il monte
« Il sera bien mon fils, mon ouvrage immortel
« Il marchera tout seul en regardant le ciel.
« La dame qui m’attend se nomme Viviane
« Et vienne le printemps des nouvelles douleurs.
« Couché parmi la marjolaine et les pas ◀d’ânes,
« Je m’éterniserai sous l’aubépine en fleurs.
Guillaume Apollinaire.