Chapitre III. Personnages merveilleux des contes indigènes
Personnages merveilleux. La
divinité : Allah, Outônou, Ouinndé, Ngouala. — Potentats
débonnaires : les
« guinné ». — Pourquoi on a
diversifié leurs
appellations
génériques. — Différence avec les
djinns arabes. — Mélange du
génie africain et du
démon sémite. — Répugnance des
noirs à les
désigner sans
périphrase. — Leurs
diverses
appellations. — Géants et
nains. — Personnification des quatre
éléments. — Les
démons
et les
hafritt. — Les
animaux-génies. — Conceptions différentes des
animaux,
personnages des
contes et des
animaux jouant un
rôle dans les
fables. — Aspect
physique des
guinné. — Effet produit par leur
vue. — Moyen d’en
éviter ou d’en
réparer
les
effets. — Ouokolo, tyityirga, konkoma, gotteré. — Mœurs des
guinné. — Leur
caractère. — Moyen de se
soustraire à leur
malfaisance. — Intervention éventuelle. —
Leurs
unions avec la
race humaine. — Leurs
métis. — Enlèvements et
substitutions
d’
enfants. — Les
bàtitado. — Durée de la
vie des
guinné. — Goules et
vampires. —
Sorciers et
anti-sorciers. — Jettatori — Végétaux, minéraux, objets, abstractions
jouant un
rôle dans les
contes. — Talismans, remèdes merveilleux, armes magiques.
Chaque littérature merveilleuse a ses personnages de prédilection : êtres surnaturels
ou êtres humains. Les êtres surnaturels se distinguent par les traits, le caractère, les
mœurs, l’apparence physique que leur prête l’imagination des conteurs ; les hommes
d’après leurs professions, certaines de celles-ci étant plus souvent mises en scène que
les autres66.
Nous allons passer en revue, étudier sommairement les divers personnages des contes
indigènes en indiquant les attributions qui leur sont conférées selon les différentes
races qui les imaginèrent.
Tout d’abord, constatons le rôle de la divinité dans quelques-uns de nos contes. Le
dieu s’appelle Allah dans les contes des peuples anciennement islamisés et il a, en
gros, le caractère du dieu de Mahomet. Chez les Bambara à demi-fétichistes, il devient
Gouala ou Nouala et la conception arabe est déjà déformée sensiblement. Quant au dieu
des Môssi, il est d’un caractère plus autochtone, c’est Ouinndé. Il en est de même
d’Outênou, la divinité des Gourmantié.
En général, ces dieux sont des souverains débonnaires et qui tiennent à l’homme de très
près : Outênou pardonne aux méfaits de ce sacripant de Fountinndouha et s’en fait même
le complice puisqu’il se laisse corrompre par la promesse d’un bounia67. NGouala, passagèrement gêné dans
ses affaires, demande du crédit à ses obligés. Outênou philosophe avec un marabout. Les
races qui ont imaginé ces potentats accommodants ne peuvent être ni méchantes, ni
foncièrement férues de hiérarchie.
Pour messagers ces dieux ont les malakas de même qu’un nâba môssi, ses soronés ou un
bâdo gourmantié, ses lâris.
Démons. — Les démons, ce type de la révolte vaincue et de l’éternelle
rancune, semblent assez rares et de conception islamique. Leur nom ; les blissi-ou (venu
d’Yblis) indique cette origine. Encore Ybilis est-il moins un démon qu’un guinné68
féroce et malfaisant69. Les noirs emploient souvent le mot
français « diables » pour désigner les guinné mais c’est faute de connaître celui de
« génies » qui serait un peu plus conforme au caractère qu’ils prêtent à ces êtres
surnaturels sans toutefois leur convenir absolument.
Guinné. — Les guinné jouent le rôle le plus constamment important
dans les contes merveilleux ou moraux. D’où ce nom leur vient-il ? Déjà les Latins
employaient le mot genius (venu du grec gênios) et les Arabes le mot djinn qui en est
sans doute le prototype. Ces génies ont ici un caractère si différent de celui des
djinns de la légende arabe et des génies tels que nous les concevons que j’ai cru devoir
leur conserver le nom générique indigène. J’ai adopté pour cette étude le nom ouolof
avec lequel mes premières études de folklore m’avaient tellement familiarisé qu’il me
paraît le seul nom qui convienne. Aucune autre raison ne me porte à favoriser le nom
bambara, gourmantié, peuhl ou haoussa de préférence à celui-ci.
Le nom de guinné, à mon avis, a dû être donné à une conception mythique et panthéiste,
antérieure à l’apparition de l’Islam. Cette conception serait d’origine africaine. En
revanche, l’idée du démon me paraît une importation sémite.
De même que les Grecs usaient d’une antiphrase pour nommer les malfaisantes Erynnies,
de même qu’en Écosse on use de la même précaution narrative, qu’en Allemagne les fées
sont « les bonnes dames » (Die weise Frauen), de même les noirs convaincus ne
s’aventurent-ils pas à appeler les guinné par leur nom générique. Ils les nomment : la
chose, l’être, la créature de brousse (kongomorho bambara, moutâné ndâzi) l’homme de
l’eau (moutâné rouha), le maître de l’eau (diandiam en peuhl)70. Le noir qui navigue sur le Niger entre
Mopti et Ségou désignera de même la faro71 par
cette périphrase : la femme peuhle (foula mousso) de peur que, mécontente de ce nom de
faro, elle ne submerge sa barque.
Noms divers. — Cependant les guinné ont leur nom : en bambara :
guina, en gourmantié : dyini et odyingou ; en peuhl : guinnârou (pl. guinâdyi), dzinna
en songhay ; bêlou72 en gourmantié de Pâma ; siga en môssi ;
bâri en soussou ; yébem en kâdo (pl. dougouné). Ces noms sont ceux des guinné de
grande taille. Les nains eux, portent des noms spéciaux qui leur sont un brevet plus
catégorique encore d’autochtonie : ouokolo ou nyama (bambara) tikirga ou tyityirga
(môssi) pori (au pluriel pora) gourmantié ; gotteré (peuhl), konkoma (malinké),
artakourma (dyerma) dêguédégué (ou dêdégué) (même pluriel kâdo).
Au cours des récits où figureront ces personnages surnaturels, je leur conserverai le
nom que leur donne l’indigène du pays où l’action se passe. En effet ces guinné ne
sont pas tous absolument taillés sur le même patron. Ils se différencient assez
nettement les uns des autres pour nécessiter un nom distinct et plus évocateur que
celui, trop uniforme, de guinné. Je n’emploie ce dernier vocable d’une façon générale
que pour les explications contenues dans cet essai. Les récits exigeront plus de
couleur, donc plus de précision.
Je vois dans ces guinné des sortes de divinités inférieures, reste d’une religion
primitive qui adorait craintivement les éléments symbolisés. Comme nature, les guinné
sont intermédiaires entre l’homme et le dieu supérieur dénommé ou pressenti. Lorsque
cette divinité eut centralisé les attributions dans ses mains et monopolisé à son
profit le culte, les anciennes divinités de second ordre passèrent au rang de
grandeurs déchues, presque de démons. Les dieux de l’antiquité ne furent-ils par
rabaissés au rang de démons au moyen âge lorsque le Christ régna en dieu incontesté
sur le monde ?73.
Nous allons les étudier par rapport aux éléments. Guinné de la terre et des
profondeurs souterraines, guinné de l’air, guinné du feu, guinné de l’eau.
-
I° Guinné de la terre et des profondeurs souterraines. — Ce
sont les guinné ouolof, les guina bambara, etc. Ils se divisent en géants et en
nains. Je ne connais pas de contes se rapportant aux guinné souterrains comme on en
trouve dans la littérature allemande. Cela tient sans doute à ce que les accidents
de terrain sont rares en Afrique et que les quelques races qui habitent les régions
accidentées sont peu communicatives et de tempérament défiant. J’en ai fait
l’expérience avec les Foutanké et les Habé et je n’ai malheureusement séjourné que
très peu de temps dans le Fouta Djallon ou dans le cercle de Bandiagara, ce qui m’a
empêché d’apprivoiser des gens, très réfractaires tout d’abord à la confiance,
surtout en ce qui concerne les êtres mystérieux.
- Je sais cependant qu’au Bouré on croit à l’existence d’un guinné qu’on appelle
Sanou (c’est-à-dire l’Or ou le semeur d’or). Les filons sont les traces de son
passage sous la terre.
- De temps à autre il se venge des mineurs qui violent sa retraite en provoquant
un éboulement meurtrier puis, apaisé pour quelque temps, il les laisse en paix
pendant une période plus ou moins prolongée. Je ne serais pas surpris qu’il y ait eu
dans ces régions aurifères des sacrifices humains destinés à calmer la colère du
Sanou et à obtenir de lui la permission d’exploiter les mines. La légende du
Ouagadou rapportée par Lanrezac (op.
cit.) me confirme dans cette opinion. Sitôt en effet que, manquant au pacte
consenti, les habitants de ce pays laissent Mamadou Saké tuer le serpent fétiche à
qui l’on consentait des sacrifices périodiques, on cesse de trouver de l’or dans la
région.
- Les gotteré peuhl semblent aussi de véritables gardiens des trésors cachés (tels
les korrigans bretons). Vaincus à la lutte, c’est avec de l’or qu’ils rachètent leur
vie.
-
2° Guinné de l’air. — Les ouokolo se déplacent souvent au
milieu des tourbillons qui, aux approches de l’hivernage, courent en entonnoirs de
poussière à la surface du sol desséché. Il suffit, paraît-il, de donner un coup de
dent dans ce tourbillon pour couper en deux le guinné. On voit alors tomber des
gouttes de sang sur le sol.
- La tornade est considérée comme le signe du passage d’un guinné.
- On pourrait peut-être ranger les hafritt parmi les guinné de l’air. Ceux-ci,
dont la conception est plus proche de l’idée de djinn que les autres guinné sont des
génies qui se déplacent en volant, des sortes de génies-oiseaux dont le déplacement
s’effectue progressivement, donc avec une moindre rapidité que celui des autres
guinné. Ces derniers se transportent d’un endroit à un autre avec la rapidité de la
pensée.
-
3° Guinné du feu. — Comme guinné du feu, je ne vois guère à
citer que les taloguina. Dans les contes autres que celui de ce nom on voit des
guinné vomir le feu (V. Le konkoma) se transformer en torche ardente
(V. Service de nuit) ; mais le feu n’est pas leur essence même et ils
ne vivent pas en lui comme dans un élément indispensable à leur existence74.
-
4° Guinné de l’eau : Ils portent les noms de guiloguina en
malinké, de faro chez les Bambara ; de mounou chez les Torodo, de moutâné rouha chez
les Haoussa, d’arikouna dyini chez les Dyerma et de diandiam chez les Peuhl. Il y a
en outre le démon des rapides de Soutadounou (v. le conte de ce titre) et le caïman
Goloksalah guinné des rapides de la Falémé (v. Bérenger-Féraud).
- Ce sont eux qui submergent les barques, rongent les cadavres des noyés et
provoquent les inondations. Lorsque Kayes fut inondé en 1905, on dit que le faro du
Sénégal se vengeait de ce qu’on lui avait capturé un de ses enfants ; que celui-ci
se trouvait dans la citerne de la Délégation sur le plateau, et qu’elle tentait
d’aller l’y reprendre.
- Ces guinné ne sont pas toujours malfaisants, et rendent parfois service aux
hommes, semblables en cela aux autres guinné.
Parmi les guinné, certains ont pour forme normale la forme animale. Il y a lieu de
les distinguer de ceux qui ne prennent cette forme qu’accidentellement et en vue d’un
but à réaliser. Je citerai dans cette catégorie des animaux-guinné : Niabardi Dallo le
caïman, Ninguinanga le boa et le lièvre de Féna. (A. S. Niânyi), l’hyène du conte de
Binanmbé, le lièvre de Le lièvre et le dioula, le serpent Minimini, le cheval de nuit,
le ouârasa le bayéni (Mauvais Gardien) les hyènes du conte « D’où vient le
soleil », celles qui gardent les métaux précieux (conte du Rapt des métaux),
l’éléphant Mamadi Bâ (Molo), l’hyène qui renseigne le roi Dinah (Lanrezac
op. cit.) le caïman Goloksalah (B.-F.) le charognard de Fatouma
Siguinné ; l’hyène et le lion gardiens de la morale ; les enfants animaux de la reine
des guinné (Hammat et Mandiaye) etc., etc.
Ces animaux-guinné perdent, lorsqu’ils figurent dans les contes, les caractéristiques
conventionnelles que les fables leur attribuent d’une façon invariable. Le pleureur
perd sa turbulence et ses instincts malfaisants pour devenir secourable (v. La
femme enceinte). L’hyène n’est plus un animal grotesque, avide et couard
mais un sage gardien des talismans (Binanmbé). Ce sont donc en réalité des guinné sous
forme animale et non des animaux ayant la puissance surnaturelle des guinné.
1° Les Géants. — L’aspect véritable des guinné n’est pas connu et
ne saurait l’être car — disent les Peulh — ils prennent toutes les formes qu’il leur
plaît. Aussi les verrait-on tels qu’ils sont réellement qu’on ne pourrait affirmer que
cet aspect est réellement le leur75.
Les Ouolof se les représentent comme des géants à membres grêles76 ayant un seul œil fendu dans le sens vertical et
placé sur le front au-dessus d’un nez très allongé. Ils leur supposent de très longs
cheveux et une barbe qui tombe jusqu’aux pieds.77 Enfin ils leur font jeter le feu par les yeux et par la bouche.
Quant aux déguisements qu’ils peuvent revêtir, ils sont innombrables : bouc, cabri,
chat, serpent, cartouche, torche flambante, etc, etc.
Selon les Peuhl, le guinnârou est de taille gigantesque ; ses pieds sont tournés à
l’envers et sa bouche fendue verticalement. Lui aussi porte des cheveux très longs.
Quant à sa couleur, elle est infiniment variable ainsi que les formes qu’il prend.
Dans Hammat et Mandiaye il est présenté comme ayant le dos en forme de lame de rasoir
et avec un seul de chacun des membres que l’espèce humaine possède en double.
Le guina bambara ressemble au guinné ouolof. Les contes où l’on parle de lui sont
d’ailleurs très sobres de descriptions.78
Le conte de La mounou de la Falémé s’accorde avec la description qui m’a été faite
des faro pour dépeindre celles-ci comme des femmes de couleur claire à cheveux longs
et lisses ainsi que les portent les femmes maures (ou syriennes, c’est-à-dire de race
blanche).
Aucune indication précise, différente de celles que je viens de transcrire, ne m’a
été donnée sur l’aspect physique des guinné gourmantié, haoussa, dyerma, hâbé79.
2° Les Nains. — Nul conte ouolof, à ma connaissance, ne fait jouer
de rôle aux nains et de ce côté nous n’avons aucun détail sur leur aspect physique. En
revanche ces petits guinné figurent dans un certain nombre de contes bambara et l’un
d’eux en donne un signalement assez précis.
Le nom du nain gourmantié : « pora » signifie aussi jumeau. Il y a chez beaucoup de
races noires un préjugé hostile aux jumeaux qui sont considérés comme sorciers (Peulh,
Bambara, Gourmantié, Môssi, etc.).
Le tyityirga môssi est-il, comme l’indique Desplagnes (op. cit.) une larve errant dans l’attente
de sa réintégration ? Aucun renseignement précis ne me permet de l’affirmer ou d’y
contredire80.
D’après les Peulh, les gotteré ont une tête énorme. Leurs pieds ne présentent pas le
caractère anormal de ceux des guinâdyi. — Les gotteré sont robustes et trapus et
porteurs d’une très longue barbe.
Le konkoma malinké est, lui aussi, une variété des ouokolo (ou nyama) bambara et, à
la barbe près, il répond au signalement qui vient d’être donné du gottéré.
Le ouokolo est un guinné intermédiaire entre le grand guinné et l’homme. Haut d’un
mètre au plus, il a les pieds tournés en arrière et porte la longue barbe qui semble à
peu près générale chez les nains ; il est toujours de couleur sale par suite de
l’habitude qu’il a de se coucher parmi la cendre.
Son nom de nyama est donné en sobriquet au gens de petite taille. On le donne aussi
aux griots.
Comme pour les Napeae antiques, qui les voit devient fou et meurt le plus souvent.
Sinon il reste muet ou paralysé. Ceux même qui sont parvenus à les mettre en fuite
gardent longtemps l’esprit égaré et le corps malade et ne se rétablissent que
malaisément.81 Cependant on peut se préserver de ce danger en
portant des grigris spéciaux, donnés généralement par les guinné eux-mêmes. (Voir
Le fils adoptif du guinnârou). L’homme assez brave pour rester calme
à leur aspect a des chances de se tirer indemne du mauvais pas. (Les maîtres de
la nuit, Le cabri, etc.).
Mœurs et habitudes des Guinné. — Les guinné proprement dits
habitent parfois des villages bâtis à la façon de ceux des hommes. Ces villages
restent invisibles pour quiconque ne possède pas de talisman particulier tel par
exemple que la bague du mari d’Anta la guinné82. Il y a même de ces villages au fond de l’eau pour les
guilo-guina et les faro83. Une faro habite entre Ségou et Mopti sur le Niger une île
qu’on nomme Faroti. Si cette faro est irritée, les innombrables oiseaux qui sont sur
la grève restent silencieux. S’ils jacassent bruyamment c’est un signe que la faro
n’est point en colère et que l’on peut passer sans péril.
Les guinné sont cependant plutôt d’humeur solitaire et habitent de préférence
certains arbres, les plus majestueux de la brousse. Ceci semble confirmer mon
hypothèse que ce sont d’anciens dieux inférieurs comme le furent par exemple les
dryades et les sylvains. Leurs demeures végétales de prédilection sont les baobabs,
les fromagers, les cailcédrat, les tâli et les siengueu. Ceux qui sont moins
farouchement individualistes habitent, à deux ou trois, des bosquets dans un isolement
moins absolu.
D’autres sont encore plus éclectiques en fait d’habitation. Ils élisent domicile dans
des termitières (v. Le chiffon magique — La femme de
l’ogre) ou encore dans des terriers.
Le guinné possède au plus haut point l’instinct de propriété. Il n’aime pas qu’on
viole son domicile, qu’on fasse un lougan sur son terrain (Le chien de
Dyinamissa, —Les coups de main du guinnârou), qu’on vienne
chercher du bois dans ses futaies (Le feu des guina). Il se venge
cruellement de toute atteinte portée à ses droits. Parfois même il fait payer à
l’espèce humaine sans discernement le tort qu’un homme lui aura fait subir (v.
Le diable jaloux). Il y a chez les guinné comme chez les humains,
pour ceux du moins qui vivent en société, une hiérarchie constituée. Ils ont des chefs
de village (v. La gourde), des rois et même des reines (v. La
sage-femme de Dakar, —Hammat et Mandiaye). Il n’existe pas de
loi salique chez les guinné.
Les guinné ont des troupeaux à eux (voir à ce sujet le conte de Soutadounou — Les
ancêtres des Bozo, etc.). Cultivent-ils des lougans ? Eux qui sont doués du pouvoir de
procurer aux hommes tant de choses par une simple manifestation de leur volonté ne
doivent pas se donner beaucoup de peine pour faire produire la terre. Cependant la
logique n’est pas l’inspiratrice exclusive des faiseurs de contes. Aussi ne peut-on
conclure par déduction qu’ils ne cultivent pas de lougans. Et en effet nous voyons
dans « Les tomates de la pori » que celle-ci en cultive un. Les guinné d’ailleurs se
nourrissent volontiers de végétaux et si, l’on en croit le conte kouranko de Nancy
Mâra, ne les mangent qu’à condition qu’ils n’aient pas subi de cuisson.
Il y a des guinné marabouts et même « ouâliou » mais, ceux-là me font l’effet d’être
déjà démarqués par l’Islam envahissant (le conte d’Ibrahima et des hafritt est plutôt
arabe que ouolof). C’est d’ailleurs chez les Ouolof que j’ai trouvé presque
exclusivement ce type de guinné. Le véritable guinné ne saurait avoir de religion que
celle de soi-même s’il est, comme je le pense, un des vestiges d’une ancienne religion
panthéiste. Il dut y avoir, dès l’origine, de bons et de méchants guinné comme il est
des forces naturelles favorables et de néfastes. C’est cette bonté ou cette méchanceté
que le musulman traduira par croyance ou mécréance, mais il y a là une interprétation
inexacte de la conception initiale.
Intelligence. — Le guinné devine la pensée. Il dit presque
invariablement à qui il rencontre : « Je sais ce que tu as dans le cœur. — Je sais ce
que tu veux ».
Caractère. — Comme tous les êtres animés et conscients, le guinné
est tantôt bon, tantôt méchant et même l’un et l’autre en même temps et selon les
circonstances. Quelquefois, sa malfaisance se restreint à des farces dangereuses.
C’est ainsi qu’il s’amuse à épouvanter ceux qui s’aventurent dans son domaine
d’obscurité car la nuit appartient au guinné et il interdit l’ombre comme d’autres
interdisent l’espace. Ses apparitions terrifiantes semblent surtout avoir pour but
d’éprouver le courage des voyageurs (v. Le guinné altéré. — Les
maîtres de la nuit. — S.-G. Diêgui, etc.). Le courage le
désarme et le rend impuissant.
Il n’est pas que le courage pour se sauver de lui. De bons grigris sont efficaces,
soit pour l’écarter, soit pour guérir les effets fâcheux produits par sa vue. Ces
grigris peuvent être des mots du Koran comme dans le chasseur de Ouallalane. Quant aux
simagrées des médecins toubabs, elles restent de nul effet (v. Le spahi et la
guinné
in fine).
Pour la faro, il y a des précautions particulières à prendre, notamment quand on
passe à proximité de l’île appelée Faroti entre Mopti et Ségou. Il est nécessaire, si
l’on a parmi les provisions des douceurs (lait ou miel), d’en verser un peu dans le
fleuve en offrande à la faro ; faute de le faire on courrait le risque d’être
englouti.
Le conte du Laptot giflé indique encore un moyen de se préserver des maléfices du
guinné lorsque l’on vient à quitter sa maîtresse tard dans la nuit. Il faut que
celle-ci attache son pagne de la main gauche et reste assise jusqu’à ce que l’amant
soit rentré chez lui.
Ils n’aiment pas les abeilles ; aussi n’habitent-ils pas les arbres où se trouvent
des ruches (v. Le miel aux tytyirga).
Les chevaux aussi protègent leurs cavaliers contre les guinné (v. à ce sujet le conte
de Service de Nuit). — Enfin il est à noter que la présence d’un chien
noir épouvante aussi les êtres de la nuit (v. à ce sujet Les nyama et le
cultivateur — Le canari merveilleux et Le chien de
Dyinamissa). Je renvoie le lecteur à la note détaillée qui suit ce
conte.
On peut aussi deviner leur véritable nature à leur façon de parler (le guinné aime à
parodier l’accent de ses interlocuteurs) et à leur prononciation nasale. (Voir
la fille d’Aoua Gaye).
Certains guinné protègent la faiblesse persécutée : les orphelines tourmentées par
leurs marâtres, les frères victimes de mauvais frères, les sinamousso dont les autres
co-épouses cherchent la perte, etc. D’autres au contraire ont un secret penchant pour
les gens malhonnêtes et les aident de tout leur pouvoir (v. NMolo, MBaye Poullo, etc.,
etc.). Quelquefois, ils font payer assez cher leurs services. Ainsi, dans Le pardon du
guinnârou, le guinné veut la vie de la sœur de son protégé en échange de l’aide
donnée.
Ils sont vindicatifs (v. Le guinné du tâli et L’implacable
créancier) et parfois même gratuitement féroces comme le guinnârou de
Fonfoya. Cependant ils ont l’orgueil de leur race et opposent volontiers, en paroles
sinon en actions, leur loyauté à la félonie de la race des hommes (v.
Mamadou et Anta la guinné).
Quelques guinné ont aussi des habitudes d’anthropophagie qui les apparentent aux
ogres de la légende indo-européenne. (V. La femme de l’ogre — Le
boa mari.84 — Ntyi vainqueur du boa — Khadidia
l’avisée — Les ailes dérobées etc.). Les faro rongent
certaines parties du corps des gens qu’elles ont entraînés au fond de l’eau. Ainsi, il
y a quelques années, un père blanc s’étant noyé avant d’arriver à Ségou, on l’a
retrouvé avec le nombril et la cloison du nez entièrement rongés ; ce sont les
morceaux de prédilection de la faro.
Les ouokolo (ou nyama) bambara sont plutôt farceurs que réellement malfaisants ; en
général, ils semblent avoir un faible pour les tomates et ne les demandent pas au
travail de la terre mais à leurs talents de filous. Ils dérobent aussi volontiers le
couscouss dans les cases. On les corrige de cette mauvaise habitude en pimentant
fortement ce mets. Quand ils se sont bien brûlé le palais, ils n’y reviennent
plus.
Les nains sont en général peu serviables. Voir cependant le conte de
L’hermaphrodite.
Quant à leur intelligence, elle passe pour très bornée. Aussi leur nom est-il souvent
adressé comme injure collective à la caste des griots.
Ils ont pour fétiche le Komo : fétiche des Bambara.
Le konkoma malinké est malfaisant gratuitement si l’on en croit le conte de ce nom,
le seul que j’aie recueilli sur lui.
Le gottéré peuhl aime à provoquer à la lutte ceux qu’il rencontre. Le vaincu est voué
à la mort. Si c’est le nain qui a le dessous, il offre de se racheter avec de
l’or85. Il est prudent, au cas où
on le reçoit à rançon, de lui faire à la main une incision pour lui rappeler sa
promesse. Si on néglige cette précaution, il revient peu après tuer par surprise son
trop confiant créancier.
Ceci est à rapprocher de ce que l’on dit du ouokolo. Si vous le frappez, il vous
demande de lui donner un second coup. Ce serait une grave faute que d’accéder à sa
demande. Un coup unique est mortel pour le Ouokolo. Le deuxième coup serait mortel à
celui qui le porterait86.
Allah, d’après les musulmans, ne reste pas toujours impassible en présence des
méfaits de certains guinné trop malfaisants. Le châtiment d’un guinné par le pivert
alors qu’il prépare la ruine d’un village. (Conte du NGortann) en est la preuve.
Les guinné s’unissent assez volontiers à la race des hommes, les guinné mâles
principalement car il semble ressortir du conte d’Anta que les femmes guinné s’y
prêtent moins facilement. Comme exemple de ces dernières unions, je citerai les contes
de Mamadou et d’Anta la guinné, — La guiloguina, La tâloguina, — La mounou de la
Falémé, — Kelimabé et Moussa Nyamé (Contes des Gow. D.-Y.) Le cas le
plus fréquent est celui où c’est une femme de race humaine qui épouse un guinné
(Nancy Mâra — Kahué l’omniscient — Moussa
Nyam.87 —
La femme de l’ogre — Le mari de Nantêné — Le
cheval noir — Goloksalah et Penda Balo.88).
Les enfants nés de ces unions tiennent en général du guinné plus que de la race
humaine. Ils se sentent plus à l’aise parmi les guinné. Ainsi, dans le conte de
La femme de l’ogre, le fils du guinné soustrait sa mère à l’appétit
paternel mais, après l’avoir menée hors d’atteinte, il s’en retourne près des siens.
En général ces métis sont des sortes de surhommes : des sages comme Kahué
l’omniscient, des héros comme Moussa Nyamé. Kahué jouit d’une jeunesse prolongée
au-delà des limites normales.
Ces unions ne sont pas heureuses et finissent de façon fâcheuse ; aussi se
contractent-elles généralement grâce à l’insincérité du prétendant qui dissimule sa
véritable nature avant et même, dans la plupart des cas, après le mariage.
Les guinné adoptent volontiers des enfants de race humaine et les enlèvent à leurs
parents dans cette intention. Ils les instruisent, leur donnent certains pouvoirs de
divination ou de prestidigitation89. Ils en font surtout des médecins capables
de guérir les maladies et au besoin de les provoquer. Voir à ce sujet : Le kitâdo
vengé — Les jumeaux de la pauvresse — Le fils adoptif du guinnârou, — L’orpheline et
son frère, — Déro, — Les talibés rivaux, etc., etc.
Par contre, les guinné se débarrassent fréquemment de leurs enfants mal venus en les
substituant à des enfants d’hommes. Les Peuhl appellent ces enfants des batitâdo.
Cette croyance était celle des anciens Bretons et des Allemands90. Le conte d’Ondine est inspiré par
cette idée, puisqu’il s’agit de faire acquérir, par la petite créature des éléments,
l’âme immortelle dont elle est dépourvue. Quand il arrive à des indigènes d’avoir des
enfants retardés dans leur développement et qu’ils soupçonnent d’être fils de guinné,
ils peuvent obliger leurs parents à les reprendre en les exposant dans de certaines
conditions et en les adjurant de retourner avec ceux de leur race. Le procédé breton
et alllemand consiste à les obliger à parler de façon à se trahir par le timbre grêle
de leurs voix puis à les fouetter jusqu’à ce que les korrigans ou Wichtelmoenner,
leurs parents, accourent les reprendre91.
La durée de la vie des guinné n’est pas indéfinie, leur existence est longue et leur
croissance lente et dès qu’ils ont atteint un âge avancé ils meurent pour recommencer
à vivre.
Quant aux konkoma ce sont, dit la tradition, des porcs épics qui renaissent dans les
mêmes conditions.
* * *
Outre les génies de différentes sortes que nous venons de passer en revue et les
hommes de toutes professions, y compris celles de voleur, de griot, d’apiculteur et
d’éleveur de poules, les personnages ci-après jouent leur rôle dans les contes :
goules, vampires, sorciers et contre-sorciers, végétaux, minéraux, objets divers et
abstractions variées : la faim, la mort, le mensonge et la vérité, etc, etc.
Après avoir examiné rapidement ces divers personnages, j’étudierai aussi brièvement
que possible les talismans, remèdes merveilleux, armes magiques et tous objets qui,
sans être, à proprement parler, des talismans, présenteront un caractère
surnaturel.
Goules : Ybilis déterreur et mangeur de cadavres est une véritable goule (V.
Flûte d’Ybilis).
Vampires : Dans le conte peuhl : « Les mots magiques » il est parlé
d’une soukoun âdio ». Cette soukounâdio est le vampire suceur de sang. V. aussi
La mangeuse de ses clients (conte kâdo) et Le
vampire.
Sorciers : Les sorciers jouent dans les contes un rôle assez fréquent. V. la
tâloguina, —La sorcière punie, —Le chien
sorcie.92, —L’almamy
caïman, —Le chat guinné de Saint-Louis (Ce dernier est plutôt
une sorte de loup-garou comme le sont les sorciers dont parle Samba Atta Dabo dans
L’ensorcelée de Thiévaly), les caïmans du Milo
(Fadôro) etc. Contre cette engeance malfaisante il y a un remède. Lorsqu’ils se sont
dépouillés de leur peau pour aller rôder dans la nuit sous une autre forme que leur
forme naturelle, il faut saupoudrer la face interne de cette peau soit avec du sel
soit avec du piment. Les sorciers sont alors à votre merci93.
Il existe d’ailleurs des exorcistes ou conjureurs des sorciers : les bourhama (en
ouolof) qui les obligent par leurs conjurations à réparer le mal causé. Ces exorcistes
sont doués d’un pouvoir plus ou moins fort C’est sous la dictée de l’un d’eux qui se
targue d’une puissance supérieure à celle de ses confrères, que j’ai transcrit le
conte intitulé L’ensorcelée de Thiévaly. Chez les musulmans, ce rôle est tenu le plus
souvent par les marabouts, chez les fétichistes bambara par les nama, chez les
gourmantié, par les niogoudâno. Ces derniers combattent par des fumigations le mauvais
sort jeté.
On trouvera dans Bérenger-Féraud (Op.
cit.) quelques indications relatives à la croyance aux sorciers dans la
Sénégambie. — Chez les Sénofo et les Bobo comme chez les Kissiens et les Kouranko, dès
qu’une mort subite fait soupçonner le maléfice d’un sorcier, on procède à des épreuves
destinées à révéler le nom de celui-ci. Le conte du Cheval de nuit documentera le
lecteur sur ce point. Il y est procédé à un véritable interrogatoire du cadavre.
On peut rapprocher de la croyance aux sorciers la foi en l’efficacité néfaste du
mauvais œil. Voir le Kitâdo vengé, — La chèvre au mauvais œil, etc., etc. Les
possesseurs du mauvais œil sont d’ailleurs considérés comme des jettatori conscients,
ce qui n’est pas toujours le cas, en Italie par exemple. La croyance au « cattio
occhio » est générale en Orient et notamment en Turquie. Pline et Virgile en parlent
ainsi que Théocrite. (V. Contes inédits des 1001 nuits, op. cit. Notes du Tome II p. 323).
Comme végétaux figurant dans les contes il y a lieu de citer le riz (V. Le
choix d’un d’un damel.)
Comme minéraux : le caillou (Ntyi vainqueur du boa.)
Comme choses diverses : le gigot, (Le sounkala de Marama), la boule de
mil et la cravache (La nyinkona), la marmite (Hammat et
Mandiaye), la sauce, les canaris et les calebasses (Bergère de
fauves).
Comme abstractions : La Mort94 (V.
La mort créancière, —L’intrus dans l’Aldiana
95, la Faim, Le choix d’un
lanmdo, l’Humanité [Adina] , le Mensonge et la Vérité)96. Voir aussi abstractions des contes ci-après :
Kahué l’omniscient, —L’éléphantiasis de Moriba, les
diverses parties du corps (Le procès funèbre de la bouche).
Comme animaux fabuleux : le ouârasa, le mangeur d’hommes (Le plus brave des 3,
le minimini), l’yboumbouni.
Les talismans sont nombreux et variés Citons :
- La bague (Bissimillaye et Astafroulla, La bague aux souhaits —
Mamadou et Anta la guinné — Mâdiou le
charitable).
- Les œufs ou les calebasses magiques (Hammat et
Mandiaye, —Le sounkala de Marama — La conquête du
dounnou — Anntimbé ravisseur du bohi).
- La cravache qui frappe d’elle-même (La nyinkona).
- La calebasse (ou le canari) inépuisable (La nyinkona et La
bergère de fauves.)
- Le tapis volant (Mamadou et Anta la
guinné).
- La poudre magique qui rend intelligible le langage des bêtes (Le lièvre
et le dioula).
- La poudre magique qui fait sortir de terre un tata avec sa population et son
bétail (La revanche de l’orphelin et Le pupille du
cailcédrat).
- L’arme qui assure le pouvoir à son possesseur (sagaie de Binanmbé, fusil de
Molo)97
- Le bonnet qui rend invisible98
(Contes des Gow : Sanou Mandigné).
- L’onguent qui contraint les gens à ramasser de l’herbe jusqu’à épuisement
(Bilâli).
- Le grigri révélateur d’aînesse (Bilâli. — Les quatre fils
du chasseur).
- L’onguent léthargique (Fatouma Siguinné).
- Le grigri de malice99
et d’habileté dans la friponnerie (MBaye Poullo et Le grigri
de malice).
- Le grigri de bravoure (L’homme au piti).
- Le grigri de science (Mâdiou le charitable).
- Le grigri de victoire (Yamadou Hâvé).
- Le fusil qui tue quantité de gens d’un seul coup (A.-S. Niânyi.
— S.-G. Diêgui. — La bague aux souhaits).
- La poudre à tuer le gibier (La lionne et l’hyène).
- La barbiche meurtrière (Même conte. Le bouc et l’hyène à la
pêche).
- Le sabre qui coupe des têtes multiples d’un coup unique (Voir B.-F.
Faveurs aux nouveaux convertis).
- Les drogues des « Talibés rivaux ».
- Les remèdes de Déro.
- Ceux de Ntyi le patient (Les deux Ntyi).
- L’arbre prophétique du Boundou (Amady Sy)101
- Le canari-aigrette (Le canari merveilleux).
- La graisse et les boyaux de Takisé (Le taureau de la
vieille).
- L’arbre aux fruits d’or.
- Le baobab rempli d’or (Les présents des faro).
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