Paris le 18 mars 1773
Monsieur,
Le bruit, qui s’est répandu ici, a alarmé tous les véritables gens de lettres; mais personne n’en a été aussi vivement affecté que moi.
J’apprends avec joie que votre santé est entièrement rétablie et j’espère que vous voudrez bien recevoir avec votre bonté ordinaire l’héroide de la Valliére. Le caractère de cette tendre et généreuse amante était sans doute réservé au pinceau de l’auteur de Zaïre. En osant le tracer, j’ai peut-être consulté plus mon penchant que mes forces. Quoi qu’il en soit, mon ouvrage prenait assez bien dans le monde, lorsque tout à coup, je ne sais pour quelles raisons, on a ordonné au libraire d’en arrêter la distribution. Enfin on m’a fait l’honneur de me traiter en philosophe.
Les difficultés innombrables de l’art ne so[n]t pas les seuls obstacles qu’on ait à vaincre aujourd’hui. Il faut encore essuyer les lib[elles], les satyres, les épigrammes qui pleuvent de to[us] côtés, et par surcroît de découragement, je vois avec douleur que depuis l’épître à Racine, plusieurs de vos amis ont cherché et cherche[nt] même encore à me nuire. J’ignore en quo[i] j’ai pu leur déplaire. Cependant, j’ose le dire, personne n’a témoigné dans ses écrits et dans ses discours plus d’admiration pour vos talents extraordinaires. Vous avez même souven[t] daigné distinguer mon hommage de la foule de ceux qui vous ont été adressés. Je désirera[is] bien que des personnes aussi estimables que vos amis, ne se laissassent pas prévenir contre moi par mes ennemis et qu’ils voulussent examiner avant de juger. Ils verraient peut-être que je méritais plus d’encouragement et….