La Loreley
A Bacharach, il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde
Devant son tribunal l’évêque la fit citer.
D’avance il l’absolvit à cause de sa beauté :
— O belle Loreley, aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie ? —
— Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m’ont regardé, évêque en ont péri.
Mes yeux ce sont des flammes, et non des pierreries
Jetez, jetez aux flammes cette sorcellerie. —
— Je flambe dans ces flammes, ô belle Loreley
Qu’un autre te condamne, tu m’as ensorcelé. —
— Evêque vous riez, priez plutôt pour moi la Vierge.
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège.
Mon amant▶ est parti pour un pays lointain,
Faites-moi donc mourir puisque je n’aime rien.
Mon cœur me fait si mal, il faut bien que je meure
Si je me regardais Il faudrait que j’en meure.
Mon cœur me fait si mal depuis qu’il n’est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s’en alla.
L’évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances :
— Menez jusqu’au couvent cette femme en démence.
Va-t’en, Lore en folie, va Lore aux yeux tremblants
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc. —
Puis ils s’en allèrent sur la route, tous les quatre,
La Loreley au milieu traînait la savate.
— Chevaliers, laissez-moi monter sur ce rocher si haut,
Pour voir une fois encore mon beau château,
Pour me mirer une fois encore dans le fleuve.
Puis j’irai au couvent des vierges et des veuves. —
Là-haut, le vent tordait ses cheveux déroulés.
Les chevaliers criaient : « Loreley ! Loreley ! »
— Tout là-bas sur le Rhin s’en vient une nacelle.
Mon cœur devient si doux. C’est mon ◀amant qui vient. —
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin.
Pour avoir vu dans l’eau, la belle Loreley,
Ses yeux couleur du Rhin, ses cheveux, de soleil.
Bacharach, Mai 1902