(1699) Abrégé vie de Raphaël
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(1699) Abrégé vie de Raphaël

RAPHAËL nâquit à Urbin, ville d’Italie, Capitalle du Duché d’Urbin, l’an 1483, un Vendredy Saint à trois heures de nuict, et mourut le 8. Avril 1520. à pareil jour, de sorte qu’il n’a vescu que 37 ans accomplis. Son pere se nommoit Jean de Santi Peintre, et n’eust de sa femme (mere de Raphaël) que luy qu’elle voulut nourrir ; apres l’avoir élevé son pere luy enseigna les principes du dessein, jusques à luy ayder dans son art ; mais quand il eut recognu la portée de son génie, il resolut de le donner à quelque Maistre capable de luy enseigner ce qu’il ne pouvoit luy apprendre : En ce temps-là Pierre Perugin estoit en haute estime ; Jean pere de Raphaël alla à Peruze le visiter, luy parla de son fils, en traitta avec luy, et s’en estans accordés il retourna à Urbin, d’où peu apres il conduisit Raphael à Peruge chez le Perugin. Ceste separation ne se fit pas sans beaucoup de larmes de sa mere qui l’aymoit tendrement. Aussi-tost que ce nouveau Maistre de Raphael eust veu sa gentille maniére de desseigner, ses belles qualitez et cette douceur qui luy estoit naturelle, il en fit ce jugement avantageux et conforme à la perfection de Raphaël Sansio, qu’il a possedée depuis à la gloire de la peinture. Car incontinant apres avoir étudié la maniere de Pierre Perugin, il l’imitoit si justement qu’on eust pris les coppies qu’il peignoit pour les originaux de son Maistre : La premiere piéce à quoy il travailla chez le Perugin, ce fut au grand Autel de S. François de Peruge, où il peignist certaines figures à huile à un Tableau d’Assomption de la Vierge, du dessein de Pierre, avec les Apostres autour du Sepulchre contemplans Jesus dans la gloire, qui luy pose sur le chef une couronne toute céleste ; et dans le marchepied de cet Autel il peignit trois petites Histoires, qui sont, une Annontiation, l’Adoration des Rois et S. Siméon au Temple, qui reçoit nostre Seigneur entre ses bras, tout entierement de la maniere du Perugin. Voila ce qu’il a peint de plus remarquable sous la conduitte de son Maistre, en suitte dequoy il se retira de chez luy, parce que le Perugin fit alors un voyage à Florence pour affaires, et Raphaël s’en alla à la Ville de Castello. Le premier Tableau qu’il peignit de son invention fut à l’Eglise de S. Augustin de Castello de cette mesme maniere, puis apres il peignit aussi un Crucifix à S. Dominique si bien dans ce goust que si le nom de Raphaël n’y eust pas esté, les plus cognoissans s’y fussent trompez et l'eussent crû du Perugin. À l'Eglise de S. François de la mesme ville, il peignit un petit Tableau des épousailles de la Vierge et Saint Joseph, dans un Temple merveilleusement achevé : là il monstra qu’il passoit desja son Maistre. Apres ces choses Raphael s’en alla à Sienne avec un Peintre nommé le Pinturrichio qui avoit entrepris la Bibliotecque du Dome, pour travailler à cet ouvrage, mais apres y avoir fait quelques desseins, il l’abandonna pour s’en aller à Florence, y voir les merveilles que le bruit du Carton de Leonnard da Vinci causoit, qui estoit une trouppe de Chevaux qu’il avoit desseignée pour peindre dans la Salle du vieil Palais ; comme aussi quelques nuditez des plus belles, que Michel l’Ange avoit desseignées à concurence de Leonnard : Ce que Raphael ayant veu les trouva si admirables, qu’il resolut d’y demeurer pour les étudier. Pendant son sejour de Florence il y peignit deux Tableaux pour un sieur Taddeo Taddei Florentin, qui tiennent encores de la maniére du Perugin, mais qu’il avoit un peu meliorée par l’étude : ceux-cy ne sont pas descripts, et une Vierge pour Laurens Nast, avant son fils dans son Giron qui recoit un oyseau d’un pe tit S. Jean tout joyeux, qui fut un tres-beau Tableau ; mais qui a esté tout brisé depuis dans l’accablement de la chûte de sa maison. En ce temps-là Raphael aprit la mort de ses pere et mere, cela l’obligea de s’en retourner à Urbin pour donner ordre aux affaires de leur succession, il y peignit deux petits Tableaux de nostre-Dame pour un Capitaine Florentin, qui sont de sa seconde maniere fort beaux et qui depuis sont tombez entre les mains du Serenissime Guido Baldo Duc d’Urbin, aussi bien qu’un petit Tableau d’un Christ qui prie au Jardin des Olives, si achevé qu’il semble de miniature, que le Duc conserve bien soigneusement. Apres que Raphael eut terminé ses affaires de sa succession il s’en alla à Peruge, où il peignit dans une Chapelle de l’Eglise des Freres Serts, un Tableau de Nostre-Dame, Saint Jean Baptiste, et S. Nicolas, et à Saint Severre petit Monastére de la mesme ville dans la Chapelle nostre Dame. Il peignit à Fresque un Christ en gloire, un Dieu le Pere, et quelques Anges autour, avec six Saincts assis, et trois de chasque costé qui sont S. Benoist, S. Romuald, S. Laurent, saint Hierosme, S. Maur, et S. Placide. Cet ouvrage fut trouvé beau, et y mit son nom en grosse lettre. Il peignit encores à Peruge pour les Religieuses de saint Anthoine de Padoue un Tableau d’une Vierge ayant son fils dans son giron vestu, pour plaire à ses venerables Dames où sont à ses costés saint Pierre et saint Paul, Sainte Catherine et sainte Cecile, dont les coiffures et les beaux airs de teste sont merveilleuses, puis au dessus de ce Tableau peignit un Pere Eternel dans un demy-rond, et au dessous du grand Tableau dans le marche-pied de l’Autel, encore trois petites Histoires : nostre Seigneur au Jardin des Olives, quand il porte sa Croix, puis mort au giron de la Vierge, qui furent trouvez admirables. Aussi montra-t’il par ces derniers ouvrages qu’il avoit entiérement changé sa premiere maniére pour une meilleure, par l’étude qu’il avoit faite à Florence. C’est pour quoy il s’y en retourna, et y fist le Carton d’un Christ mort que ses parens et amis portent au sepulchre, pour peindre à Peruge dans une Chapelle. Il y peignit aussi deux portraits d’Agnolo Doni et sa femme, puis apres il fit pour Dominique Covigiani un tableau d’une Vierge avec l’enfant Jesus, caressant saint Jean que sainte Elizabeth lui presente, et qui le soustenant regarde saint Joseph, qui appuié d’un baston la regarde aussi. Ce Tableau est admirable dans toutes ses parties. Pendant son deuxiesme sejour de Florence il estudia les œuvres de Masaccio mais celles de Leonard da Vinci et de Michel l’Ange le porterent puissamment à l’estude, et augmenterent de beaucoup sa maniere. Il eut encore une singuliere familiarité avec frere Barthelemy de saint Marc à Florence excellent Peintre, duquel il prit beaucoup du Coloris, aussi par eschange il luy enseigna les reigles de la Perspective. De là il retourna derechef à Peruge pour peindre ce beau Carton cy-devant descript du Dieu au sepulchre, et puis revint à Florence, où il com mença un Tableau d’Autel qu’il avança beaucoup, pour poser à l’Eglise du S. Esprit, où Rodolphe De ghirlandaio acheva une drapperie bleue, et en fit un autre pour envoyer à Sienne : Ces Tableaux ne sont point descripts. Ce fut en ce temps là que l’Architecte Bramante son parent, qui le pressant de le venir trouver à Rome luy fit laisser ce Tableau imparfait. Il luy escrivit que l’ayant mis dans l'esprit du Pape, pour lequel il avoit beaucoup basti, il y trouveroit assez de quoy s’exercer et monstrer ce qu’il sçavoit faire. Voilà Raphaël tout joyeux arrivé à Rome, et presenté au Pape Julles II., duquel il fut bien receu et caressé, où il commença à peindre dans la chambre de la Signature : Il y figura l’histoire qui represente les Theologiens qui accordent la Philosophie, et l’Astrologie avec la Theologie, où sont representez tous les Sages du monde. C’est ce que nous nommons l’Eschole d’Athenes ; j’en reserve la description dans la vie entiere de Raphael, puisqu’elle est gravée. Les compartimens et la voute de cette Chambre sont aussi remplies de petites histoires à figures du dessein de Raphael : c’est là où est peint le mont Parnasse avec plusieurs Poetes, diversement vestus et figurez dans une forest de bois de laurier, où plusieurs amours ceüillent des branches pour faire des guirlandes : les neuf Muses et Apollon y sont aussi peints à merveille. Dans une autre Façade il peignit ce grand sujet de la dispute du saint Sacrement, qui est aussi gravé en deux feüilles, avec plusieurs compartimens d’histoire et figures appropriez au sujet, entre autres Justinian qui donne les loix aux Docteurs pour les corriger, puis au dessus sont la Temperance, la Force et la Prudence ; ce l’autre costé il peignit le Pape ressemblant à Jules second, qui distribue les secrets Canoniques, et Jean Cardinal de Medicis qui depuis a esté Pape sous le nom de Leon Anthoine Cardinal del Monte, et Alexandre Cardinal Farnese, qui depuis a esté Pape Paul IIII. avec quelques autres portraicts. Tous ces ouvrages donnerent bien de la satisfaction à sa Sainteté. En ce mesme temps Raphaël peignit aussi le Pape Jules à huile d’une admirable beauté, qui fut posé à sainte Marie del Popolo avec un Tableau d’une Nativité à la mesme Eglise, où la Vierge couvre de son voile nostre Seigneur. Ces deux Tableaux ne monstroient que les festes solennelles : car quoi que Raphael eust une approbation generale et une belle maniere, quand il eut veu les belles choses de Rome qu’il estudioit continuellement, il s’acquit alors une plus grande perfection, et particulierement apres qu’il eut veu cette merveilleuse Chappelle de Michel l’Ange où il y sucça un tel goust, que de là il s’en alla tout refaire un Prophete Isaie à saint Augustin, qu’il avoit achevé auparavant. Ce qui monstra manifestement combien cette veuë luy fut d’utilité ; et Michel l’Ange à son retour à Rome voyant ce Prophete sçeut bien dire qu’on avoit monstré sa Chappelle à Raphael. Il y avoit pour lors un fameux Marchand Siennois à Rome nommé sieur Augustin Chigi grand amateur de la vertu et des vertueux, qui avoit desja fait peindre par Raphael une Galathée dans la gallerie de son Palais, nomme Chigi in trastevere, qui est environnée de Trittons. Il luy donna encore sa Chappelle à peindre à sainte Marie de la paix : Ce fut là où il desgorgea tout de bon le suc qu’il avoit tiré des œuvres de Michel l’Ange, où entre autres choses certaines Sybilles et Prophetes, quel ques femmes et enfans qu’il y peignit ravissent les yeux, et estonnent l’esprit des plus sçavans en ce bel art ; et ce qui luy acquit plus d’esclat fut qu’ayant veu, comme nous avons dit, la Chappelle de Michel l’Ange secrettement, ce dernier ouvrage de Raphael vit le jour avant mesme que la Chappelle de Michel l’Ange fut descouverte, outre que cet œuvre est estimé le plus beau que fit jamais Raphael. Il peignit apres pour un Camerier du Pape le Tableau du grand Autel d’Araceli, qui est une belle nostre-Dame en l’air avec un païsage, saint Jean, saint Francois, et saint Hierosme en habit de Cardinal, qui presente le Camerier à la Vierge, où tout l’expression fait effet, et c’est tout dire que c’est de Raphael. Puis apres continuant les chambres Papalles il y peignit une histoire du miracle du saint Sacrement, qu’ils appellent le Corporal d’Orviette ou de Bolsena, là un Prestre est à l’Autel accompagné de beaucoup de personnages necessaires au sujet qui sont autant de merveilles ; mais particulierement l’incredulité et la honte de ce Prestre y est admirablement bien exprimee ; de l’autre costé il represente le Pape qui assiste à cette Messe, avec le Cardinal saint Georges et quantité d’autres. Il peignit encore vis à vis cette histoire, saint Pierre prisonnier d’Herodes gardé par ses soldats, où toutes les parties de l’art sont admirablement bien exprimées ; puis continuant de decorer ces sales, il peignit l’Arche d’Alliance avec le Chandelier sur un des parrois ; puis le Pape Jules, qui bannit l’avarice de l’Eglise, qui se fait porter par ses palfreniers, et de plus l’histoire d’Heliodore, qui par le commandement d’Antioche veut piller le Temple où les veuves et les orphelins ont deposé tous leurs biens, qui sont belles à son ordinaire. En suitte de ces choses il peignit quatre histoires dans les voûtes, qui sont l’apparition de Dieu à Abraham lors qu’il luy promit lignée, son sacrifice d’Isaac, l’eschelle de Jacob, et le buisson ardent de Moyse, toutes excellentes, apres quoy le Pape Jules deuxiesme mourut ; mais Leon dixiesme estant creé fit continuer Raphael et ses ouvrages ; il peignit l’arrivée d’Attilla dans Rome, d’où il est chassé par le Pape Saint Pierre, et saint Paul y apparoissent en l’air. Environ ce temps-là il fit un Tableau pour enuoyer à Naples dans une Chappelle de saint Dominique où est le Crucifix qui parla à sainct Thomas, c’est une nostre Dame avec saint Hierosme vestu en Cardinal, et l’Ange Raphael qui conduit Tobie. Puis il peignit une autre Vierge pour le sieur Leonello de Carpi : Cette Vierge à mains jointes admire son Fils assis sur ses jambes, caressant saint Jean, qui ensemble avec saint Joseph et sainte Elizabeth luy rendent toutes les marques d’une veritable adoration, où Raphael s’est surpassé luy-mesme. Il peignit encore un autre tableau de Ste. Cecille pour le Cardinal Santi-quatre, grand Penitentier pour envoyer à Boulogne, qui est aujourd’huy placé dans la Chappelle où repose le corps de la bien heureuse Helene de lHuile : Cette sainte est attentive et toute ravie de l’armonie d’une musique celeste, accompagnée d’un saint Paul, Marie Magdelaine, saint Augustin et saint Jean l’evangeliste, avec beaucoup d’instrumens à leurs pieds ; tout y est pesé, desseigné, exprimé, et peint à merveille ; de sorte que les beaux Esprits du temps composerent plusieurs vers Latins et Italiens à la gloire du Peintre et de son Tableau. Pingant sola alii, referant que coloribus ora ; Cæciliæ os Raphael atque animum explicuit. Apres quoy il peignit un autre petit Tableau pour envoyer aussi à Boulogne au Comte Vincent Areolano d’un Christ sur les nuës, en Jupiter, au milieu des quatre evangelistes, ainsi que le Prophete Ezechiel les écript en forme d’animaux, avec un beau paisage au bas, figure pour la terre. Raphael envoya aux Comtes Canossa à Veronne une grande Nativité de nostre Seigneur où est peinte l’Aurore avec une saincte Anne, que l’on ne sçauroit mieux loüer qu’en disant qu’elle est de la main de Raphael. Il peignit aussi un nommé Bindo Altoviti dans sa jeunesse, puis il fit une Vierge pour envoyer a Florence où est sainte Elizabeth desia vieille, assise, qui pose nostre Seigneur sur sa mere, accompagnée d’un petit saint Jean nud et assis et d’une autre Sainte, ayant disposé une fenestre dans le fonds de ce tableau qui donne jour aux figures, où tout est excellemment bien observé. Puis apres il fit le portrait du Pape Leon dixiesme d’une assez belle grandeur, accompagné des Cardinaux Jules de Medicis et de Rossi. Il monstra bien dans cette œuvre-là des marques de sa grande patience, à imiter si justement tout ce qui est peint sur le naturel. Tant y a qu’il assembloit continuellement merveilles sur merveilles, aussi sa Sainteté l’en recompensa bien. Il peignit encore les Ducs Laurent et Jullian de Medicis, beaux à son ordinaire : tant d’excellents ouvrages acquirent beaucoup de reputation et de facultez à Raphael, si bien qu’il resolut de se bastir un Palais dans Rome à Bourgneuf, que l'Architecte Bramante son parent conduisit. Le bruit de cette reputation ne s’en ferma pas tout dans Rome, il vola par dessus les Alpes et se fit entendre en France, en Flandres, en Allemagne, et par tous les lieux où la vertu a des retraites. Albert Durer Peintre et Graveur admirable luy envoya de ses œuvres gravées en tailles douces, avec son portraict peint sur toile tres-fine d’une methode gentille. Il estoit coloré à gomme sans rehauts de couleur, veu des deux costez esgalement bien : c’estoit la blancheur de la toille qui le rehaussoit. Raphael l’estima beaucoup, et pour ne luy point ceder en generosité il luy envoya plusieurs desseins de sa main, que sans doute il receut avec beaucoup de joye. Les Estampes d’Albert Durer donnerent envie à Raphael de faire graver, et porta Marc Anthoine Boulognois à se fortifier dans le dessein, pour se rendre plus capable de bien suivre ceux qui lui vouloit faire graver, à quoi il reüssit assez heureusement. Les premieres planches qu’il lui grava sont la Lucrece, le massacre des Innocents, une Cene, le Neptune et quantité d’autres, dont je parleray cy apres, de Raphaël Sansio et qu’il donna à imprimer à un sien serviteur nommé Baviere qui estoit à ses gages, et qui avoit aussi la charge d’Œconome de sa maistresse, que Raphaël peignit. Il ne faut pas demander si ce portrait estoit beau, puis qu’elle faisoit une bonne partie de ses inclinations. Ce Tableau a esté depuis porté à Florence avec admiration. Retournant aux Tableaux de Raphael, il en peignit un grand pour envoyer à Palerme, Ville Capitalle de Sicille, au Convent du mon Olivet ; c’est un Christ qui porte sa Croix, beau à son ordinaire en tout ce qu’il contient et accomply en tout ce qui est necessaire pour la representation de ce mystere. C'est ce Tableau que l’inconstance des ondes et de la mer respecta, lors que le voulant envoyer à Palerme il ne resta de tout l’équippée ny vaisseau, ny matelots, ny marchands, ny marchandises, que le seul Tableau de Raphael encassé. Il fust repesché aux costes de Genes par des passagers qui le porterent à cette ville-là, où estant déployé il ne se trouva nullement gasté. La nouvelle en venant jusques à Rome, il fallu que le Pape mesme s’employast pour le faire restituer à ses Religieux de Palerme, qui le gardent par grande devotion. Tous ces travaux n’empescherent pas Raphael d’avancer les loges Papales où il tenoit continuellement des hommes qui travailloient sur ses desseins, que mesme la pluspart du temps il conduisoit de l’œil et de la main. Ces œuvres furent suivis d’un autre : La Chambre de la Tour Borgia où il peignit plusieurs Histoires ; l’une desquelles represente l’incendie de Borgo Vechio, que le Pape Leon IV. eteignit de sa benediction qui est merveilleusement belle, l’autre est du mesme Saint, qui ayant faict construire le port d’Ostie fust attaqué d’une armée navalle de Turcs pensant le surprendre et le faire prisonnier, où il y eust grand combat ; puis encore une autre Histoire où le Pape Leon X. sacre Francois premier Roy de France ; il estoit accompagné de plusieurs Cardinaux, Ambassadeurs et autres personnes et Officiers, necessaires à cette celebre ceremonie, desquels le Pape est suivy quand il tient Chapelle. L’autre Histoire figure le Couronnement de ce Roy par le mesme Pontife, qui est remply d’une varieté proportionnée à la magnificence du sujet. Le Pape y est peint au naturel, le Roy aussi, et plusieurs assistans de cette Royalle assemblée. La voûte de cette chambre avoit esté peinte par Pierre Perugin, Maistre de Raphael, qui ne l’a voulu pas faire hacher pour la refaire, tant il avoit de respect pour celuy duquel il tenoit des preceptes. Raphael entretenoit des designateurs par toutes l’Italie, à Pozzuollo, et jusques en Grece : grand témoignage de l’amour qu’il portoit à l’art et du desir qu’il avoit de veoir ce qui s’estoit faict de beau avant luy. II conduisit encore une autre Sale où sont des figures d’Apostres et autres Sts. feints de terre dans un tabernacle ; Jean de Udine disciple de Raphael qui peignoit les animaux à merveilles, y representa tous les plus rares de sa Saincteté. Dans le progrez de tant de superbes travaux l’Architecte Bramante mourut, au sujet de quoy Raphael receut l’ordre du Pape de continuer ses loges et ses bastiments qui restoient imparfaits. Il en desseigna les escalliers et les autres parties, et mesme en fit faire un modele de bois avec beaucoup plus de majesté que n’avoit fait Bramante ; et d’autant que le Pape voulant monstrer sa magnificence dans la splendeur de son bastiment, Raphael fit tous les desseins des Stucs, des ornemens, et des Histoires, mais pour les Grotesques il establit Jean d’Udine pour en avoir la conduitte, Jules Romain eut l’ordre de travailler aux Histoires, encores qu’il en fit fort peu, avec Jean Francois, dit le Fattore Bologne, Perino del Vaga, Pelegrin de Modene, Vincent de St Geminiano, Polidore de Caravage et plu sieurs autres les aiderent aussi, le tout sous la conduitte de Raphael qui donna tant de satisfaction au Pape, qui luy confirma la sur-intendance de tout ce bastiment. Ce fut luy qui fit le dessein de la vigne de sa Saincteté, et de plusieurs maisons in borgo : et particulierement celuy du Palais de Me. Jean Baptiste de l’Aquila qui estoit tres beau, un autre à l'evesque de Troyes, qui fut basti à Florence ; retournant à sa peinture il fit le tableau du grand Autel des Moines noirs de Plaisance, où il peignit la Vierge, S. Sixte et Saincte Barbe, beau en toutes ses parties, puis il fit encores d’autres Tableaux pour envoyer en France, entre lequel estoit le Saint Michel qu’il envoya au Roy François premier, duquel il fut bien recompensé. Il fit aussi le portraict de Beatrix Ferraroise et d’autres belles Dames ; mais particulierement de la sienne. Il estoit extremement courtois et prompt à les servir. Le sieur Augustin Chigi n’auroit pas si tost veu la fin des ouvrages que Raphaël luy peignoit, s’il ny eust employé sa maistresse et mesme la prier de vouloir prendre logement chez luy. Il fit tous les cartons des Tableaux qui y sont et y peignit luy mesme beaucoup de Figures à Fresque. Il disposa dans la voute le Conseil des Dieux avec les Noces de Psiché, Et dans les angles des arcades, diverses Figures representans des Dieux et Déesses, qui sont Mercure vollant, Jupiter qui baise Ganimede, le Char de Venus, et les graces qui avec Mercure eslevent Psiché dans le Ciel, outre plusieurs autres Histoires Poetiques dans les autres Angles ; puis dans les coings de ladite voute il peignit quantité d’amours et petits enfans, portant chacun les armes des Dieux qu’ils representoient, la foudre pour Jupiter, un autre l’espée de Mars, puis une peau de Lion pour Hercules, et ainsi des autres, tous lesquels estoient accompagnés des animaux qui leurs sont familliers. Toute cette belle varieté estoit enrichie de beaux festons de Fleurs et de fruits, peints par Jean d'Udine, qui excelloit aussi en cette partie là. Dans cette grande vogue où il estoit, le Pape luy commanda de peindre la grande Sale d’en haut, où sont les Victoires de Constantin, laquelle il commenca ; et de luy peindre des Tableaux pour faire des Tapisseries, à quoy il s’apliqua en colorissant beaucoup luy mesme, tellement qu’il en est sorty ces belles Tapisseries des actes des Apostres qu’on voit à Rome et à Paris, les plus belles du monde, dont la tenture cousta 70. mil escus. Tant de merveilles acumullées les unes sur les autres, par tant de penibles travaux ne luy empescherent pas de peindre encores un beau sainct Jean sur toile, pour le Cardinal Colonne, qui a esté depuis porté à Florence ; lequel on ne sçauroit assez estimer ; et encores apres un autre grand Tableau qu’il peignit au Cardinal Jules de Medicis pour envoyer en France. C’est ceste miraculeuse Transfiguration de nostre Seigneur sur le mont de Tabor, qui est au jourd’huy à S. Pierre Montorio, qui fut son dernier ouvrage car apres qu’il fut achevé il cessa de vivre. Puis que Raphaël cesse de travailler avant que d’entrer au discours de sa maladie et de sa mort : j’ay creu qu’il estoit necessaire de dire quelque chose de ces differentes manieres, pour satisfaire à la curiosité des Peintres et autres personnes de l’art. Il avoit dans sa jeunesse estudié la maniere de Pierre Perugin, laquelle il fortifia de coloris, de dessein, et d’invention, mais quand il eust atteint plus d’age et de cognoissance, il s’aperceut bien qu’il n’avoit encore rien fait et qu’il estoit bien esloigné du vray, particulierement quand il vit les œuvres de Leonnard da Vinci, qui donnoit la grace et le mouvement aux airs des Testes, et aux Figures, qui n’eust en cette partie là jamais de semblable, il en demeura tout surpris, et d’autant qu’il y prenoit un grand goust: il se mit à l’estudier, s’efforcant d'oublier cette maniere du Perugin son Maistre, ce fut lors qu’il fit des efforts d’esprit extraordinaires pour suivre Leonnard de prés, mais quoy qu’il fit, il ne l'a jamais surpassé, bien que plusieurs ont dit qu’il l’avoit passé en douceur, et une facilité qui luy estoit naturelle, toutefois il ne le surmonta jamais de conceptions terribles ny dans cette force d’art dans lequel Leonnard a eu peu d’egaux ; Raphaël ayant esté l’unique qui en est aproché de plus pres. La maniere seiche du Perugin luy donna aussi beaucoup de peine, lors qu’il se mit à estudier les nuds du Carton de Michel l’Ange si difficiles, ses racourcis, ses grands contours si sçavants et si arrestez. Sans doute qu’un autre qui auroit eu moins d’ardeur ou de courage que luy auroit abandonné la science, voyant desja tant de temps escoullé et se trouver si esloigné du bon, et de la veritable proportion. Ce n’est pas que ce que Raphael faisoit alors ne fut beavet d’un grand esprit, mais il vouloit voller plus haut, aussi continuant d’estudier Michel l’Ange tout de bon, dans sa maniere pleine de difficulté et de travail de Maistre qu’il estoit, il devint nouveau disciple s’efforcant d’aprendre, estant desja homme en peu de mois, ce qu’il auroit eu besoin dans une jeunesse qui retient tout de plusieurs années. Mais tant plus il s’efforçoit et plus il rencontroit de travaux, pour arriver au fonds du sçavoir de Michel l’Ange : De sorte que cessant cét estude il se resolut de pratiquer la Peinture dans ces autres parties. Et comme il avoit un grand jugement, il pensa que toute la perfection de ceste Science ne consistoit pas seulement à faire des nuds, mais qu’elle avoit beaucoup d’estendue dans sa varieté et dans toutes les parties de la nature. En ce temps là il y avoit à Florence de Raphaël Sansio un frere Berthelemy de saint Marc, qui peignoit agreablement, et desseignoit d’un assez bon goust. Raphael s’appliqua a imiter cette partie qui luy sembloit la plus agreable : si bien que de tout ce meslange d’estude il en composa une belle et gracieuse maniere qui luy demeura. Il la vit dans sa perfection aux Prophetes et Sibilles qu’il peignit à N. Dame de la Paix : ayant fait cet ouvrage apres avoir veu la Chapelle de Michel l’Ange. S’il se fust tenu à ce juste millieu il auroit entierement possedé la vertu du sage sçavant ; mais voulant passer plus outre, et monstrer qu’il entendoit aussi bien les nuds que Michel l'Ange, il s’escarta un peu ; comme on le voit à l’incendie de la Chambre de la Tour Borgia, et aux voûtes du Palais d’Augustin Chigi, où ses ouvrages ne se trouverent pas avoir ceste grace, ny ceste douceur. Il est vray qu’il y emploia ses hommes qui diminuerent beaucoup de sa perfection ordinaire, ce qu’il recogneut bien luy mesme, de sorte qu’il se resolut de faire de là en avant ses Tableaux luy seul, ainsi qu’il le pratiqua sur celuy de la Tranfiguration qui est à S. Pierre Montorio : cette petite reprise n’ayant este faite que pour monstrer avec combien d’estude et de travaux se conduisit ce judicieux artisan, afin que ceux qui estudient le dessein y faisant reflexion, sçachent profiter de l’advantage que Raphaël leur a enseigné, puis qu’il sçeust si sagement choisir le beau et l'utille pour la perfection de son art. Je voudrois encore dire que chacun se devroit arrester à estudier ce qu’il cognoist luy estre naturel, et où son inclination le porte sans forcer son esprit : car le voulant trop contraindre de produire des choses qui ne sont point nées avec luy, il n’em porte bien souuent que de la honte et de la confusion pour toute la recompense d’un penible travail. Pour achever la vie de Raphael il est dit qu’il avoit contracté une estroite amitié avec Bernardo Divizio Cardinal de Bibienna, qui luy avoit voulu donner une sienne Niepce en mariage, ce que Raphaël n’avoit pas entierement refusé, mais il luy avoit demandé trois ou quatre années de relâche avant que s'y resoudre. Ce terme estant expiré, le Cardinal l’advertit de sa parole, Raphaël s'y accorda bien et accepta la Niepce de ce Cardinal pour sa future espouse, mais il reculoit tousjours le plus qu’il pouvoit de se marier, et veritable ment il avoit de plus hautes portées : il y avoit desja long temps qu’il travailloit pour le Pape et pour toute sa Cour, on luy devoit beaucoup d’argent, il eust admis que sa Saincteté alloit faire une grande promotion de Cardinaux, et qu’achevant la Sale à laquelle il travailloit, il pourroit avoir un Chappeau Rouge pour recompence de tant d’illustres travaux, ajoustant qu’on en avoit proposé de moindre merite que le sien. Ceste nouvelle le reveilla merveilleusement, et au lieu de penser à son mariage, il s’amusa à se divertir avec d’autres amours familiers, et s'y porta si desreglement une fois plus que d’autres qu’il s’en retira accompagné d’une grosse fievre. Ses Medecins ignorans la cause de sa maladie pour n’en estre pas advertis, car il leur avoit cellé, le traitterent en malade de fiévre, luy firent tirer force sang, au lieu qu’il avoit besoin de restaurens pour restablir ses forces abatues, si bien que se trouvant bien affoibly il voulut faire son Testament : Mais avant toutes choses comme bon Chrestien, il fit retirer sa donne de son logis, luy despartit de ses biens pour vivre honnestement, puis il se confessa et partagea ses autres biens, instituant Jules Romain, Jean Francesque dit le Fatore ses disciples, et un Prestre d’Urbin, son parent et ses heritiers ; il ordonna sa Sepulture à l’Eglise de N. Dame de la Rotonde, commandant de poser une Vierge de Marbre sur l’Autel de la Chappelle où il devoit estre enterré, et qu’on y restablit le Tabernacle, et fit executeur de son Testament Messire Baltazar de Pescia d’Ataire du Pape ; puis contrit, Confessé, et Communié, mourut à pareil jour qu’il étoit né, qui fut un Vendredy Sainct, agé seulement de 37. ans, regretté et pleuré du Pape. La mort de Raphael fut une grande perte pour la peinture, il l’avoit portée bien haut, et l’auroit sans doute eslevée jusques à son dernier degré s’il eust vescu davantage. Il fut enterré honorablement suivy d’un grand nombre de peuple et de tous ceux de l’Art, le Bembo luy erigea l’Epitaphe Latine qui suit. Raphaeli Sanctio Ioan. F. Urbinat pictori Eminentiss. uterumque Emulo cuius spiranteis Prope Imagineis si Contemplere naturæ atqua Artis Fœdus Facile Inspexeris Iulii II. et Leonis X. Pont. Max. Picturæ et Architect. Operibus Gloriam Auxit, A. Xxxvii Integer Iate gr. Quo Die Natus Est, Eo Esse Destit viii. Id April. M. D.XX Ille hic est Raphael timuit que sospite vinci. Rerum magna parens, et moriente mori. Le Comte Baltazar Castiglione écrivit de sa main en ces termes. Quod iacerum corpus medica sua naverit arte. Hipolitum etc. Jules Romain, disciple et heritier de Raphael luy fut d’un grand secours, suivant sa maniere exactement, en ses dispositions, desseins et coloris, plus qu’aucun autre. Il peignit sous luy quelques Histoires de vieil Testament, qui sont dans les loges que fit bastir Leon X., et entre autres la Creation d’Adam et Eve, celle des animaux, la construction de l’Arche de Noé, son Sacrifice, et quelques autres qui se cognoissent assez par sa maniere de peindre : Comme Moise trouve sur les Eaues par la fille du Roy Pharaon avec son beau peïsage. Il peignit aussi dans la Chambre de la Tour de Borgia, et au Palais d’Augustin Chigi à plusieurs tableaux à huile et à fresque, il aida Raphaël à peindre la Vierge avec Saincte Elizabeth, qui fut envoiée en France au Roy Francois premier, aussi bien que la Saincte Marguerite laquelle il peignit presque entierement. Il peignit encores l’habit du portraict de la vice Reyne de Naple que Raphael avoit peinte, aussi envoyé en France, enfin Jules et Francois dit le Fatore, acheverent les quatre Histoires des Gestes de l’Empereur Costantin, que Raphaël avoit commencées dans la grande Sale. L’une des quelles represente Constantin qui harangue les Soldats, ou le signe de la Croix parut au Ciel avec ces paroles : In hoc signo vinces. Dans la plus grande Sale il peignit cette fameuse et memorables Bataille emportée par Constantin contre le Tiran Maxence, aussi dessignée par Raphael, dans un autre endroit il representa les Ceremonies du Baptesme de Constantin, celebres par Sainct Silvestre Pape, qu’il peignit sur le visage de Clement VII., alors Souverain Pontife. La derniere est S. Siluestre Officiant Pontificallement dans l’Eglise Sainct Pierre, assisté du Sacré College des Cardinaux, où l’Empereur estant aux pieds de ce Sainct Pape luy donne une Rome toute d’or.