Le 22 octobre 1827.
Il est bien vrai que la vie est triste, pleine de soucis, de mécomptes, d'inquiétudes, de douleurs; mais tout cela dure peu.
Prenons donc patience encore quelques instants. Nous n'avons pas achevé de semer, que nous voudrions recueillir. Ce n'est pas là l'ordre de Dieu. Il faut que les pluies et les glaces de l'hiver, les chaleurs de l'été et ses orages passent sur ce grain à peine germé, et puis viendra le jour de la moisson, jour plein d'allégresse et de paix, jour des espérances satisfaites, des joies et du repos éternel. Jacob comptait pour bien peu de chose cent quarante ans de misère; pauci et mali, disait-il. Et nous qui ne sommes encore, par comparaison, qu'au berceau, nous nous plaignons de la longueur et de la dureté de l'épreuve. Imaginons-la plus dure encore, dix fois, cent fois, mille fois ; que sera-ce, près de la récompense? Le tout est de persévérer, et nous savons que Dieu donne sa grâce aux humbles; humilibus dat gratiam. Que nous faut-il de plus que cette promesse? Soyons fidèles aujourd'hui, demain, et le ciel nous est. assuré. Bossuet, dans son oraison funèbre de la Princesse Palatine, dit qu'elle fut douce avec la mort. Je voudrais que nous fussions « doux avec la vie; » nfais cela, j'en conviens, est plus difficile.
Je suis charmé que vous ayez M. d'Olry près de vous. Il me semble que vous l'aviez connu, il y a quinze ou vingt ans, à Berne. Je n'oublierai jamais l'aimable hospitalité qu'il voulut bien me donner, sous les auspices de M. Vuarin, pendant mon voyage en Suisse. Où va-t-il maintenant, et qui le remplace près des Magnifiques Seigneurs 1? Ce poste ne laisse pas d'être important, et il y a rendu de nombreux services avec un zèle dont la pureté et la vivacité me touchèrent extrêmement, lorsque j'en fus témoin. Je suis bien aise pour lui qu'il ait quitté ce triste pays ; mais je regrette le bien qu'il y faisait et qui sera difficilement continué par un autre.
Vous ai-je dit que l'abbé G.... retournait à Paris? Je le perdrai dans trois jours, et je vais de nouveau me trouver seul. Heureusement, ce genre de vie m'est assez familier. Avec des livres et un peu de travail, les vingt-quatre heures passent vite. Cela vaut mieux, sans comparaison, que la foule des importuns qui m'accablent à Paris. On m'annonce que plusieurs évêques, à l'exemple de celui de Dijon, doivent m'altaquer dans leurs Mandements de carême. Je verrai s'il y a lieu de répondre; je désire que non, car ces discussions détournent d'occupations plus utiles et produisent peu de fruit. On pourrait, d'un seul mot, les prévenir ou les arrêter; mais on ne veut pas. La peur fait qu'on se tourne du côté où l'on reçoit les coups. On en rirait si c'était moins triste 1. Jamais la vérité n'eut moins d'appui en ce monde. Les uns l 'abandoniient, les autres la renient. Je ne pense jamais sans un profond étonnement au mot de 'saint Pierre, en présence des Juifs persécuteurs de J. C. : Non novi hominem ! Et pourtant il lui fut dit : Super te aedificabo ecclesiam meam.
Plaignons les hommes faibles ou aveugles, et vivons de la foi aux promesses. Malgré tout ce qu 'on fait contre elles, les bonnes doctrines ne laissent pas de se propager et de s'affermir. Le temps est pour elles, mais par politique, je crois ; parce qu'elles sont de l'éternité, et qu'il y retourne.