L’Ermite
Un ermite déchaux, près d’▶un crâne blanchi,
Cria : « Je vous maudis martyres et détresses,
Des narines rongées ! J’ai faim ! Mes cris s’enrouent.
Tu es un crâne féminin, certainement,
O crâne dont j’ai peur en mon âme bravache !
O tête, j’ai baisé tes dents comme un amant.
Craquer comme une noix le crâne féminin ?
Doux Seigneur, pardonnez au printemps qui viédaze.
Flagellez, flagellez les nuées du coucher
Et les souris dans l’ombre incantent le plancher.
Les humains savent tant de jeux : l’amour, la mourre.
La mourre, jeu du nombre illusoire des doigts.
Seigneur, faites, Seigneur, qu’un jour je m’énamoure.
J’attends celle qui me tendra ses doigts menus.
Les mensonges. Pourtant j’attends qu’elle les dresse
Ses mains enamourées devant moi, l’Inconnue.
Seigneur que t’ai-je fait ? Vois, je suis unicorne.
Pourtant, malgré son bel effroi concupiscent,
Comme un poupon chéri, mon sexe est innocent
Seigneur, le Christ est nu. Jetez, jetez sur lui
La robe sans couture. Eteignez les ardeurs.
J’ai veillé trente nuits sous les lauriers-roses.
As-tu sué du sang, Christ dans Gethsémani ?
Crucifié, réponds ! Dis non ! Moi, je le nie,
Car j’ai trop espéré en vain l’hématidrose.
J’écoutais à genoux toquer les battements
Du cœur. Le sang, toujours, roulait en ses artères
Et je sentais l’aorte avare éperdument.
Une goutte tomba. Sueur ? et sa couleur ?
Lueur ! le sang est rouge ! et j’ai ri des damnés !
Puis enfin j’ai compris que je saignais du nez
Et j’ai ri du vieil ange qui n’est point venu
De vol très indolent me tendre un beau calice.
Vertuchou ! riotant des vulves des papesses,
Des saintes sans tétons. J’irai vers les cités
Et peut-être y mourir pour ma virginité,
Parmi les mains, les peaux, les mots et les promesses.
Malgré les autans bleus, je me dresse divin
En vain, j’ai supplié tous les saints aémères,
Aucun n’a consacré mes doux pains sans levain.
Et je marche, je fuis, ô nuit, Lilith ulule
S’ouvrir tragiquement. O nuit, je vois tes cieux
La nuit, les bois sont noirs et se meurt l’espoir vert
Quand meurt le jour avec un râle inattendu.
Des hiboux et voici le regard des brebis
Et des truies aux tétins roses comme des lobes.
Des corbeaux éployés comme des tildes font
Non loin des bourgs où des chaumières sont impures
Mes kilomètres longs, mes tristesses plénières,
Ont égaré ma route et mes rêves poupins
Souvent et j’ai dormi au sol des sapinières.
Enfin, ô soir pâmé, au bout de mes chemins
La ville m’apparut, très grave, au son des cloches,
Et ma luxure meurt à présent que j’approche.
En entrant j’ai béni les foules des deux mains.
Or, mes désirs s’en vont tous à la queue leu-leu.
Ma migraine pieuse a coiffé sa cucuphe.
Car toutes sont venues m’avouer leurs péchés,
Et, Seigneur, je suis saint par le vœu des amantes
Zélotide et Lorie, Louise et Diamante
Ont dit ; Tu peux savoir, ô toi, l’effarouché.
Ermite, absous nos fautes jamais vénielles,
O toi, le pur et le contrit que nous aimons,
Sache nos cœurs, sache les jeux que nous aimons
Et nos baisers quintessenciés comme du miel.
Or, j’absous les aveux pourpres comme leur sang
Des poétesses nues, des fées, des fornarines.
Aucun pauvre désir ne gonfle ma poitrine
Lorsque je vois, le soir, les couples s’enlaçant.
Et je ne veux plus rien, sinon laisser se clore
Mes yeux, couple lassé, au verger pantelant
Plein du râle pompeux des groseillers sanglants
Et ◀de la sainte cruauté des passiflores. »
Guillaume Apollinaire