(1699) Abrégé vie des peintres
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(1699) Abrégé vie des peintres

RAPHAEL SANZIO NAQUIT à Urbin le jour du Vendredy Saint en 1483. Son Pére êtoit un Peintre fort médiocre, et son Maître fut Piêtre Pérugin. Ses principaux Ouvrages sont à fraisque dans les Sales du Vatican, et ses Tableaux de chevalet sont dispersez en divers lieux de l'Europe. Comme il avoit l'Esprit éxcellent, il connut que la perfection de la Peinture n'étoit pas bornée à la capacité du Pérugin ; et pour chercher ailleurs les moyens de s'avancer, il alla d'abord à Siénne, où le Pinturrichio son Ami le mena pour faire les cartons des Tableaux de la Bibliothéque : mais à peine en avoit-il fait quelques-uns, que sur le bruit des Ouvrages que Leonard de Vinci et Michelange fai soient à Florence, il s'y transporta pour en profiter. En effet, dés qu'il eût considéré la maniére de ces deux Grans Hommes, il prît la résolution de changer celle qu'il avoit contractée chez son Maître ; il retourna à Pérouse, où il trouva beaucoup d'occasions d'éxercer son Pinceau : mais le ressouvenir des Ouvrages de Leonard de Vinci luy fit faire une seconde fois le voyage de Florence, et aprés y avoir travaillé quelque tems à fortifier sa maniére, il alla à Rome, où Bramante son parent, qui avoit préparé l'Esprit du Pape sur le mérite de Raphaël, luy procura l'Ouvrage de Peinture qu'on devoit faire au Vatican. Raphael commença par le Tableau qu'on appelle l’Ecole d'Athénes, puis la Dispute du saint Sacrement, et ensuite les autres qui sont dans la Chambre de la Signature. Les soins qu'il y prit sont incroyables ; aussi ne furent-ils pas infructueux, car la réputation de ces Ouvrages porta le nom de Raphaël par tout le Monde. Il forma la delicatesse de son Goût sur les Statuës et sur les Bas-reliefs Antiques qu'il dessina long-tems avec une extrême application. Et il joignit à cette délicatesse une grandeur de maniére que la vuë de la Chapelle de Michelange luy inspira tout d'un coup. Ce fut Bramante son Ami qui 1 l'y fit entrer contre la défense générale que luy en avoit fait Michelange en luy en confiant la clef. Outre les peines que Raphaël se donnoit en travaillant d'aprés les Sculptures, il entretenoit des gens qui luy dessinoient dans l'Italie et dans la Gréce tout ce qu'ils pouvoient découvrir des Ouvrages Antiques, dont il profitoit selon l'occasion. On remarque qu'il n'a laissé que peu ou point du tout d'Ouvrages imparfaits, et qu'il finissoit éxtrémement ses Tableaux, quoy que tres-promtement. Il se donnoit tous les soins possibles pour les réduire dans un état qu'il n'eut rien à se reprocher ; et c'est pour cela qu'on voit de luy un crayon de petites parties : comme des mains, des pieds, des morceaux de draperies, qu'il dessinoit trois ou quatre fois pour un même sujet, afin de prendre ce qui luy en sembleroit de meilleur 2 Quoy qu'il ait été fort laborieux, on voit fort peu de Tableaux faits de sa propre main ; il s'occupoit plus ordinairement à dessiner, pour ne point laisser inutiles le grand nombre d'Eléves qui ont éxécuté ses Desseins en plusieurs endroits, principalement dans les Loges et dans les Appartemens du Vatican ; dans l'Eglise de Nôtre-Dame de la Paix, et dans le Palais Ghigi, à la résérve de la Galatée et d'un seul Angle, où sont les trois Déesses qu'il a peint luy-même. Son tempéramment doux le fit aimer de tout le monde, et principalement des Papes de son tems. Le Cardinal de Sainte Bibiane luy offrit sa Niéce en mariage, et Raphael s'y étoit engagé : mais dans l'attente du Chapeau de Cardinal que Leon X. luy avoit fait espérer, il en différoit toujours l'éxécution. La passion qu'il avoit pour les femmes le fit périr à la fleur de son âge : car un jour qu'il s’y étoit éxcessivement abandonné, il se trouva surpris d'une fiévre ardente, et les Médecins, à qui il avoit celé la cause de son mal, l'ayant traité comme d'une pleurésie, achevérent d'éteindre les restes de chaleur qui étoient dans un corps déja épuisé. Sa mort arriva le même jour que sa naissance, le Vendredi Saint de l'année 1520, en la trente- septième de son âge. Le Cardinal Bembo fit son Epitaphe, qu'on lit dans l'Eglise de la Rotonde où il fut enterré. Je n’en rapporteray que ces deux Vers, qui sont admirables. Ille hic est Raphaël timuit quo sospite vinci Rerum magna parens et moriente mori. Ses Disciples furent Jules Romain, Jean-Francesque Penni, surnommé, il Fattore, Pellegrin de Modéne, Perrin del Vague, Polidor de Caravage, Mathurin, Bartholomaeo d'a Bagna Cavallo, Timothée d’a Urbino, Vincent d’a San Geminiano, Jean d'Udiné, et autres. Quelques Flamans fort habiles ont aussi été ses Disciples, et l'ont aidé dans l'éxécution de ses grans Ouvrages : comme Bernard Van-Orlay de Bruxelles, Michel Coxis de Malines, et autres, qui, étant retournez en leur Pais, curent soin de l'éxécution de ses Desseins de Tapisserie. Outre ses Eléves, il y avoit une grande quantité de jeunes Etudians et d'Amateurs, qui fréquentoient sa maison, et qui l'accompagnoient souvent à la promenade. Michelange l'ayant un jour rencontré accompagné de cette sorte, luy dit en passant, qu'il marchoit suivi comme un Prévôt, et Raphaël luy répondit, qu'il alloit luy tout seul comme le Bourreau. Il y eût toûjours beaucoup de jalousie entre ces deux grans Peintres, comme il arrive d'ordinaire entre les personnes de la même Profession, lorsque leurs sentimens ne sont point réglez par la modestie.

REFLEXIONS Sur les Ouvrages de Raphaël.

REFLEXIONS Sur les Ouvrages de Raphaël. DEPUIS le rétablissement de la Peinture en Italie, il n’y a point eu de Peintre qui ait aquis tant de réputation que Raphaël. Il avoit un Génie fort élevé, et pensoit tres-finement ; sa veine étoit fertile, et l'auroit paru bien davantage, si elle n'avoit point été modérée par la grande éxactitude avec laquelle il terminoit toutes choses. Il étoit riche dans ses Inventions. Il paroît qu'il avoit des Principes tres-délicats pour disposer les choses qu'il avoit inventées ; et si ses Figures n'étoient pas groupées de lumières et d'ombres, elles l'étoient par leurs actions d'une maniére si ingénieuse, que les groupes en ont été toûjours regardées avec plaisir. Ses Attitudes sont nobles selon leurs convenances, contrastées sans affectation, éxpressives naturelles, et font voir de belles parties. Son Dessein est tres-correct, et il y a joint la justesse, la noblesse et l'élégance de l'Antique à la naïveté de la Nature, sans affecter aucune manière. Il a fait voir beaucoup de variété dans ses Figures, et encore plus dans ses airs de Têtes, qu'il tiroit de la Nature comme de la mere de la Diversité, en y ajoûtant toûjours un grand Caractére dans le Dessein. Ses Expressions sont justes, fines, élevées, piquantes ; elles sont modérées sans froideur, et vives sans éxagération. Ses Draperies ont été de petite manière dans ses commencemens, mais de grand Goût sur la fin, et jettées avec un bel artifice ; les plis en sont dans un bel ordre, et marquent toûjours le nud en le flattant, pour ainsi dire, avec délicatesse, et principalement à l'endroit des jointures. On peut néanmoins reprocher à Raphaël d'avoir habillé ses Figures presque toûjours de même étoffe dans les sujets qui en pourroient souffrir la variété et en recevoir plus d'ornement : Je parle pour les sujets historiques ; car pour les fabuleux et pour les allégoriques, dans lesquels on introduit des divinitez, on doit y avoir plus d'égard à la majesté des plis qu'à la richesse des étoffes. Comme Raphaël prenoit un éxtrême soin de dessiner correctement, et qu'il étoit jaloux, pour ainsi dire, de ses Contours, il les a marquez un peu trop durement, et son Pinceau est sec, quoy que léger et uni. Son Païsage n'est ni de grand Goût, ni d'un beau-faire. Ses Couleurs locales n'ont rien de brillant ni de choquant ; elles ne sont ni bien vrayes ni bien sauvages : mais les ombres en sont un peu trop noires. Il n'a jamais eû pour le Clair-obscur une intelligence bien nette, quoy qu'il semble par ses derniers Ouvrages qu'il l'ait cherché, et qu'il ait tâché de se l'aquérir : comme on le peut voir dans les Tapisseries des Actes des Apôtres, et dans son Tableau de la Transfiguration. Mais ce qui manquoit à Raphaël du côté du Coloris, se fait oublier par quantité d'autres parties qu'il a possédées. Il a même fait des Portraits si bien entendus de couleurs et de lumiére, que même de ce côté là ils pourroient entrer en comparaison avec ceux du Titien, aussi-bien que le Saint Jean qui est dans le Cabinet de Monsieur le Prémier Président, et qui dans toutes les parties de la Peinture mérite d'être reconnu pour le Chef d’œuvre de son Auteur. Le Poussin a dit de Raphael qu'il étoit un Ange comparé aux Peintres Modérnes, et qu'il étoit un Asne comparé aux Antiques. Ce jugement ne peut regarder que les pensées, le gout et la justesse du Dessein, et les Expressions. Les pensées de l'Antique sont simples, élevées et naturelles, celles de Raphaël le sont aussi : le Dessein de l'Antique est correct, varié selon les convenances, et d'un grand Goût ; celuy de Raphaël l'est aussi : l'Antique est savant et précis dans la collocation des muscles, et délicat dans leurs offices ; Raphaël n'a point ignoré cette partie. Il faut avouer néanmoins que ceux qui ont étudié soigneusement l'Anatomie par rapport à la Peinture, peuvent observer sur l'Antique une plus grande précision, et une plus grande délicatesse encore dans l'action des muscles qu'on ne la voit : je ne diray pas dans Raphaël, mais dans quelque Peintre que ce soit. Je tombe d'accord que cette grande justesse et cette grande délicatesse de l'action des muscles régle la précision des contours : mais je ne vois pas que Raphaël s'en soit assez écarté pour le réputer un Asne en comparaison de l'Antique. Il est vrai que Raphael a formé la grandeur de son Goût sur les belles Statuës, et qu'au sortir de chez le Pérugin son Maître ; elles luy enseignérent le bon chemin, il les suivit tete baissée au commencement : mais s'étant apperçû sur la fin que le chemin de la Peinture étoit différent de celuy de la Sculpture, il ne retint des enseignemens de celle-cy que ce qu'il en falloit pour son Art, et du reste il s'en éloigna à mesure qu'il avançoit en âge et en lumiére. On remarque sensiblement cette différence dans les Tableaux qu'il a peints en différens tems, dont les derniers approchent plus du caractére de la Nature. Le Poussin au contraire, aussi-bien qu'Annibal Carrache, quittérent ce qu'ils avoient de ce caractére de la Nature à mesure qu'ils s'attachérent plus fortement à l'Antique. Ils pouvoient tenir la même conduite que Raphaël, faire l'un, et ne pas omettre l'autre, car cet éxcellent Homme n'a pas seulement retenu de l'Antique le bon Goût, la noblesse et la beauté, mais il y a vû une chose, que, ni le Poussin, ni le Carache n’y ont pû appercevoir. C'est la Grace. Ce don de la Nature luy avoit été fait avec tant de plénitude, qu'il l'a répandue généralement dans tout ce qui est sorti de son Pinceau, et qu’il n’y a personne qui luy puisse disputer, si ce n'est le Corrége ; et si la Grace a réparé ce qui manquoit à celuy-cy du côté de la régularité du Dessein, Raphael en a fait un usage, qui a mis dans un beau jour la profonde connoissance qu'il avoit, non seulement dans cette partie, mais dans toutes celles qui luy ont attiré la réputation du prémier Peintre du monde.